Pérou : premières impressions

Nos attentes concernant l’Equateur étaient trop précises et malgré de jolis paysages et des routes agréables, nous n’avons pu nous empêcher d’être déçus. Nous avons alors écourté notre traversée de ce pays en prenant un bus pour rejoindre plus rapidement le Pérou. Pour ce nouveau pays au moins, pas de risque d’être déçus : s’il fait rêver et attire des millions de touristes chaque année (en particulier des français), nous n’y aurions probablement jamais mis les pieds s’il n’avait pas été sur notre route. Tout ce que je savais du Pérou, c’est que la côte est aride et réputée désagréable, que les gens y vont pour la montagne, le Machu Picchu et la culture inca. Je suis plus mer et forêt que montagnes, et en termes de culture pré hispanique, nous avons eu notre compte au Mexique et au Guatemala. Autant dire que mes attentes n’étaient pas très élevées. Deux choses éveillaient cependant ma curiosité : les nombreux voyageurs à vélo qui vantaient ses routes incroyables et ses paysages spectaculaires et la cuisine péruvienne, réputée une des meilleurs du monde et combinant des produits agricoles très variés issus de l’incroyable diversité de climats du pays avec des influences préhispaniques, européennes et asiatiques.

Cajamarca

Nous arrivons à Cajamarca à la tombée de la nuit après presque 24h de bus. Depuis l’Equateur les paysages ont changé de manière brutale : nous passons du vert et humide au plus que sec, totalement plat, pollué… Le changement de bus à Chiclayo est notre premier contact avec l’ambiance des villes péruviennes : le chaos organisé de tuktuks et klaxons, les vendeurs ambulants criant leurs messages et le bleu du ciel nous rappellent le Mexique. Je resterais bien une nuit ici, pour prendre la température. Mais nous décidons finalement de rester sur notre projet initial et d’enchaîner immédiatement avec le bus pour Cajamarca, qui après avoir longé la côte sur quelques kilomètres s’engouffre dans une vallée, ou plutôt un étroit et haut canyon, pour monter vers Cajamarca. À nouveau nous avons une pensée pour le Mexique : cactus, agaves, vautours… C’est assez grandiose et pourtant je ne peux m’empêcher d’avoir une petite appréhension : c’est très sec, je préfère les paysages verts et humides… Vais-je réussir à apprécier ?

Nous tombons immédiatement sous le charme de Cajamarca, où nous retrouvons cette ambiance un peu bordélique que nous aimons et qui manquait à Cuenca, si propre, si riche et organisée. Les femmes indigènes d’ici portent de magnifiques chapeaux, immenses et grandioses. Nous apprendrons plus tard que ce sont les espagnols qui ont importé cette culture du chapeau, imposant à chaque peuple indigène un style afin de les reconnaitre. Le marché est un véritable labyrinthe s’étalant en intérieur et en extérieur sur plusieurs rues. Son ambiance me fascine et j’y erre sans autre but que de m’en imprégner. C’est sale, bordélique et tout est très bon marché… J’adore !

Ce qui change par rapport aux autres pays, c’est la diversité du marché : on trouve absolument tout. Les supermarchés sont encore peu développés au Pérou en dehors des très grandes villes et de la côte et tout se passe au marché central. On trouve une diversité de noix et fruits secs que nous n’avions pas vu depuis l’Espagne et à très bon prix. Cacahuètes, amandes, fèves grillées, noix de cajou, noix d’Amazonie, raisins secs…

Côté frais c’est aussi l’abondance : on dirait que cette région produit absolument tout. Pommes, poires, raisin, ananas, papaye, avocats, mangues, citrons, grenades et des herbes et fleurs comestibles fraîches en abondance… C’est fou ! Au niveau du sec, même constat : maca, coca, cacao, café (de bonne qualité), quinoa, maïs sous toutes ses formes, pois, lentilles, haricots de toutes les couleurs… Le pain est également étonnamment bon : enfin un pays sur ce continent qui sait faire du pain avec du levain, a un prix local. Comme quoi, c’est possible. C’est fou que du Canada à l’Equateur les gens se contentent de pain sucré, à la levure et sans aucune texture. Seul bémol : il n’est pas toujours très frais… Il faut avoir l’oeil et repérer les horaires des nouvelles fournées (souvent en fin d’après-midi). Mais quand il est frais c’est un régal : on dirait une version petite et ronde de la baguette tradition, avec des variantes à base de différentes farines (maïs et farine complète la plupart du temps). Nous pourrions probablement rester une semaine à Cajamarca, juste pour aller au marché, cuisiner et manger…

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Pedro, notre hôte de Cuenca, nous a mis en contact avec Laure et Matteo, couple de voyageurs franco-suisses qui se trouvent actuellement à Cajamarca. Ils sont partis de Suisse il y a juste un an, ont traversé l’Atlantique à la voile et ont commencé à pédaler sur ce continent à Bogota. Ils n’ont pas rencontré beaucoup d’autres voyageurs jusqu’à présent et aimeraient un peu de compagnie. Leur style est différent du nôtre : ils ne vont jamais à l’hôtel, ne prennent pas de bus. Ils sont tous les deux profs et leur motivation est de visiter des écoles où ils racontent un conte pour sensibiliser les enfants à la biodiversité et s’imprégner de différentes méthodes d’enseignement, dans le but d’ouvrir une école alternative à leur retour. Elisa était un peu réticente à l’idée de voyager avec d’autres gens au début, mais le feeling passe bien et nous décidons de prendre la route ensemble. Ce qui ne signifie pas que ça va fonctionner une fois sur la route : on peut très bien s’entendre lorsque l’on est posés quelque part, mais avoir des rythmes et des fonctionnements différents sur la route, où la fatigue et les difficultés rendent tout beaucoup plus intense émotionnellement. Nous en savons quelque chose, ça clash souvent entre Elisa et moi lorsque nous roulons. Nous verrons bien si ça colle avec Laure et Matteo !

De Cajamarca à Caraz

Depuis que nous sommes repartis de Bogota, Elisa a beaucoup de mal et n’a plus tellement la motivation. Physiquement, la reprise est difficile et les routes colombiennes et équatoriennes ont des pourcentages qui ne pardonnent pas. Surtout quand on est en plus affaiblis par un parasite… Rouler avec d’autres gens, qui plus est qui vont au même rythme que nous l’aide à retrouver la motivation.

Ce premier spot de bivouac au Pérou est juste parfait. Les paysages tout au long de la journée n’étaient pas forcément ma tasse de thé : agricoles et très sec, une combinaison que je n’apprécie pas trop. Mais le soir, nous arrivons à près de 4000m d’altitude à un petit lac au milieu d’une forêt de pins. Des petits airs d’Espagne voire de Jura d’après Elisa… à peine arrivés, il commence à pleuvoir. La pluie combinée au froid met vite fin à la soirée et nous cuisinons et mangeons chacun dans notre tente. Nous repartons tranquillement le matin. Nous roulons à travers des exploitations de pin. Ce n’est normalement pas trop le genre de paysages qui m’enchantent, mais le chemin est vraiment particulièrement agréable en termes de vélo, avec ses pentes douces, ses arbres en travers qui empêchent tout véhicule motorisé de passer et ses quelques sections de singletrack très faciles et confortables.

Comme nous apprenons encore à nous connaitre avec Matteo et Laure, nous passons beaucoup de temps à discuter et avançons très lentement. Nous pensions arriver au premier village avant midi et pouvoir faire des courses, mais à l’heure du déjeuner nous en sommes encore loin… Il va falloir prévoir de transporter un peu plus de nourriture les jours à venir. Nous trouvons encore un bon spot de bivouac, cette fois dans une pampa en friche, avec l’accord du voisin. La lumière du soir est magnifique, c’est la même lumière rose-violet qu’en Basse-Californie et sur la côte Pacifique d’Amérique centrale, et l’air très sec et la quasi absence de pollution lumineuse rend les nuits étoilées incroyables.

Le lendemain est une petite journée jusqu’à Cajabamba, où nous attendent Maycol et Gisela, couple de couch surfers qui vont nous héberger pour la nuit. À peine arrivés chez eux (un peu en retard…) ils nous proposent de les accompagner à leur chacra (petite parcelle agricole partagée par la famille). C’est samedi après-midi, toute la famille est là, pour semer les pommes de terre et passer un moment convivial ensemble en plein air. Nous goutons le chiclayo, sorte de compote de courge spaghetti. Apparemment c’est le plat traditionnel des travaux agricoles dans la région. Le soir, Maycol sort chercher un « postre » (dessert)… et revient avec du poulet-frites pour tout le monde… Nous ne voulons pas froisser nos hôtes et le repas étant déjà servi, nous gardons pour nous le fait que nous ne mangeons normalement pas de viande. S’en suis une discussion sur la cuisine péruvienne, qui serait parait-il la meilleure du monde, avec le vin le plus fin (archi faux). Lorsque nous demandons à Maycol quel sont le meilleurs plats péruviens, il nous répond : ceviche et poulet frites… ça promet.

Notre hôte de Cajamarca nous avait prévenu que la route de Cajabamba a Huamachuco était très poussiéreuse et un peu dangereuse, nous pensons donc faire du stop… Finalement c’est certes une route pavée, mais en très mauvais état, pleine de nid de poules. Il y a très peu de circulation, ça roule assez doucement et bien que les paysages champêtres n’ont rien d’exceptionnels, ils sont loin d’être moches. Encore une fois, nous découvrons que le concept d’hygiène n’est pas encore arrivé dans ce coin du Pérou, malgré la pandémie qui s’est terminée il y a seulement deux ans. Devant une maison, plusieurs familles cuisinent dehors, par terre, au milieu des cacas de chien et dans un nuage de poussière soulevée par les gros camions qui passent… Puis un monsieur me sert la main avant de m’annoncer fièrement qu’il a la grippe… Nous avons redécouvert la poignée de main en Equateur, dans tous les pays précédents elle avait disparu. Nous avons en même temps découvert les vaches (et les humains) qui chient partout en montagne, jusque dans les sources d’eau potable sans que cela semble gêner personne, ainsi que les chiens qui se baladent dans les marchés et pissent au milieu des étals de fruits et légumes. Il paraît que la Bolivie est encore pire, ça promet.

L’heure tourne et nous n’arrivons toujours pas. Je commence à m’impatienter, j’ai vraiment envie de découvrir Huamachuco, notre destination du jour avant la tombée de la nuit pour pouvoir prendre quelques photos. Il parait que c’est joli. Je trace les derniers kilomètres. Ce qui est chouette maintenant que nous roulons avec d’autres gens plus lents que moi, c’est que je peux sans trop d’inquiétude laisser Elisa plus loin derrière et avancer à mon rythme. S’il lui arrive quelque chose, je sais qu’elle ne sera pas seule. C’est assez grisant de pouvoir me faire ces petits challenges, tout donner sur les 10 derniers kilomètres et prendre réellement du plaisir à pédaler et pas seulement à voyager.

Nous nous retrouvons sur la Plaza de armas, décorée de drapeaux péruviens (la fête nationale est dans quelques jours), avant de rejoindre ensemble la casa ciclista de Huamachuco, propriété de Mako et sa famille. Nous campons dans le joli patio, où nous retrouvons Vlad, backpacker russe émigré sur la côte de Oaxaca, et Celestino, cyclo argentin sur la route du retour après être monté de chez lui jusqu’en Equateur. L’endroit est chouette, les gens sympas et après seulement 3,5 jours de vélo, nous sommes déjà tous un peu fatigués. C’est la reprise ! Nous décidons donc de prendre une journée de repos le lendemain. Qui est l’anniversaire de Mako. Il nous fait la surprise de nous inviter le soir à prendre « un thé », qui encore une fois semble être un un nom de code pour « poulet frites ». Obligés de manger de la viande à nouveau, et de boire de l’alcool (un verre de vin péruvien « semi-seco », beaucoup trop sucré pour un demi sec). Mais l’intention est belle et nous passons un moment agréable.

Celestino est un véritable McGyver qui connait toutes les plantes comestibles locales et sait tout faire avec ses mains, comme par exemple réparer le réchaud à essence cassé de Matteo et Laure. Nous apprenons qu’il prévoit aussi de partir le lendemain et de suivre la même route que nous. De mon côté, rouler avec Matteo et Laure me pèse un peu. Je les apprécie, mais nous n’avons pas la même notion d’espace intime, ni le même rythme, ni même de manière générale la même façon de voyager. Mais Elisa sent qu’elle a besoin de leur compagnie, qui l’aide à retrouver le moral et à apprécier l’aspect vélo du voyage, qu’elle n’arrivait vraiment plus à aimer depuis l’Equateur. Je prends donc sur moi et accepte que nous continuions ensemble, à condition de pouvoir rouler un peu plus souvent seul et à mon rythme.

Laure, Matteo et Celestino partent tôt le lendemain matin. Ils veulent s’arrêter dans une école raconter leur conte. Nous en profitons pour nous lever un peu plus tard et rouler à notre rythme. L’objectif étant de se retrouver à la Laguna Larga, spot de bivouac prometteur à 4000m en fin d’après midi. À peine sortis de la maison, nous croisons Ben, qui vient tout juste d’arriver à Huamachuco. Il a passé la nuit précédente à un lac quelques kilomètres avant la ville. Nous lui proposons de se joindre à nous et faisons la route ensemble jusqu’au spot, qui est effectivement magnifique. Ce soir nous sommes 7 cyclistes à camper ensemble, du jamais vu pour nous jusqu’à présent. Paradoxalement, le fait d’être un plus grand groupe me rend la chose plus facile. Etant introverti j’ai besoin de beaucoup de temps pour moi et je peux plus facilement me mettre en retrait et avancer à mon rythme quand j’en ressens le besoin et participer aux interactions quand j’en ai envie.

Pendant la nuit, le vent souffle fort, secouant les tentes et faisant chuter la température. Tout le monde dort mal. En ce qui me concerne ce n’est pas tant le froid et le bruit qui me gènent, mais plutôt le mal de ventre qui me reprend… Nous sommes au milieu de nulle part, je soupçonne que c’est le parasite qui se réveille après presque trois semaines de silence et je n’ai pas de médicaments. J’espère que ça va passer…

Le lendemain, nous passons toute la journée autour de 4000m d’altitude. Il n’y a quasiment aucun dénivelé et si cela me semble facile, le groupe est désespérément lent… Ben nous annonce qu’il n’a pas pris de jour de repos depuis Cajamarca, je compatis et admire à la fois. Je n’en mènerais probablement pas plus large à sa place, mais c’est un challenge que j’aimerais relever un jour. À notre arrivée à Caraz, il aura roulé 8 jours d’affilée (en faisant des journées plus longues que les nôtres avant de nous retrouver).

Arrivés au point le plus haut de la journée, nous voyons enfin les sommets enneigés de la Cordillera Blanca à l’horizon. Depuis Huamachuco, au sommet de chaque bosse j’espère les apercevoir, et c’est enfin le moment. Nous décidons de faire une petite photo de groupe pour l’immortaliser. Nous sommes à 4000m d’altitude et les 100 prochains kilomètres vont nous amener en une longue descente au fond d’un canyon à 500m. Ça promet.

En théorie c’est une journée entière de descente. Comme la veille, mes douleurs abdominales disparaissent le matin et je peux rouler normalement. La descente dans le canyon est magnifique, nous commençons par une route bitumée en lacets avant de rejoindre une piste défoncée à flanc d’un canyon percé de nombreux camps et tunnels de petites opérations minières très certainement illégales et aux conditions ultra précaires. Des hommes aux visages noirs de charbon, sans aucun équipement de sécurité percent la montagne à coup de dynamite pour en extraire les minerais. La richesse du sol a attiré dans les montagnes des individus pas toujours très recommandables et engendré des pratiques issues des rêves les plus doux de Javier Milei, dignes du Far West au temps de la ruée vers l’or ou d’une dystopie à la Walking Dead. Exploitation humaine (pour ne pas dire esclavage), spoliation, spéculation et criminalité qui en découle… Face à ces dérives, les villages ont mis en place des unité de « police indigène », sorte de milice d’autodéfense citoyenne qui fait la loi de manière expéditive et parfois très brutale pour compenser l’inutilité et la corruption de la police officielle. Mako, notre hôte de Huamacucho nous a raconté des histoires qui font froid dans le dos, à base d’assassinats, de torture et de représailles qui ont valu aux gens de la région une réputation de durs à cuire qui ne laissent rien passer. Depuis, la plupart des opérations minières de la région ont été légalisées et encadrées et la criminalité a baissé. Mais cette industrie conserve une très mauvaise réputation dans les communautés montagnardes, et nous avons parfois dû expliquer longuement que nous n’étions que des touristes et pas des prospecteurs à des bergers méfiants.

À la mi-journée le vent forcit : il souffle de la mer vers la montagne, ce qui veut dire que nous l’avons de face. Pas de bol, obligés de pédaler malgré la descente. Les véhicules qui passent soulèvent des nuages de poussière, et je commence à avoir un gros coup de barre, suivi de douleurs aiguës en particulier au poignet droit et au gros orteil gauche. Plus la journée avance et plus je suis mal physiquement. Combiné à la fatigue et à mon exaspération, je suis assez désagréable… Quand nous finissons enfin par trouver un spot de bivouac en bord de rivière, je suis au bout du rouleau. Je passe la soirée allongé dans la tente, impossible de manger ou de faire quoi que ce soit. J’ai de la fièvre, mal partout… Encore plus de cent kilomètres, cette fois en montée, avant Caraz et la première pharmacie. Ça va être dur… Heureusement nous allons rejoindre une route principale après une trentaine de km de descente. Je pourrais probablement trouver un bus ou un camion si besoin. Je suis KO, à 18h je m’endors profondément, bercé par le son de la rivière.

Après une grosse nuit de sommeil, je suis réveillé de bonne heure, miraculeusement frais et dispo. Je suis encore loin d’être à 100% mais largement en état de pédaler. Après 30km de descente, nous rejoignons la route principale. Bitume, pourcentages très tranquille et cette fois-ci vent dans le dos : ça avance tout seul. Heureusement, car à cette altitude sans le vent il ferait très chaud.

La route est jolie mais la combinaison bitume – légère montée est un peu ennuyeuse. J’en profite pour écouter des podcasts, chose que je n’ai pas fait depuis le Nicaragua…

J’écoute Joe Grant, coureur d’ultra marathon au parcours atypique. Je suis Joe depuis quelques années déjà et sa philosophie est une véritable inspiration pour moi. Il a débuté la course à pied comme moyen de transport alors qu’il voyageait aux USA et au Canada, comme un moyen de se déplacer rapidement, efficacement et sans argent alors qu’il avait 20 ans et était fauché. J’aime le minimalisme qu’il cultive depuis cet âge : il peut vivre avec le contenu d’un sac à dos de taille moyenne, juste un t-shirt blanc, un pantalon basique et une paire de baskets. Ce style neutre visant à ne pas donner de préjugés sur son apparence. Il évoque les débuts du Trail running il y a 20 ans, avant l’ère du matériel obligatoire et des gros événement commerciaux à plusieurs milliers de participants. Une véritable contre culture où le but était juste de prendre du plaisir dans la nature. Il raconte également son projet de relier en un mois, à pied et à vélo uniquement, les 58 pics de plus de 4200m de son état, le Colorado. L’approche mentale indispensable à ce challenge. Comment les premiers jours ont été très difficiles parce qu’il était trop focalisé sur les mauvais objectifs : l’aspect professionnel, communication, sponsors etc, et donc l’obligation de réussir. Et comment tout est devenu plus facile lorsqu’il a changé son état d’esprit pour se focaliser sur l’instant présent : voir la beauté dans la pluie et le vent plutôt que se focaliser sur l’inconfort qu’ils apportent, redevenir un animal focalisé sur ses besoins primaires : manger, boire, dormir, s’abriter. J’ai envie de mettre en pratique cette « approche animale » de Joe Grant. J’ai bien envie d’appliquer cette approche lors d’une future expérience en solo : rouler longtemps, de manière rude, animale. Une approche minimaliste, méditative et contemplative qui me plait. J’aime l’anecdote où il dit que quand il boit son café le matin, il boit son café. Et rien d’autre. Etre dans l’instant présent, sans se disperser.

J’écoute ensuite Nathan Pigourier (Nath’en roue libre) et Arnaud Manzanini, qui ont tous deux roulé jusqu’au Cap Nord en hiver. J’aime bien l’approche de Nathan, dont le projet était de ne rien dépenser pour se loger et s’alimenter, afin de provoquer les rencontres. Pour moi c’est quelque chose de difficile étant introverti, mais je reconnais que les rencontres sont indispensables au voyage. Seulement le vélo et les paysages, ça ne suffit pas : ce sont les autres qui nous inspirent, nous aident à comprendre les régions que nous traversons et nous font évoluer.

Finalement avec le bon vent dans le dos, la journée passe assez vite. Une dernière montée, cette fois abritée du vent et un poil plus raide nous achève. Quand le vent s’arrête, la chaleur devient pénible. Heureusement une bonne glace artisanale nous attends en haut. Ici sorbet se dit cremolada, et crème glacée helado. Et il est strictement interdit de mélanger les deux, tout comme il est strictement interdit de mettre un sorbet dans un cône… Les péruviens, contrairement aux autres latinoaméricains, sont un peu raides et savent très bien dire non. On ne peut pas non plus demander à remplacer la viande d’un plat qui a l’air appétissant par des oeufs. Pas de viande ? OK, mais alors pas de légumes non plus, ni de sauce. Juste du riz et des oeufs, et tout ça pour le même prix qu’un plat avec viande, légumes et sauce. Être végétarien dans ce pays demande du courage…

Caraz

Nous pensions ne pas trop trainer à Caraz, mais les premières nuits ne sont pas très reposantes. L’hostel de Juan Carlos où nous prévoyions d’aller est presque complet et nous partageons un lit simple pour deux avec Elisa (au moins c’est deux fois moins cher). La nuit suivante est complète et Juan Carlos se démène pour nous trouver un toit. Nous finissons chez Raul, couchsurfer avec qui Matteo et Laure étaient déjà en contact. Raul est convaincu que la cuisine péruvienne est la meilleure du monde. J’espère que le grand voyage en moto qu’il projette lui ouvrira les yeux. Il nous parle de son fils, qui a acheté une imprimante et monté un business de sérigraphie à Lima. Il a 21 ans et gagne 2000 dollars par mois… cette discussion fait écho à une autre que nous avions eu à Cuenca avec Pedro. Sur ce continent, le seul moyen de gagner sa vie semble être de travailler à distance pour une entreprise étrangère ou d’être son propre patron. Les salaires sont ridiculement bas, même pour des emplois utiles à la société, à moins d’être bon en politique et d’accepter la corruption pour finir à des postes à responsabilité… Raul a beau être un personnage intéressant, nous sommes un peu trop nombreux dans sa maison. C’est difficile de se reposer, d’autant plus qu’à 7h du matin il est dans la cuisine à préparer les brochettes pour son stand du marché avec son frère et une de leurs employées. Des coeurs, des poumons de vache et du sang trainent un peu partout, ça sent fort… Elisa, Ben et moi décidons de migrer vers un hôtel pas cher. C’est très calme. Nous ne faisons rien de la journée, profitons juste du silence. Après tous ces jours très sociables, ça fait vraiment du bien.

Le lendemain nous retournons à l’hôtel de Juan Carlos, où une chambre privée s’est libérée. Juan Carlos est un personnage intéressant également. À 50 ans, après avoir travaillé dans le social aux USA, dans le tourisme à Cusco et dans le webmarketing en Belgique, il a développé un certain regard sur la vie. Sa philosophie : avant 35 ans, il faut découvrir dans quel environnement on se sent bien et ce que l’on aime faire dans la vie. Il vaut mieux vivre heureux sans voir ses proches tous les jours que vivre triste près des siens. Son environnement c’est la montagne et le soleil. Alors qu’il bosse dans le webmarketing pour des hôtels péruviens, son hostel n’est ni sur google maps, ni sur booking, si sur aucune plateforme et n’a même pas une enseigne dans la rue. Juste une porte sans indication ni rien de particulier, que nous loupons d’ailleurs systématiquement à chaque fois que nous rentrons. Tout passe par les recommandations et le bouche à oreille, à l’ancienne. C’est un très petit hôtel, 10-15 voyageurs grand max, tous francophones ou presque. Tout le monde (Juan Carlos compris) mange à la même table le soir, l’ambiance est familiale et conviviale. Caraz n’est pas une jolie ville, il n’y a pas grand chose niveau services, mais cet hostel est vraiment un endroit très cool où il fait bon s’arrêter quelques jours et écouter les histoires de Juan Carlos, qu’il a vécues, entendues d’autres voyageurs et probablement un peu enjolivées.

À travers la Cordillera Blanca

À Caraz nous devons prendre une décision pour la suite. Elisa aimerait bien continuer avec les suisses. Quant à moi, bien que je les apprécie, j’ai déjà eu ma dose de voyage en groupe et j’aimerais bien continuer seulement à deux. Le compromis que nous trouvons est de partir très tôt pour pouvoir rouler un peu en solo.

Nous partons le 26 juillet, soit le vendredi du plus gros weekend des vacances (l’équivalent du 15 aout chez nous…). Pas très stratégique comme choix : nous nous faisons dépasser par des dizaines de bus qui nous couvrent de poussière à chaque fois. Dans les parcs, près des centre de visiteurs il y a des stands vendant de la nourriture et des souvenirs. On voit des gens passer avec des sortes de grands beignets plats. Ça nous intrigue, j’en prends un, fait gouter à Elisa et Ben… Et on finit par en acheter un chacun ! Nous venons de découvrir les charangas (ou charanguitas pour les intimes). 3 soles, bien chaud, ce qu’il faut de gras pour bien se caler. Avec une boisson de quinoa ce sera mon petit déjeuner préféré pour les matins froids d’altitude des semaines à venir. Nous arrivons au camping, spot sympa au bord de la rivière, au milieu d’une vallée glaciaire aux parois abruptes entourée de glaciers. C’est beau et rien que ce spot vaut déjà à lui seul d’avoir monté un peu plus de 1700m ce jour.

Puis c’est le départ à pied pour une petite randonnée de 2 jours. Première étape : le refuge Pisco, à 4780m d’altitude. En terme de distance c’est assez court, mais la combinaison pente raide / altitude / sac à dos ne facilite pas vraiment les choses. On dépasse un groupe de mexicains qui montent faire l’ascension du Pisco, un des sommets populaires du secteur. Ils sont en train de pic niquer avec bouteilles de pinard, cafetière… on n’a pas les mêmes priorités en termes de poids utile à porter !

Nous arrivons en milieu de journée à l’aire de bivouac, pendant que les suisses vont au refuge juste à côté. Elisa a un peu le mal des montagnes, elle en chie dans la fin de la montée. Je ne suis pas fier non plus… Nous sommes à 4750m. Dire qu’il va falloir redescendre à 3800m puis remonter un col à 4750m, ça va être dur ! Après une ou deux heures à faire la sieste dans la tente, je sens que je commence à m’acclimater, et décide de monter à un petit point de vue un peu plus haut (4850m) pour prendre des photos avec la lumière de fin d’après-midi. De l’autre côté de la vallée, je peux voir les lacets du col que nous allons emprunter pour continuer notre route après la rando… Il monte aussi haut que l’endroit où je suis actuellement. Ça va piquer.

Avec Elisa nous pensions partir tôt pour arriver à la Laguna 69 avant la foule, mais les matins sont frais à cette altitude… Nous découvrons à quel point se préparer prend beaucoup plus de temps dans le froid. On finit par décoller vers 8h30, en même temps que les suisses. La rando est absolument magnifique, à travers des paysages minéraux de haute montagne, entourés de glaciers qui paraissent si proches. Il n’y a pas un chat sur le sentier, juste nous 5 et les montagnes… En milieu de journée nous descendons vers la Laguna et c’est une autre histoire. Être ici le 28 juillet c’est un peu comme être sur la côte chez nous le 15 août… On marche à la queue leu leu avec des touristes péruviens en vêtements de ville et pas acclimatés, pour une rando qui fait quand même 16km, avec plus de 1000m de D+ et monte à 4700m… autant dire qu’entre les gens qui font des malaises à cause de l’altitude, ceux qui font attention à ne pas renverser leur gobelet de chicha et ceux qui glissent avec leurs semelles plates, ça avance moins vite que prévu. Nous retrouvons le camping le soir et fêtons l’anniversaire de Ben avec un feu de camp et des chamallows grillés. Une belle soirée qui conclut deux journées magnifiques.

Nous récupérons nos vélos le lendemain, et Matteo et moi nous rendons compte que nous avons des trous dans nos sacoches… Des souris sont passées par là. Elles ont fouillé dans tous mes sacs, pour au final ne grignoter qu’un petit bout à chaque fois (à part les tortillas, qu’elles ont dévoré). Je suis dégouté. Obligé de tout jeter, sans parler des trous… heureusement nous avons juste assez pour tenir jusqu’à la prochaine tienda, qui, nous l’espérons, sera suffisamment achalandée. Nous allons passer notre premier grand col péruvien, le Portachuelo de Llanganuco, à 4767m. On a tous un peu d’appréhension… vu d’en bas il impressionne avec tous ses lacets. Comparé aux cols que nous allons monté les semaines suivantes, celui-ci n’est finalement pas si haut. Mais c’est le premier et contrairement aux autres qui montent progressivement dans de longue vallée, celui-ci est en haut d’un véritable mur au fond d’une très large vallée, ce qui le rend plus impressionnant. De l’autre côté du col, changement de décor total. Nous passons d’une vallée glaciaire profonde, tapissée de vert, couronnée de blanc et entourant des lacs d’un bleu ciel magnifique, à un versant sombre, à la roche noire et au relief plus serré. On croirait être passé des Alpes du nord aux Pyrénées ou au Mercantour.

Nous descendons petit à petit dans la vallée. Ce côté de la montagne est moins spectaculaire en terme de paysage. C’est plus bas, plus peuplé, plus cultivé. Mais les villages sont vraiment jolis et agréables, ce qui compense. Toutes les places principales sont en cours de rénovation, on sent qu’il y a une volonté politique de développer le tourisme dans ce secteur. Ce qui se comprend, ce serait un camp de base beaucoup plus agréable que l’autre côté de la cordillère, plus peuplé et aux villes vraiment laides mais où se concentre pourtant toute l’activité touristique à l’heure actuelle. Il ne nous reste plus qu’à repasser de l’autre côté de la Cordillera Blanca pour arriver à Huaraz, en passant par la Punta Olimpica, autre col réputé de la région à peu près aussi haut que le précédent. Cette fois la route est bitumée, et nous nous surprenons à terminer les 1700m d’ascension en une matinée.

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