Michoacán

N’avoir aucune attente à propos d’un endroit est le meilleur moyen de ne pas être déçu, voire d’être agréablement surpris. Nous savions deux choses du Michoacán : c’est le premier producteur mondial d’avocats et une destination hivernale populaire pour les papillons monarques. Nous avons découvert des paysages magnifiques et variés, une culture indigène bien ancrée et très ancienne, une gastronomie riche et subtile et surtout une hospitalité incroyable.

Dark waters

Le plus grand lac du Mexique est tellement pollué qu’il est fortement déconseillé de s’y baigner. Quelques pêcheurs et tout un écosystème naturel continuent pourtant d’essayer de survivre sur ses rives. En une cinquantaine de kilomètres seulement, nous avons traversé à la fois les communautés les plus riches et les plus pauvres que nous ayions vu au Mexique jusqu’ici. Étrange et embarrassant, et pourtant si beau.

À l’ouest du lac, le pueblo magico d’Ajijic est aujourd’hui une véritable colonie de retraités et télétravailleurs gringo. Comme souvent dans ce genre d’endroits, on croise aussi bien des riches cowboys arrogants qui ne parlent pas un mot d’espagnol que des artistes et ex-hippies. Richard et Diana, nos hôtes, font partie de cette deuxième catégorie. Enseignants globe-trotteurs à la retraite, ils ont travaillé dans des écoles américaines aux Etats-Unis, France, Maroc, Bulgarie, Equateur, République Dominicaine, Mexique… Après avoir terminé leurs carrières à Guadalajara, ils profitent d’une retraite de septuagénaires actifs et sportifs. Pour Richard, il n’est pas question de raccrocher le flambeau. Son métier d’enseignant était pour lui un moyen de contribuer à améliorer le monde par l’éducation. À plus de 70 ans, il s’est reconverti en podcasteur/instagrameur. Son objectif : parler des projets qui contribuent à impacter positivement la planète pour inspirer ses auditeurs à trouver des organisations proches de leurs affinités avec lesquelles s’engager (lien en bas de page).

À l’est du lac, la route se transforme en piste et nous traversons des villages enclavés et très pauvres. Dans la rue, de jeunes enfants jettent des cailloux aux chiens qui se battent pendant que des femmes se lavent les cheveux dans des bassines devant leur maison. Les activités économiques semblent être la culture de la chayotte, une plante proche de la pomme de terre, et la pêche.

Purepecha

La ville de Zamora est notre première étape dans l’état de Michoacán. Située dans la plaine à 1500m d’altitude, il y fait chaud. Ici on cultive principalement des baies (framboises et mûres) sous des tunnels en plastique. Nous rencontrons Lili, Nacho et Fernando, groupe de cyclistes qui préparent un voyage en Italie et nous hébergent pour la soirée. Le lendemain matin, ils nous accompagnent en direction de la meseta purepecha. La meseta est un plateau volcanique situé à une altitude moyenne de 2500m où vit la nation Purepecha, descendante du peuple Tarasque, rival des aztèques, qui régnait sur l’ouest de l’altiplano mexicain avant l’arrivée des espagnols.

Santuario de Guadalupe de Zamora

Dans les villages purepecha de la meseta, l’ambiance est irréelle. Il fait froid, l’air est enfumé par les feux des cheminées et cuisinières. Des hauts-parleurs diffusent des voix de femmes qui semblent répéter des mantras incompréhensibles, probablement dans la langue purepecha. C’est dimanche, jour de biture pour les hommes. À Cocucho, le chef du village un brin éméché nous donne de l’eau et nous assure que nous sommes à seulement deux jours de vélo de Mexico (il nous aura fallu un mois pour y arriver, en faisant quelques détours). À Angahuan, un cavalier nous explique qu’ici il n’y a pas grand chose à faire le dimanche, mais qu’il y a beaucoup de fêtes traditionnelles qui sont des occasions de boire des coups, écouter de la musique, danser et bien sûr célébrer les traditions.

Le lundi dans les communautés indigènes au Mexique est le jour des travaux communautaires. Lors de notre passage à Angahuan, les hommes se préparent à aller nettoyer une rivière et les femmes sont chargées de leur apporter à manger. Pendant ce temps, nous allons explorer les ruines de San Juan Parangaricutiro, village détruit par l’éruption du volcan Paricutín et dont seule l’église dépasse encore de la lave. Le Paricutín est un des volcans les plus jeunes du Mexique et même du monde. Le 20 février 1943, après plusieurs jours d’activité sismique, un couple d’agriculteurs a découvert une faille dans son champ de maïs d’où s’échappait de la fumée. Effrayés, ils ont couru au village prévenir les habitants. L’éruption du Paricutín a duré 9 ans, a rasé plusieurs villages et a attiré de nombreux volcanologues pour qui c’était une occasion rare d’assister à la formation d’un volcan. Nous sommes ici à l’ouest de l’axe néovolcanique, plus haute cordillère du Mexique qui s’étend à travers tout le centre du pays. Tous les plus hauts sommets du Mexique (Pico de Orizaba – Citlaltépetl, Popocatépetl, Iztaccihuatl, Nevado de Tolua etc) sont situés le long de cette chaîne de montagnes à la forte activité volcanique et sismique. Du fait de l’altitude élevée, le climat est tempéré et c’est le long de cet axe que la population du pays est la plus dense.

Plus bas dans la vallée, nous redescendons vers Patzcuaro. Cette petite ville au bord de son lac était un important centre religieux pour les Tarasques, qui considéraient le lac comme la porte entre le royaume des vivants et des morts. Après la conquête les espagnols ont implanté ici leur pouvoir religieux et administratif pour contrôler le Michoacán. Aujourd’hui, Patzcuaro est une ville assez touristique, en particulier au moment de la fête des morts où le lac joue un rôle important. Chaque village purepecha est spécialisé dans un artisanat : poterie, lutherie, travail du cuivre, fabrication d’alebrijes et de statuettes de diables… Cet artisanat est ensuite exposé et vendu à Patzcuaro dans différentes boutiques et ateliers. De nombreuses galeries d’arts sont venues se greffer à cette dynamique, faisant de cette ville un lieu culturellement très actif.

La culture Purepecha se ressent aussi beaucoup au marché, où l’on croise de nombreuses femmes en tenue traditionnelle. Quelques jours avant le carnaval, on y trouvait des toritos, statuettes de taureaux qui sont utilisées lors de cette fête dans le cadre d’une danse aux origines incertaines.

Patzcuaro a vraiment été un coup de coeur pour nous. Nous n’y avons passé que 4 jours, mais c’est un de ces endroits où nous aurions pu nous arrêter très longtemps.

Soylent Green

L’état de Michoacán est surtout connu pour être le premier producteur au monde d’avocat. L’essentiel de la production est située autour de la ville d’Uruapan, de l’autre côté de la meseta purepecha. Dans les années 2010, la forte croissance de la demande en avocats a entrainé une ruée vers l’or vert et les cartels ont cherché à s’emparer de cette manne financière. À tel point que la région a connu une véritable guerre de l’avocat. Heureusement pour nous, en tant que touristes nous ne sommes pas vraiment affectés et nous ne ressentons pas vraiment d’insécurité, malgré les articles sur internet qui classent Uruapan comme une des villes les plus dangereuses du monde. Les gens sont plutôt rassurants : contrairement à d’autres endroits, personne au Michoacán ne nous a dit « c’est dangereux ». Par contre, cette folie de l’avocat est réellement un problème pour la région. Si elle contribue effectivement au dynamisme économique, la richesse créée ne profite pas à tout le monde. Elle se fait même au détriment de certaines populations rurales, qui sont forcées à vendre leurs terres ou à payer de lourdes taxes aux cartels. L’impact environnemental non plus n’est pas négligeable : la culture de l’avocat nécessite beaucoup d’eau, et la monoculture n’est jamais bonne pour la biodiversité et la résilience face aux maladies. On y repensera avant d’en mettre dans tous nos plats.

Morelia

La capitale du Michoacán, surnommée la ville rose, est une grande ville universitaire dont le riche patrimoine du centre historique est classé à l’Unesco. L’université de Morelia est d’ailleurs la plus ancienne du continent américain. Nous y rencontrons de nombreuses personnes intéressantes : Manuel, livreur à vélo pour une entreprise d’optiques, qui n’a pas eu la chance de faire des études mais est très éduqué et parle parfaitement plusieurs langues, qu’il pratique en abordant les étrangers (comme nous) dans la rue. Brice, historien français vivant à Morelia depuis des années, expert en médecine traditionnelle. Nos hôtes Alejandro, Ximena et leurs enfants, famille adorable à la fois artistes, sportifs, scientifiques et très altruistes. Beaucoup d’inspiration pour la suite de notre voyage et le futur.

L’effet papillon

Chaque année au mois d’octobre revient le papillon monarque. Cet insecte migrateur passe l’été au Canada et aux États-Unis et l’hiver dans le centre du Mexique, en particulier dans les forêts d’altitude du Michoacán où le climat frais, la floraison et la présence d’eau lui permette de survivre. Son retour coïncidant avec la fête des morts, les peuples préhispaniques pensaient qu’il s’agissait des esprits des défunts et les vénéraient. Aller voir les papillons monarques pour les Mexicains, c’est un peu comme les fleurs de cerisier pour les japonais : un véritable rituel. Pour les préserver, des réserves ont été implantées dans des endroits propices, à proximité de villages de montagnes. L’implication économique de la population locale, qui entretient les sentiers et guide les visiteurs permet à la fois de créer des emplois dans ces zones montagnardes et d’inciter la population à en prendre soin pour garder cette source de revenus. Les villages dépendants des papillons, la coupe illégale d’arbres est réduite et les forêts sont entretenues plutôt que rasées.

Au-delà du lien entre le monde des morts et des vivants, le papillon monarque est aujourd’hui associé à la liberté et aux migrations. De nombreux mexicains et latino-américains tentent chaque jour de passer aux États-Unis, pour fuir des contextes économiques difficiles, la violence de la mafia et des gangs ou des situations politiques complexes. La traversée est particulièrement dangereuse : obstacles naturels (jungle du Darien, désert de Sonora…), coyotes (passeurs) pas toujours fiables, police mexicaine réputée très dure avec les migrants venant du sud, mur le long de la frontière américaine… Sur notre route nous avons rencontrés ou entendu parler de beaucoup de candidats à l’exil mexicains, vénézuéliens, colombiens, cubains et même russes et iraniens. Nous en avons rencontrés presque autant qui, après avoir réussi à passer aux Etats-Unis et travaillé plusieurs années illégalement se sont fait expulsés ou sont rentrés par choix. Pendant que les papillons monarques passent et repassent la frontière librement.

Chroniques d’un voyage annoncé

Après le Michoacán nous descendons de quelques centaines de mètres d’altitude et entrons dans l’état de Mexico par une petite route sinueuse à travers des vallées sèches et érodés, où les fleurs violettes des jacarandas bordant la route contrastent avec le brun des paysages. Il fait chaud… Nous arrivons à Valle de Bravo, petite station balnéaire un peu fresa (BCBG) en bord de lac, spot de parapente réputé à 2h de Mexico, qui évoque un peu une version tropicale des Alpes du Nord. Nous avions prévu d’y passer une journée de repos pour récupérer avant d’attaquer l’ascension du Nevado de Toluca, mais à l’hôtel nous rencontrons Diana, Angélique et Fernando, avec qui nous passons les deux jours suivants à refaire le monde et à répondre aux questions de Fernando sur le voyage à vélo pour son podcast Cronicas de un viaje anunciado (lien en bas de page).

Liens

Cronicas de un viaje anunciado, interview (en espagnol) pour le podcast de Fernando, où nous parlons de voyage à vélo

The green elephant in the room, blog et podcast de Richard proposant des solutions et listant des organisations environnementales à rejoindre ou soutenir

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