Cactus, mezcal et fourmis
La pluie tombe enfin, il est temps de reprendre la route. Nous montons d’abord dans un bus vers Tehuacán pour éviter une longue ascension par une route un peu dangereuse. À boire des cafés en attendant la fraicheur, notre condition physique ne s’est pas améliorée… à Tehuacán nous laissons une partie de nos affaires chez Aurea, hôte warmshower, et partons pour une boucle de 4 jours dans la réserve de biosphère de Tehuacán-Cuicatlan. Cette grande zone protégée concentre une diversité d’espèces animales et végétales rares à l’échelle mondiale. 20% des plantes qui s’y trouvent sont endémiques. Le climat de désert d’altitude aux précipitations très rares et aux températures peu élevées favorise le développement de cactus, agaves et autres plantes grasses à la croissance très lente. On y trouve des arbres entièrement verts capables de réaliser la photosynthèse par leurs troncs et leurs branches, des forêts de cactus très hauts qui se soutiennent entre eux par leurs racines et des sotolines, sortes de baobabs millénaires. La cuisine locale est forcément spéciale aussi : on y consomme du cactus sous toutes ses formes (fruits, fleurs, branches…), des insectes et du mezcal réalisé à partir de diverses variétés d’agaves.
Malheureusement, bien que cette région soit théoriquement protégée, certaines zones sont déforestées pour la culture d’agave à mezcal. La popularité grandissante de cette boisson est une source de revenus fiable pour les habitants de cette région pauvre où les autres opportunités économiques sont rares. Le gouvernement local tente de développer l’écotourisme et l’équipe du magnifique jardin botanique Helia Bravo fait un superbe travail de sensibilisation des visiteurs et habitants, mais pour l’instant cela a un attrait très local. Dommage, la région mérite vraiment d’être découverte et préservée. Peut-être parce qu’ils n’ont pas l’habitude de voir des étrangers, les gens d’ici sont d’une incroyable gentillesse qui nous touche profondément. Alors que nous demandons à une vieille dame à sa fenêtre si elle peut nous indiquer l’épicerie la plus proche, elle nous propose de venir prendre le café chez elle. À peine entrés, c’est l’embuscade : « à l’épicerie ils n’ont que des boites de conserve, vous n’allez quand même pas manger ça. Je vais vous faire une omelette et des tortillas ! ». La dame nous explique que sa fille est partie aux Etats-Unis et qu’elle les soutient financièrement. Là-bas, beaucoup de gens l’ont aidé, alors ça lui fait plaisir de nous aider à son tour. Beaucoup de voyageurs à vélo au Mexique nous ont parlé de karma. Donner ce qu’on peut, quand on peut, à quelqu’un qui en a besoin et recevoir en échange de quelqu’un d’autre quand on en aura besoin. Faire des actions positives pour provoquer la chance, générant ainsi un cercle vertueux. C’est quelque chose qui a l’air d’être important dans la culture mexicaine et que je trouve beau.
Après ces quatre jours dans le désert, nous reprenons la route vers le sud et Oaxaca. La bonne nouvelle : devant nous, 100km de descente. La, ou plutôt les mauvaises nouvelles : l’air se réchauffant d’1 degré par 100m d’altitude perdue, nous allons souffrir. Et il faudra ensuite remonter de 2000m en 30km. Au bout de la descente, dans le fond de la cuvette, la route est magnifique. Nous serpentons dans une vallée étroite fermée par les murailles ocres des sierras tapissées de forets de cactus géants. On ne serait pas surpris de voir Bip Bip et Coyote ou Lucky Luke traverser la route… Nous campons dans un canyon où vit une colonie de guacamayas. Au coucher du soleil, le chant des dizaines, voire des centaines d’oiseaux qui caquètent en choeur, déformé par l’écho a quelque chose d’un autre monde. Cette nuit nous offre une bulle d’oxygène : la route est belle, et pourtant difficile de profiter tant il fait chaud. Elisa est en train de craquer, nous nous énervons… Bref. Objectif : arriver à Cuicatlan, le gros village du coin, où elle pourra monter dans un bus pour Oaxaca pendant que je continuerai à travers la montagne.
La sierra Mixteca
À Cuicatlan, surprise : il n’y a que des minibus, impossible d’embarquer avec un vélo. Pas le choix, Elisa va devoir pédaler et gravir avec moi ce mur de 2000m pour sortir de la vallée. On prend une chambre dans un petit hôtel pour récupérer à l’abri de la chaleur. Le lendemain, départ nocturne à 5h du matin. Il faut qu’à 8h, quand la chaleur commence déjà à devenir trop pénible, nous soyons suffisamment haut pour y échapper. Rappelons-nous : si l’air se réchauffe d’un degré Celsius par 100m d’altitude perdue, cela fonctionne aussi dans l’autre sens. Les premiers 1000m d’ascension sont assez difficiles. La pente ne descend jamais sous les 7-8% et avec nos vélos chargés et nos gourdes bien remplies, nous les sentons. Heureusement, la route est neuve et à part quelques taxis qui font la navette vers les villages, il n’y a personne. Elisa tient au mental. Mais quel bonheur de rouler à la fraîche et de voir le soleil se lever. Vers 10h, nous constatons que non seulement nous avons gravi plus de la moitié de l’ascension mais qu’en plus les températures n’augmentent plus et que nous commençons à sentir une petite brise de montagne rafraichissante. C’est l’heure de sortir les hamacs et de faire une pause. Après une grosse sieste de presque 3h, nous avons l’impression que c’est une nouvelle journée qui commence. Nos jambes ne sont plus lourdes et nous avons un regain d’énergie. La pente est aussi plus douce, et les paysages commencent à changer drastiquement. Après le désert ocre du fond de la vallée, nous sommes maintenant sur un plateau crayeux cultivé, aux teintes vertes et blanches. Des agriculteurs à dos d’âne nous saluent amicalement. Nous arrivons au premier village et trouvons l’épicerie où nous faisons le plein de fruits. Les gens n’en reviennent pas de nous voir ici, à vélo. Le propriétaire de l’épicerie chasse le borracho du village qui cuvait dans la rue et nous installe une table et des chaises devant sa boutique pour que nous puissions manger à l’aise. Nous sommes presque au sommet, et les paysages changent à nouveau. Nous entrons maintenant dans la forêt humide d’altitude, où les arbres habillent leurs branches de mousses pendantes et d’épiphytes. C’est magique.
Nous sommes maintenant dans la sierra Mixteca, région montagneuse boisée ponctuée de villages indigènes mixtèques très pauvres. À l’inverse du désert de Tehuacan, le tourisme, porté par la proximité de la ville de Oaxaca est ici la principale opportunité économique. Alors que dans le désert, la gentillesse incroyable des habitants nous avait profondément touché, ici nous sentons une distance, une certaine froideur. Nous sommes juste des étrangers parmi d’autres, venus ici pour profiter de lieux qui sont parfois sacrés pour les autochtones, mais dont ils tirent un bénéfice économique par notre présence… Encore une situation un peu complexe.
Galerie
La boucle Ojos de Tehuacan que nous avons réalisée dans le désert est issue du site bikepacking.com. Lien
Site web et page facebook du jardin botanique Helia Bravo