Panama est un de ces toponymes, comme Samarkand, Ushuaia ou Ispahan, qui sonnent comme un rêve à l’oreille des voyageurs. Panama, c’est cet endroit où une étroite bande de terre d’une centaine de kilomètres réunit deux continents et sépare deux océans. Panama c’est une porte entre plusieurs monde : d’abord un simple port, où les galions espagnols regroupaient les richesses pillées le long de la côte Pacifique des Amériques, attirant la convoitise des pirates et des grandes puissances étrangères, puis un des plus grands ouvrages de génie civil de l’histoire de l’humanité, où circule aujourd’hui une part importante du commerce mondial sous forme de marchandise sur le canal et de manière plus virtuelle dans les banques de la capitale.
Panama City
On dit souvent que le voyage importe plus que la destination. Pourtant, arriver à Panama est pour nous un moment fort, tout comme notre départ de Tuktoyaktuk 18 mois plus tôt. Se savoir à cet endroit précis du monde, au bout d’une route qui ne va pas plus loin (ou presque), à l’extrémité d’un continent, à la fin d’une aventure et au début d’une autre… C’est assez émouvant mine de rien.
Pour des raisons de calendriers, nous avions prévu depuis longtemps d’arriver en bus à Panama. Après presque 24h de bus depuis San José, capitale du Costa Rica, ville qui nous sembla un peu triste et morne, Panama nous apparait par contraste d’une éclatante splendeur. Coincée entre l’océan Pacifique, la jungle et le canal, ville toute en hauteur avec ses gratte-ciels et son quartier colonial à plusieurs étages, elle tranche brutalement avec les autres villes centro-américaine, plates et étalées, que nous avons traversé jusqu’à présent. Panama est un curieux mélange : c’est à la fois un grand port à l’ambiance caribéenne sur la côte Pacifique, la ville la plus européenne et la plus nord-américaine que j’ai vu sur ce continent. Un foutu bazar, un palimpseste architectural et culturel évoquant l’histoire complexe de la région ces 5 derniers siècles et surtout depuis l’indépendance il y a tout pile 200 ans. Un mélange de modernité et d’antique, de pauvreté et de richesse, de cultures locales et importées, le tout dans un petit quadrilatère d’environ 25km sur 5 (à peine la moitié de la métropole lyonnaise) où les transitions d’un quartier et d’une ambiance à l’autre sont brutales. On y rencontre de tout : des vieux blancs nord-américains dans les hôtels des beaux quartiers, migrants temporaires ou permanents à la recherche de soleil, de services de santé peu onéreux et qualitatifs et d’un exotisme familier et rassurant; de jeunes latinos arrogants en costards-cravate, talons aiguilles et grosses voitures dans le quartier des affaires; des afro-caribéens aux noms français et indigènes Guna dans les immeubles délabrés qui s’étalent autour de la vieille ville. Panama me fait penser à un mélange de beaucoup d’autres villes que j’ai traversé : La Havane bien sûr, soeur presque jumelle qui serait resté figée dans le temps. Marseille, Porto et Lisbonne, grandes villes portuaires du sud de l’Europe, portes de l’Afrique et des outremers au passé grandiose, au présent décadent et au futur gentrifié. Vancouver enfin, pour ce mélange de gratte-ciel en bord de Pacifique et de forêts humides préservée en pleine ville, où la faune sauvage continue de vivre sa vie entourée d’humains bruyants. Dans la partie moderne de la ville, on croise plus de personne en blouse d’hôpitaux ou costumes de banquiers que partout ailleurs en Amérique centrale. À croire que le tourisme ici concerne surtout des personnages âgées à fort pouvoir d’achat. Pourtant, malgré l’eau potable au robinet, les transports publics modernes et la concentration inouïe de banques, 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Panama est une ville un peu folle, intense. Une ville qui malgré sa petite taille et ses transports en commun efficaces souffre d’une grave addiction à la voiture. Le dimanche, quand le malecón est fermé à la circulation motorisée et que les rues sont globalement plus calmes, plutôt que de se déplacer à vélo, les panaméens viennent garer leur véhicule transportant leur vélo au plus près du parcours. Ici la bicyclette est une activité élitiste et pas un moyen de transport : on trouve plus de boutiques haut de gamme vendant des casques à 300$ que de petits ateliers de quartier assurant la survie de vielles bécanes hors d’âge.
Autre symptôme de cette folie : Panama regorge de malls, grands centres commerciaux climatisés dans les premiers étages des grattes-ciels. On y trouve de tout : des magasins d’outdoor un peu cheap aux chirurgiens esthétiques. Pourtant ces malls font vides et artificiels, les vendeurs plus nombreux que les clients semblent s’ennuyer et de nombreuses boutiques sont fermées lors de nos passages.
En bref, c’est une ville fascinante, à la fois attirante, repoussante et épuisante. Une ville ardente, où l’excitation des premiers jours est vite remplacée par un désir tout aussi intense de fuir le plus loin possible de cette folie et agitation.
Darién
Si Panama est une porte pour les navires, c’est aussi un mur pour le transport terrestre : il n’y a pas de route entre ce pays et la Colombie voisine, séparés seulement par une étroite bande de jungle montagneuse. Cette frontière est réputée être l’une des plus dangereuses du monde. Pas tant par les obstacles naturels qu’elle présente, qui sont déjà grands, mais surtout parce qu’elle est une zone de non-droit contrôlée par les cartels, qui y font transiter toutes sortes de marchandises, drogues d’une part et humains d’autre part, à la recherche d’un avenir vivable et prêts à payer très cher le droit de tenter leur chance à travers ce territoire de tous les dangers. Ce qui s’y passe est opaque, caché dans l’ombre de la haute canopée et des nuages qui couvrent cette région pratiquement douze mois par an. Ce qui est certains, c’est que les gouvernements panaméens et colombiens interdisent formellement la traversée terrestre de cette frontière, et qu’il serait stupide de s’y aventurer simplement par plaisir et goût de l’aventure. Les seuls moyens possibles à l’heure actuelle de passer d’un pays à l’autre sont les suivants :
-en charter, gros voiliers de croisière proposant des traversées en quelques jours de la côte vers Carthagène des Indes. L’option la plus chère et la moins intéressante à mon avis : payer 700 dollars pour passer une semaine enfermé sur un bateau dans une ambiance spring break sans rien voir du pays, non merci.
-en lanchas, petits bateaux rapides utilisés par les locaux pour aller d’île en île et de village en village le long de la côte. C’est une option tentante, un peu plus chère que l’avion mais moins que les charters. Il faut environ 3 à 4 jours pour rejoindre la Colombie. Malheureusement, les échos que nous avons eu par les personnes qui l’ont tenté sont que cette aventure est très inconfortable et que le risque d’endommager les vélos est très élevé. Avec la blessure d’Elisa et en pleine saison des alizés avec une houle de plus de deux mètres, ce n’est clairement pas l’idéal.
-en bateau-stop : l’option la moins chère, si elle aboutit. Dans les faits, la probabilité de trouver un bateau allant en Colombie et acceptant de prendre des passagers, qui plus est avec des vélos, est proche de nulle. Nous avons la chance d’avoir mes parents dans le secteur qui prévoyaient de faire cette traversée et c’est l’option que nous avions retenue, avant que les conditions météo très défavorables et la complexité administrative ne mettent fin à ce projet.
-en kayak : c’est l’option retenue par nos amis Zach et Kacper, que nous retrouvons en pleine préparation à Panama City. Bien avant le voyage, nous avions vu la vidéo de Iohann Gueorguiev sur sa traversée en packraft par les îles San Blas. Le kayak est un peu le vélo des mers et des rivières, j’aime sa simplicité et sa capacité d’exploration qui lui permettent aussi bien de briser la glace avec les communautés locales que d’accéder à des endroits isolés. Sa capacité de portage plus élevée qu’à vélo, le fait qu’il ne dépendent pas de routes, qu’il puisse naviguer dans quelques centimètres d’eau et être porté sur terre si besoin lui ouvrent ainsi l’accès à des bivouacs inaccessibles par aucun autre moyen de transport. C’est l’option qui me faisait le plus rêver, mais c’est aussi la plus chère, la plus difficile et pas la plus sûre, surtout en cette période de vents forts et de houle. Elisa ne se sentait de toute façon pas prête à me suivre dans ce projet.
-en avion : le plus rapide, le plus sûr et le moins cher, mais pas le plus écolo ni le plus intéressant. Nous aurions aimé éviter cette solution, mais entre notre plan voilier tombé à l’eau, la blessure d’Elisa et le fait que nous ayons un rendez-vous en Colombie prévu avec ma famille… C’est finalement la solution qui s’est imposée. L’aventure en kayak sera pour une autre fois. Après tout, le monde ne manque pas de rivières, d’îles et de lacs.
Arrivés à Panama City le 17 janvier, nous devions retrouver mes parents vers le 20 sur la côte panaméenne. Suite à l’annulation de ce projet, nous nous sommes rabattus sur un vol le 31, ce qui nous laissait pas mal de temps à tuer. Malheureusement, la blessure d’Elisa nous a contraint à rester en ville, à proximité des médecins et hôpitaux pendant un bout de temps et nous n’avons pas tellement pu mettre ce temps à profit pour explorer le pays, qui semble pourtant regorger d’endroits magnifiques. Panama est le pays au monde ayant le pourcentage de territoire protégé le plus élevé au monde. Si le Panama est un pays assez touristique, son atmosphère est beaucoup plus tranquille et rustique comparé au Costa Rica voisin. À vélo, ce n’est sûrement pas non plus le pays idéal : le pays est peu peuplé et n’est traversé d’ouest en est que par la panaméricaine, d’où partent quelques routes sans issues, offrant peu de possibilité d’itinéraires à explorer. Mais c’est un bon pays pour se poser quelque part et profiter de sa nature luxuriante et de son ambiance particulière, mélange afro-caribéen, latino, européen et asiatique au rythme particulièrement lent et nonchalant.
Mis à part quelques jours sur la côte caribéenne avec mes parents une fois Elisa bien remise, nous n’en aurons donc que très peu profité. Mais l’hostel où nous passons une semaine dans la capitale devient vite un véritable foyer. Nous qui n’avons pas pour habitude de rester longtemps dans un logement payant pour des raisons de budget limité, nous redécouvrons les joies de se sentir un peu chez soi quelque part, de dormir dans un lit, d’avoir une cuisine et surtout, de rencontrer du monde. Ce qui est chouette au Panama, c’est que ce pays attire autant des touristes en vacances pour deux semaines que des voyageurs un peu plus aventuriers. Une sorte de mélange entre le Costa Rica et le Nicaragua en quelques sortes. Chaque jour de nouvelles personnes arrivent et repartent, pendant que d’autres restent plus longtemps, et tous ont des histoires différentes à raconter. J’avoue avoir un pincement au coeur en repartant. Chose qui ne m’attirait pas vraiment avant, je me verrais bien maintenant faire un volontariat dans un hostel. Dans ce genre d’endroit (ou même chez soi grâce à des plateformes comme Warmshowers, Welcome to my garden etc), on peut tout à fait voyager et s’inspirer tout en étant sédentaire, au gré des rencontres et des histoires de chacun. Ce séjour aura planté une petite graine dans ma tête, à voir si elle grandit.
Merci de nous avoir lu ! On vous retrouve bientôt pour la suite des (més)aventures en Colombie. Hasta luego !
6 réponses sur « Panama »
Merci Hugo pour ton récit, qui comme les précédents, est bien écrit, intéressant et accompagné de belles photos. J’apprécie aussi tes réflexions et la sagesse de vos décisions à Élisa et toi. Je vous souhaite le meilleur pour la suite.
Merci Denis !
C’est ce qui est beau chez le voyageur ouvert et adaptable, une annulation, un changement de programme ouvre parfois sur un autre projet ou envie pour plus tard. Qu’il se fasse ou pas, il nourrit. Le volontariat m’a souvent donné envie, autant sur le chemin de Compostelle que dans des refuges de montagne. Rencontres, échanges, retour de ce que l’on a reçu en voyage…
Oui voilà, il faut savoir saisir les opportunités qui se présentent, être capable de s’adapter et ne pas toujours coller au plan. C’est une des raisons pour lesquelles on ne voulait pas trop de sponsors ou de partenariats : pour conserver cette liberté.
À la lecture on s’évade au bord du Pacifique, dans une forêt équatoriale en oubliant un moment le discours médiatique. En ce moment on parle JO, un truc qui aurait faire l’objet d’un référendum, élection européenne et comment trouver des millards pour sauver le pays.
Voilà vous avez les nouvelles du pays.
Demain, premier jour du printemps, je roule avec Sined pour un tour de l’Argonne. Je vous l’accorde c’est moins exotique mais comme le voyage est souvent aussi intéressant que l’endroit…
Merci pour les nouvelles du pays 😉
L’exotisme c’est toujours une question de point de vue !