Se nourrir lorsque l’on est sédentaire est plutôt facile. On va au supermarché, on remplit son panier, toujours plus ou moins avec les mêmes aliments et on rentre à la maison. De temps en temps, on s’offre un restaurant, sans trop faire attention au prix. Il est facile d’avoir toujours une bière fraîche au frigo pour l’apéro, et de stocker des produits pour une occasion particulière. En itinérance, que ce soit à pied, à vélo, en kayak ou autre, c’est un peu plus complexe. Certains produits sont fragiles (les oeufs, on oublie). D’autres ne supportent pas la chaleur. La bière pèse lourd, prends de la place, produits des déchets qu’il faut transporter… Et perd une grande partie de ses pouvoirs magiques quand elle est tiède.
Ces contraintes ne sont pas trop gênantes lorsque l’on part deux semaines en congés payés sur la Loire à vélo, la côte Atlantique ou n’importe quelle autre destination dans une région densément peuplée, où il est possible de se nourrir convenablement sans pratiquement jamais transporter de nourriture. Pour une traversée à pied des Alpes ou des Pyrénées, ou à vélo en Islande, au Canada ou même dans certains coins du Massif Central, il existe certaines règles à respecter pour avoir une alimentation permettant d’aller au bout du voyage, d’autant plus sur des aventures au long cours. Cet été dans le nord du Canada, j’ai eu pas mal le temps de cogiter sur le thème de la nourriture entre deux épiceries. Avec seulement 4 ravitos dans le Yukon, un territoire grand comme la France, mieux vaut ne rien oublier quand on va faire ses courses !
Calories / Poids / Encombrement
La nourriture est avant tout un carburant. Pour pouvoir avancer, nous devons consommer un certaine quantité d’aliments, plus ou moins importante selon la dépense physique. Une journée de 100km à vélo avec un fort vent de face nécessitera une quantité de nourriture plus importante qu’une journée de 50km avec le vent dans le dos. L’unité permettant de mesurer la quantité d’énergie nécessaire est la calorie.
Les calories sont divisées en 3 groupes : glucides, lipides et protéines. Grosso modo, chacun de ces groupes à un rôle différent :
-les glucides sont rapidement assimilés par l’organisme. C’est la raison pour laquelle certains athlètes consomment des gels, qui sont uniquement constitués de glucides et sont assimilés immédiatement.
-les lipides (en gros, le gras) sont assimilées plus lentement et fournissent un carburant qui dure plus longtemps, mais avec une intensité moins forte que les glucides. Leur combustion lente leur donne également l’avantage de pouvoir s’alimenter à intervalle plus éloigné sans coup de barre. Enfin, 1g de lipide est plus calorique qu’un gramme de glucides ou de protéine. Plutôt intéressant quand on cherche à alléger son sac. Ce sont deux des raisons pour lesquelles beaucoup de sportifs de longue distance adoptent le régime kéto, qui vise à habituer le corps à tourner aux lipides plutôt qu’aux glucides, notamment pour pouvoir puiser dans ses réserves lorsqu’il cesse d’être alimenté.
-les protéines, qui ont plus vocation à faciliter la récupération et la reconstruction des muscles après l’effort plutôt que d’être un carburant en soi.
Pour avancer lorsque la quantité d’aliments transportable est limitée, il est donc nécessaire d’avoir une idée de la quantité de calories qui va être nécessaire à tenir l’effort. À titre d’exemple, on considère souvent qu’une bonne journée de marche ou de vélo nécessite environ 4000 calories (variable selon la taille, la masse musculaire, le poids à transporter etc). Il existe de nombreux calculateurs en ligne pour estimer la quantité de calories nécessaire selon ces critères ainsi que la durée et l’intensité de l’effort que l’on envisage de fournir par jour.
Par conséquent, il va être nécessaire de privilégier des aliments avec un rapport calories / poids / encombrement efficace. Comme évoqué plus haut, les lipides fournissent à poids égal plus de calories que les glucides et protéines. Mais il faudra également consommer une quantité de protéines suffisante pour permettre au corps de mieux récupérer. Pour autant, pas besoin d’embarquer un stock de protéine en poudre, type whey. On en trouve bien assez dans les aliments « normaux ». La bonne nouvelle, c’est que de nombreux aliments naturels sont très riches en protéines et en lipides. Ils ont donc un rapport calories / poids / encombrement intéressant pour la randonnée. L’autre bonne nouvelle, c’est que la plupart de ces aliments sont trouvables à peu près partout dans le monde. En d’autres termes, on va plutôt embarquer du fromage, du beurre de cacahuètes ou des fruits secs que de la salade verte.
Disponibilité / Prix / Qualité
Si la nourriture est avant tout un carburant, tous les carburants ne se valent pas. On a vu dans le paragraphe précédent la différence entre glucides, lipides et protéines, mais il existe également d’autres critères à prendre en compte pour juger de la qualité d’un aliment.
Il peut être tentant de se nourrir de barres chocolatées types Snickers, Clif Bar ou autres, très caloriques pour un encombrement et un poids assez faible. À court terme, pourquoi pas. Dans certains endroits du monde, c’est d’ailleurs la nourriture la plus facile à trouver. Sur le long terme, cela va avoir plusieurs inconvénients : d’une, ça coûte extrêmement cher. De deux, ce n’est pas très bon pour la santé… Ce qui me permet d’introduire un nouveau concept : le rapport disponibilité / prix / qualité.
Pour pouvoir acheter un aliment, il faut déjà qu’il soit disponible. En Espagne, nous carburions au couscous. Au Canada, en dehors des Walmart et des grandes villes, c’est introuvable. Nous avons donc dû nous adapter et faire avec les aliments que nous trouvions. Dans le delta du Mackenzie, à l’extrême nord de notre périple, les aliments ont parcouru des milliers de kilomètres en camion pour arriver. La population (hors touristes) de cette région est d’environ 5000 habitants, majoritairement Inuits ou Gwichins : la chasse, la pêche et la cueillette représentent encore une part importante de leur alimentation. Par conséquent, les épiceries sont approvisionnées de manière assez irrégulière, ce qui entraîne de nombreuses pénuries sur certains articles et des aliments à des prix élevés, en particulier pour les produits frais. Nous avons donc dû nous adapter pour acheter ce qui était disponible, et que nous pouvions financièrement nous offrir : les flocons d’avoine, purée déshydratée, pâtes et cacahuètes ont représenté la plus grande part de notre alimentation dans cette région…
Plantes sauvages comestibles
Par chance, le nord du Canada regorge de plantes sauvages comestibles. Savoir les reconnaître est un atout majeur, en particulier lorsque les prix sont élevés et les distances entre deux ravitaillement sont grandes. Pas besoin de tout connaître : savoir identifier quelques plantes répandues dans la région, de bonne qualité nutritive et pour lesquelles il n’y a pas de confusion possible permet d’alléger de façon conséquente le poids et le volume à transporter, tout en conservant une alimentation de qualité à un prix dérisoire. C’est également bon pour l’environnement : dans un pays comme le Canada, pratiquement tous les fruits et légumes ont parcouru des milliers de kilomètres avant d’arriver en rayon. Leur impact environnemental est donc très élevé, là où celui des plantes sauvages est nul.
Au Yukon, nous consommions quotidiennement pissenlits et fireweeds. Ces plantes sont simples à reconnaître, poussent absolument partout et sont de bonnes sources de vitamines. À l’occasion d’une sortie guidée dans le parc de Tombstone, nous avons également appris à reconnaître l’épilobe à feuilles larges, qui pousse le long des rivières et fait un bon substitut au thé. Et de temps en temps, nous ajoutions à notre régime des fraises des bois, qui poussent pratiquement partout dans cette région et à cette période de l’année. En terme de diversité, c’est assez faible et monotone. Mais cela permet de continuer à manger des « légumes » frais facilement.
Cuisinabilité
Le vélo, ça creuse. Et quand on a faim, on est moins exigeant. Ça tombe bien : cuisiner prends du temps, de l’énergie et nécessite de transporter du matériel, lourd et encombrant. En se contentant d’aliments simples et rapides à préparer, on allège le poids du vélo (pas besoin de transporter de matériel de cuisine élaboré) et on passe moins de temps à attendre le repas le ventre vide.
Certains aliments, comme les haricots, pois chiches, lentilles sont de bonne sources de protéine à bas prix et faciles à conserver, mais leur préparation nécessite du matériel (boîte étanche pour le trempage et le stockage une fois cuits) et beaucoup de carburant (temps de cuisson très long). Ils sont donc difficilement compatible lors de voyages où le poids et le volume comptent. L’idéal est de transporter des aliments ne nécessitant pas de cuisson, pour éviter de transporter du matériel de cuisine, ou bien une cuisson très courte pour laquelle un réchaud à alcool et un peu de combustible peuvent suffire. Nos ingrédients de prédilection : couscous et fruits secs. En Espagne, nous avons passé trois mois sans jamais (ou presque) utiliser notre réchaud. Nous mangions le soir du couscous froid, à peine plus long à gonfler qu’avec de l’eau chaude (et probablement plus rapide si l’on prends en compte le temps nécessaire pour chauffer l’eau). Nous y ajoutions des fruits secs (cacahuètes, poids chiches et fèves grillés, amandes, cajous, raisins…) et des légumes frais faciles à transporter. Au petit déjeuner : flocons d’avoine froids, beurre de cacahuète, banane écrasée. Et lorsqu’il est compliqué de transporter des bananes, comme au Canada, nous les remplaçons par des fruits secs.
Réconfort
Si simplifier son alimentation permet de s’alléger, il ne faut pas oublier que la nourriture a aussi un rôle réconfortant, en particulier lorsque les conditions deviennent difficiles (météo compliquée pendant plusieurs jours ou semaines, longues journées monotones sur les highways d’Amérique du Nord…).
Une barre chocolatée, des biscuits, un paquet de marshmallows à griller le soir au bivouac… Ce genre de petits détails n’apportent pas grand chose en terme de nutrition (voire sont mauvais), mais jouent un rôle important sur le moral. Sur la Dempster Highway, nous n’avions pas pris en compte cet aspect. Les derniers jours, tout ce que nous souhaitions était d’arriver au plus vite à Dawson City, pour trouver une épicerie et faire le plein de cookies, de chips et… de fruits frais. Cette leçon apprise, nous avons ensuite pris soin les semaines suivantes d’avoir au moins une fois par jour une « récompense ». C’est probablement ce qui nous a permis de tenir moralement, en particulier au Yukon où les conditions (pluie, froid, moustiques, longues routes monotones) étaient particulièrement difficiles. Dans le sud du Canada, nous avons adopté le « trail burrito » : un sandwich complet, calorique et réconfortant, qui est vite devenu addictif.
Les étapes chez des hôtes Warmshowers, en airbnb ou dans des hostels disposant d’une cuisine sont également de bonnes occasions de cuisiner des bons petits plats réconfortants tout en conservant un budget réduit, pour varier de la nourriture de bivouac. Pour les hôtes warmshowers, préparer un repas bien de chez nous est également un bon moyen de les remercier de leur hospitalité. Lors de ces étapes avec cuisine, nous en profitons généralement pour repartir avec des plats préparés qui nous permettent de faire un bivouac un peu plus « haut de gamme » le jour suivant. Nous avons une petite liste de recettes simples à préparer, nécessitant un nombre restreint d’ingrédients faciles à trouver, peu chères et adaptables en cas de régimes spécifiques de nos hôtes.
Déchets
Quoi de plus désagréable qu’un joli paysage ruiné par des épluchures d’oranges, des canettes vides et des emballages de gel ? Pas question d’abandonner ses déchets n’importe où : on les rapporte à la prochaine poubelle. Lors des ravitaillements, il faudra anticiper cet aspect. Les boîtes de conserves sont certes pratiques, mais elles sont pratiquement aussi encombrantes vides que pleines. Les emballages, pas tellement mieux. L’idéal est d’avoir des sacs étanches, types sacs de congélation, et de transvaser au moment de l’achat les aliments de leur emballage carton encombrant vers ces sacs réutilisables. Pour les fruits et légumes, pas le choix : il faudra les transporter. Réutiliser un emballage plastique comme poubelle et le tour est joué.
Petits et gros chapardeurs
Savoir choisir et préparer les aliments adaptés à un périple, c’est bien. Mais il ne faut pas oublier que dans la nature, la concurrence pour la nourriture est parfois rude. Les animaux sauvages ont faim et nos provisions leur font de l’oeil… Quoi de plus désagréable que de se réveiller un matin sans nourriture alors que le prochain magasin est à plusieurs jours de voyage ?
Un ours a un odorat mille fois plus développé qu’un chien. Dans les régions où cet animal est présent, il est primordial de sécuriser sa nourriture pour éviter d’attirer ce prédateur, potentiellement dangereux en particulier lorsqu’il est affamé. La nourriture doit donc être stockée loin du camp, soit suspendue dans un arbre, soit dans une « boîte anti-ours », impossible à ouvrir pour un animal. Mais si l’ours est probablement notre concurrent le plus effrayant, le risque de faire sa rencontre est finalement limité à certaines régions du monde et à certains moments de l’année (principalement au printemps, lorsqu’il sort d’hibernation et que la nature a encore peu à offrir). Nos concurrents les plus courants sont les rongeurs, renards et sangliers. J’ai entendu des histoires de souris qui avaient rongé des toiles de tente pour accéder à de la nourriture… Il est finalement assez simple de se protéger de ces animaux : suspendre la nourriture à un arbre dans un sac étanche est une garantie d’éviter les mauvaises surprises.
2 réponses sur « Gastronomie de plein air »
S’alimenter, quand on voyage « léger « , n’est pas « à prendre à la légère » !
Vue exhaustive de l’alimentation lors de ce type de voyage. Good job!