Pérou – Cordillera Blanca

Huaraz

Huaraz est très certainement dans le top 5 des villes les plus laides que j’ai eu l’occasion de visiter. Détruite par un violent tremblement de terre en 1970, elle a été reconstruite de manière moderne (pour l’époque) les années suivantes. Ses rues ne sont que des alignements de bâtiments en béton, fonctionnels et sans véritable style. C’est aussi la première ville véritablement touristique que nous voyons au Pérou. Les gens ne viennent bien évidemment pas ici pour l’architecture, mais pour la montagne : Huaraz est située au pied des Cordilleras Blanca et Huayhuash, réputées mondialement pour la randonnée et l’alpinisme.

Si Huaraz est franchement moche, elle est idéalement située sur notre route, environ 3 semaines après Cajamarca et 3 semaines avant la prochaine grande ville. J’évoquais dans mon article précédent que les supermarchés sont rares au Pérou, et si les marchés permettent de se ravitailler de manière presque complète, certains produits peuvent être un plus difficiles à trouver dans les petites villes, surtout à bon prix. Les fruits secs et beurre de cacahuète, qui constituent une part importante de notre apport en protéines sur la route et dont nous transportons généralement des réserves suffisantes pour au moins une semaine. Et bien sûr les produits « de luxe », pas indispensables mais qui font plaisir pendant les quelques jours que nous passons en ville : café potable, granola…

À Huaraz nous nous fions aux recommandations de la communauté des voyageurs à vélo et allons directement à l’hostel El Tambo, géré par Mariela, hôte très sympathique qui fait des bons gâteaux. Nous y formons un petit groupe de voyageurs à vélo avec Ben le suisse (avec qui nous roulions depuis quelques jours), Kenny et Stephanie que nous croisons régulièrement depuis Bogota et Zach depuis le Guatemala. Nous croisons régulièrement d’autres voyageurs à vélo depuis la Colombie, mais au Pérou on se croirait presque sur la Loire à vélo. Comme souvent au dans ce pays, l’hostel est un repaire de francophones et nous y rencontrons plein de savoyards, lyonnais et grenoblois. C’est amusant de constater comment chaque pays attire certaines nationalités, et comment à l’intérieur d’un même pays certaines zones vont attirer des gens de régions différentes : on retrouve surtout des rhonalpins dans les montagnes et des bretons sur la côte… Cela fait déjà un moment que notre intérêt pour les villes se limite à quelques choses simples : se reposer, être propre, manger bien, avoir accès à internet, retrouver des amis et rencontrer de nouvelles personnes. Huaraz est peut-être moche, mais cet hostel coche toutes cases et nous y restons un peu plus longtemps que prévu.

Elisa et son chat à Huaraz

Pastoruri

Après Huaraz nous allons traverser une troisième fois la Cordillera Blanca (puis une quatrième pour rejoindre Oyon). Nous passons cette fois-ci dans le secteur du glacier Pastoruri. Ce glacier facilement accessible par la route abrite occasionnellement des compétitions de ski, probablement les seules organisées aussi proche de l’équateur. Malheureusement il fond à vue d’oeil et est supervisé par des experts du réchauffement climatique. On estime qu’il aura entièrement disparu dans une quinzaine d’années… Ce qui risque de poser des problèmes d’approvisionnement en eau pour les vallées alentours. En attendant, les communautés de la région dépendant fortement de l’apport économique du tourisme, on peut maintenant prendre l’avion puis un bus ou un taxi pour venir constater soi-même les effets du réchauffement climatique.

Nous pensions avoir atteint le summum en termes de paysages lors de notre traversée du Huascaran, mais force est de constater que c’est toujours aussi beau. Les profondes vallées glaciaires laissent ici la place à des paysages plus ouverts. Le regard porte plus loin et nous voyons, parfaitement alignés avec nous, les deux pics du Huascaran au nord qui dominent le paysage du haut de leurs 6768m et le massif du Huayhuash au sud, couronné par le Yerupaja et ses 6635m. Nous avons une petite pensée pour notre ami Ben qui est actuellement en randonnée là-bas, quelque part.

Nous croisons un cycliste brésilien qui nous conseille un spot de bivouac au bord d’un lac, quelques kilomètres plus loin. Nous pensions monter le camp de l’autre côté du col pour n’avoir plus qu’à descendre le lendemain. Mais c’est tellement beau, grandiose et désert que nous nous laissons séduire par son idée. En nous rendant au lac, nous dépassons Kenny et Stephanie. Ils se sont aussi laissé séduire par l’endroit, il est 14h et leur tente est déjà installée. À peine la notre montée un peu plus loin, le ciel commence à se couvrir, la température baisse… Et le ciel explose, déversant sur nous une longue averse de grêle. Nous n’aurons finalement pas tant profité du paysage, mais au moins on est au sec et au chaud.

Le lendemain matin, la surface du lac est gelée. Nous avons entendu toute la nuit des stalactites se décrocher dans un grand fracas du glacier situé quelques dizaines de mètres plus haut. Le col vers lequel nous nous dirigeons est couvert d’une fine couche de neige, ainsi que tous les pics à l’horizon. Il fait froid mais c’est trop beau. Encore une grosse montée d’endorphines… Je suis euphorique.

Dans la vallée

Nous rejoignons Kenny et Stephanie au col. À partir de là c’est une interminable descente de 50km. Bienvenue sur la Peru Divide : le profil des semaines à venir sera toujours plus ou moins le même : 50km de montée et 1500 à 2000m de dénivelé positif, suivi d’un peu de « plat péruvien » (une succession de montées et descentes moins longues), puis autant de descente.

La section suivante est un peu moins intéressante. Plus basse, plus peuplée. Nous traversons des canyons ponctués de villages. Nous croisons régulièrement Kenny et Stephanie, ce qui rend les choses plus agréables. Mais Elisa ne se sent pas très bien physiquement. Maux de ventre, ballonnements… Vivement qu’on arrive à Oyon pour faire une pause.

Depuis l’Equateur nous avons un peu plus de mal à connecter avec les gens que nous croisons. Dans cette partie du Pérou particulièrement, les interactions ne sont pas toujours très agréables. On dirait que les gens d’ici n’ont que deux mots de vocabulaire : « gringo », et « dónde ». Qu’ils nous hurlent dessus ou chantonnent d’un air moqueur. Ce qui a tendance à m’énerver un peu… La stratégie que j’ai trouvé est de leur répondre la même chose sur le même ton. Ça ne sert à rien, ils me prennent pour un débile, mais au moins ça détend l’atmosphère. À Baños nous demandons à la dame du restaurant où nous mangeons si elle peut nous remplir nos gourdes. Ce qu’elle fait, avant de nous demander 3 soles. C’est la première fois qu’on nous demande de payer pour de l’eau, mais « ici on fait payer pour tout, surtout aux gringos ». À Oyon, alors que nous rentrons dans une tienda, les deux hommes derrière le comptoir ne répondent pas à notre « Buenos dias » mais se mettent à chanter « gringo, gringo » en riant, s’interrogent entre eux sur notre nationalité (allemands ou italiens, comme d’habitude) et font des commentaires sur le physique d’Elisa, totalement indifférents au fait que nous parlons espagnol et comprenons tout ce qu’ils disent. On s’en va avant que j’explose. J’ai encore une longue liste d’anecdotes témoignant de cette difficulté à établir le contact, certaines heureusement plus amusantes que désagréables… J’ai d’abord pensé que cela était dû au manque d’éducation, la région étant très enclavée : quelques semaines plus tôt, dans la région de Cajamarca, nous avions rencontré des enfants qui devaient marcher deux heures pour aller à l’école, et autant pour en revenir… Mais là-bas au moins les gens étaient plutôt curieux et bienveillants. J’ai aussi pensé au fait que l’espagnol n’est pas la langue maternelle de ces gens, qui parlent quechua entre eux. Ils ne sont pas habitués à entendre d’autres accents que le leur et ont donc peut-être plus de mal à nous comprendre. Mais c’était déjà le cas dans certaines régions du Mexique, d’Equateur et partout ailleurs au Pérou, et jamais nous n’avons été confrontés à de tels comportements dans d’autres endroits.

Raura

Si la partie précédente était un peu moins excitante en termes de paysage, nous finissons enfin par arriver à nouveau sur un altiplano désert, parsemé de quelques bergeries et grands lacs. La route s’engouffre dans une étroite vallée pour monter vers le dernier col. Il y a beaucoup d’eau, on pourrait se croire dans un fjord en Norvège ou en Patagonie. Nous décidons de camper un peu avant le sommet pour n’avoir qu’une petite journée le lendemain jusqu’à Oyon. La vue est magnifique. Malheureusement, le lendemain matin Elisa est vraiment malade. Impossible de pédaler, la petite montée se transforme en longue marche en poussant le vélo…
Ce qui nous laisse le temps d’admirer une gigantesque opération minière, qui s’étale des deux côtés du col, de 4500m d’altitude à 4900m environ. Signal 4G à bloc, hôpital, terrain de foot, logements, beaucoup de greenwashing (plantations d’arbres, panneaux demandant de ne pas jeter ses déchets etc), usine d’eau potable… C’est vraiment impressionnant et contraste énormément avec les communautés d’éleveurs traversées quelques km plus bas, totalement délaissées, ainsi qu’avec les opérations minières plus « artisanales » que nous avons pu voir auparavant dans la région de Cajamarca. Ici tout le monde porte des équipements de sécurité, l’alcool est interdit et, chose rare au Pérou, les conducteurs roulent de manière très prudente et respectueuse. J’ai toujours été fasciné par ce genre d’endroit, cette combinaison d’industrie, d’environnement rude et de travail en plein air. L’industrie minière détruit le paysage, pollue la montagne et l’eau des villages en amont et est en général très mal acceptée par la population locale pour ces raisons, au Pérou comme partout dans le monde. Pourtant je ne peux pas m’empêcher de penser que je me verrais bien travailler ici, dans ce milieu rude, grandiose et un peu post-apocalyptique.

Oyón

Nous avions initialement prévu de nous reposer un jour voire deux à Oyon, mais Elisa étant vraiment mal en point nous y restons finalement trois jours. Qui tombent juste au moment des festivités du 15 août. Ça tombe bien : il n’y a pas grand chose à faire dans cette petite ville minière et c’est l’occasion de découvrir les traditions locales. Comme au Mexique, au Pérou on aime le bruit : les fanfares déambulent dans les rues dès 5h du matin et ne s’arrêtent que vers 23h, accompagnant des groupes d’hommes qui se relaient pour balader la vierge Marie. Le catholicisme andin est fortement tinté de croyances préhispaniques. La vierge porte une grande Lune argentée, montrant ainsi qu’elle n’est qu’une autre représentation de Mama Quilla, déesse de la Lune, des femmes, des cycles et du carnaval et principale divinité féminine du panthéon Inca. Plus tard j’aurais une discussion avec un berger, qui m’expliquera que Dieu a créé les humains a plusieurs endroits : les blancs en Palestine, les noirs en Arabie et les américains au lac Titicaca. Encore une forme de mélange entre le christianisme et les anciennes croyances préhispaniques, qui permit au espagnols d’expliquer leur religion aux Incas en « traduisant » ses concepts par d’autres proches et compréhensibles pour la population locale, afin d’obtenir son adhésion.

Découvrir ces festivités dans un endroit tout sauf touristique est une véritable chance. Mais au bout de 3 jours à entendre toujours le même air joué sans interruption 18h par jour, on se lasse. D’autant plus quand Elisa est malade. Sa situation ayant plus tendance à empirer qu’à s’améliorer, elle décide de ne pas continuer la Peru Divide. Elle a la possibilité de prendre ici un bus pour Lima puis Cusco. Nous avions déjà évoqué cette possibilité auparavant, je vais donc continuer en solitaire pendant qu’elle se repose, retrouve la santé et profite d’une vie un peu plus urbaine qui commence à lui manquer un peu. Je me donne deux semaines pour la rejoindre : je vais devoir envoyer.

A bientôt pour la suite des aventures péruviennes 🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *