Cabalgata en Baja

Robinsonade

À Tijuana, Edgar nous avait prévenu : le désert est une expérience intérieure, presque spirituelle. Dans Robinson et les limbes du Pacifique, le personnage principal seul sur une île désapprend petit à petit les codes de la société pour atteindre un état d’éveil et de contemplation en parfaite harmonie avec son environnement. Cette traversée de la Basse-Californie nous a fait entrapercevoir toute la puissance mystique du désert : comme le Robinson Crusoé de Fournier, nous avons dans un premier temps souffert de la monotonie et tenté de nous raccrocher à notre civilisation. Pour nous cela passe par les arrêts wifi dans les restaurants routiers, qui nous permettent de communiquer avec nos lointains proches.

Les horaires et calendriers ne sont que des conventions sociales, qui n’ont plus de sens lorsque l’on est seul. Petit à petit nous avons commencé à perdre le compte des jours et des heures et à vivre uniquement au rythme du soleil. À tel point que nous nous sommes rendus compte seulement plusieurs jours après avoir changé d’Etat que nous avions également changé de fuseau horaire.

Lorsque nous traversons le bassin de Vizcaino, la route devient désespérément rectiligne et plate, à travers une végétation monotone. Quand le regard n’est plus stimulé, il se tourne vers l’intérieur. Dans ce genre de situation je m’enferme dans une sorte de bulle de méditation. Je ne pense à rien d’autre qu’à avancer à un rythme plutôt soutenu, qui me permet de me maintenir dans cet état. Chaque stimulation qui m’oblige à changer mon rythme ou à porter mon attention sur l’extérieur me fait sortir de ma bulle et me fatigue nerveusement. Une voiture qui passe un peu trop près, le vent de face qui ne me permet pas d’atteindre ma « vitesse de méditation » ou Elisa, beaucoup moins rapide que moi mais que je ne veux pas perdre de vue, ce qui m’oblige à m’arrêter trop souvent. À la longue je finis par exploser et je deviens insupportable. 40 jours dans le désert, quand on n’est pas Jésus, Mohammed, ou Bouddha, c’est long ! Nous avions déjà vécu cette situation dans le nord du Canada. J’aimerais aller au bout de cette expérience un jour, mais je crois que cela ne peut se faire que seul.

Heureusement, lorsque nous sortons des routes, notre attention est entièrement absorbée par notre environnement. La beauté des paysages, la faune et la flore qui nous entourent nous remplissent de joie. Si le bitume matérialise une barrière entre nous et la nature, ce n’est plus le cas sur une étroite piste de terre sans aucun traffic, où nous zigzaguons à travers les plantes. Les animaux, ne risquant pas de se faire tuer par une voiture lancée plein pot dans un bruit effrayant sont beaucoup moins craintifs, plus nombreux et nous laissent les admirer plus facilement. La difficulté de la progression nous oblige également à ralentir, à faire plus de pauses et nous vide complètement physiquement. La Baja Divide est une route particulièrement belle qui se mérite. Sur cet itinéraire, la magie du désert opère puissance mille. La beauté grandiose des journées solitaires laisse la place aux soirées et aux nuits époustouflantes. L’absence de Lune lors de notre traversée nous offre des ciels noirs remplis d’étoiles, qui succèdent à des couchers de soleil à tomber par terre. Si visuellement c’est une claque, les sensations sonores sont encore plus fortes. Quoi de plus intense que de dormir dans le silence total du désert ou bercé par le ronronnement du ressac du Pacifique, et d’être réveillé au petit matin par le bourdonnement des colibris plutôt que par le rugissement des camions ?

À Ciudad Constitucion, nous retrouvons Oscar, que nous avions croisé plusieurs mois plus tôt au Yukon. Avec son crâne entièrement rasé, son calme imperturbable et le bouquin de Matthieu Ricard sur la méditation qu’il nous offre, on croirait presque un moine bouddhiste en mission. Nous décidons de terminer la route ensemble jusqu’à La Paz, où nous prendrons le ferry pour le continent. Oscar, finisher d’Ironman, est beaucoup plus rapide que nous et fait de plus longues journées. Pour nous c’est un challenge d’essayer de le suivre. Dès le deuxième jour, nous sommes épuisés. Mais nous découvrons que dans la fatigue, nos corps s’habituent et trouvent leur rythme. Si nous ne sommes plus en mesure de passer une bosse en force, nous pouvons continuer à rouler à un rythme plus tranquille sans difficulté. Chaque soir, nous sommes épuisés et nous nous endormons profondément. Chaque matin et après chaque pause, nous sentons que nos corps commencent à récupérer. Expérience intéressante et complémentaire de celle de la solitude du désert, qui éveille mon intérêt pour un bikepacking plus sportif que je ne pensais pas fait pour moi.

Un peu d’histoire

La colonisation de la péninsule est récente. Les premiers colons espagnoles furent des missionnaires catholiques, arrivés à partir du 18e siècle, suivis par des éleveurs puis des investisseurs étrangers intéressés par les ressources naturelles : métaux et poisson notamment. Aujourd’hui, le pillage de la nature est toujours le moteur de l’économie locale. Mines, exportation de homards et poissons vers la Chine, tours en véhicules tout terrain dans des environnements fragiles, harcèlement des baleines qui viennent se reproduire en mer de Cortez pour des touristes qui veulent s’approcher suffisamment près pour les toucher…

Cette colonisation a commencé par le sud, puis s’est étendue petit à petit vers le nord. Si bien que plus nous avançons et plus l’architecture est ancienne et les villages et ranchs nombreux. Santa Rosalía, ville minière fondée par l’entreprise française du Boléo, se distingue par son architecture qui évoque la Louisiane ou les DOM-TOM et son église conçue par Eiffel. Les oasis de Mulegé et San Ignacio par leurs rues tortueuses et leur architecture baroque typiquement espagnole. Et les villes agricoles poussées comme des champignons lors des 50 dernières années déploient leurs larges rues quadrillées adaptées à la voiture de part et d’autre de la Ruta 1.

Cowboys

Sur les highways, les cowboys sont ces touristes au volant de leurs énormes camping-cars qui conduisent leur véhicule comme si c’était une arme. Lancés pleine balle, ils roulent comme s’ils étaient seuls sur la route et reprochent aux cyclistes de les mettre en danger. Ces fous sont terrifiés à l’idée de se faire braquer et exhibent tous leurs jouets à plusieurs centaines de milliers de dollars : énorme 4×4 tractant un encore plus gros camping car, auquel sont parfois attachés un bateau et un véhicule tout terrain. Comme leurs ancêtres à la conquête de l’ouest, ils se regroupent en caravane et envahissent les endroits qui leur plaisent, sans considération pour la nature des lieux. Après tout ils apportent de l’argent, alors ils peuvent bien se permettre de garer leurs énormes maisons de plastique et d’aluminium sur les plus belles plages, au ras des flots. N’avoir que trois pas à faire entre le frigo et les pieds dans l’eau, une certaine idée de la liberté. Heureusement certains relèvent le niveau, nous dépassent très respectueusement en nous faisant de grands signes amicaux, nous offrent de l’eau et même des bières. Nous avons même croisé des américains en Prius avec une tente… Espèce très rare à protéger !

Sur les pistes de terre et de sable, les cowboys sont d’authentique vaqueros, portant moustache, santiags et stetson. Perchés sur leurs chevaux, lasso à la main, ils parcourent l’immense territoire de leur ranch pour surveiller le bétail et protéger chèvres et vaches des coyotes. Si le vieux pickup Ford rouillé et grinçant a remplacé la charrette, leur uniforme comme leur métier ont très peu changé depuis que leurs ancêtres sont arrivés dans ce désert. Lors des grandes occasions, ils se réunissent pour une cabalgata, une chevauchée. Fiers et amicaux, ils s’arrêtent toujours pour discuter et nous inviter à camper sur leurs terres. Muy feo répondent-ils quand nous leur demandons comment est la route plus loin. Ils savent de quoi ils parlent : vissés à leur destrier, ils vivent au même rythme lent que nous sur nos vélos et font face aux mêmes obstacles, bien que leurs montures soient plus adaptées à cet environnement que les nôtres. Ces cowboys ci ont tout mon respect. Ils vivent une vie rude et austère mais leur bienveillance est infinie comme le désert.

Frontière

Après 2 semaines d’acclimatation dans l’état de Jalisco (bien nécessaires pour s’adapter aux conditions météo et surtout culturelles très différentes du Canada), nous démarrons véritablement notre traversée du Mexique à Tijuana, ville-frontière entre les USA et le Mexique où les cultures latines et nord-américaines s’entremêlent de part et d’autre du mur.

Si aujourd’hui la frontière passe entre Tijuana et San Diego, il n’en a pas toujours été ainsi. Les toponymes à consonance hispanique (San Diego, Los Angeles, San Francisco, Colorado… pour ne citer que les plus connus) côté américain ne trompent pas : jusqu’en 1848, le Mexique englobait une grande partie de l’ouest actuel des Etats-Unis, de la Californie au Texas et jusqu’au Wyoming au nord. Si ces états ont conservé une population et une culture d’origine hispanique depuis le milieu du 19e siècle, l’influence anglo-saxonne est bien présente également côté Mexicain. On la retrouve dans la façon de s’habiller (casquettes, vêtements amples, tatouages), de parler (le spanglish, mélange d’anglais et d’espagnol), de consommer (énormes pickup, tacos king size, bières light…). La proximité des USA se ressent partout, et marque la vie de toutes les personnes que nous avons rencontrées.

Make America Mexico again !

Le mur

Le monument le plus célèbre de Tijuana, c’est certainement le mur qui impose brutalement dans le paysage la frontière avec les Etats-Unis. Le mur s’arrête à la plage de Tijuana, où il plonge dans la mer. Cet endroit a une atmosphère presque magique. Le mur n’est pas continu : des vides y sont laissés, suffisamment étroits pour qu’un humain ne puissent passer, mais suffisamment grands pour de petits animaux. De l’autre côté du mur, c’est une zone naturelle préservée, une grande plage déserte seulement peuplée d’oiseaux. Pratique pour repérer les humains qui tenteraient de passer. Je regarde à travers le mur et la sensation est incroyable : voir cet endroit naturel et idyllique de l’autre, côté, à quelques mètres. Cette grande plage, le grondement des vagues et les pélicans qui surfent sur les rouleaux. Le soleil qui commence à descendre au dessus du Pacifique, la lumière parfaite d’une fin d’après-midi d’hiver. Et moi derrière ce mur, au milieu d’une foule de gens qui comme moi regardent de l’autre côté, et qui comme moi n’ont qu’une envie : passer de l’autre côté et être sur cette plage déserte, qui nous attire de façon presque magnétique.

Soudain, quelque chose entre dans mon champ de vision. Il y a un type qui court sur cette plage ! Il court vers San Diego, qu’on aperçoit au loin. Il court sans s’arrêter. Il enlève sa veste, son t-shirt sans s’arrêter de courir. À côté de moi se tient un homme en béquilles avec un ballon au pied, footballeur unijambiste. Il se tourne vers moi, le visage rayonnant comme si son équipe venait de gagner la coupe du monde.

« Il est passé ! Il est passé ! »

Un autre bonhomme arrive, un grand maigre à casquette de rappeur, t-shirt flottant et petite moustache de chicano. Le style typique de la région.

« Hey ! Hey ! Arrêtez de regarder de l’autre côté, vous allez attirer l’attention. Hey ! Laissez le vivre son destin ! »

« Tu dis n’importe quoi, il y a toujours des gens qui regardent de l’autre côté ! »

« Il est passé ! Il est passé !  Vous le voyez encore ? Il est loin ! C’est une patrouille qui arrive là-bas ? Vous croyez qu’il y va y arriver ? »

Le coureur n’est plus qu’un petit point à l’horizon, puis disparaît. Le footballeur unijambiste rejoint ses équipiers en courant sur ses béquilles. Les puestos continuent de servir des clamatos, des tejuinos et du maïs grillé, et les bandas jouent « la boda del Huitlacoche », le tube norteño du moment. Tout est en ordre : une journée comme une autre au pied du mur.

Checkpoints

Le premier soir, nous avons campé à environ 35km de Tijuana et environ autant de la frontière, au bord d’un lac. L’endroit était une sorte de parc au bord de l’eau, avec des barbecues et un bar à Clamatos, boisson très populaire dans le coin à base (entre autres) de jus de tomate, de bière et de bouillon de palourdes. Le gardien du parc nous dit qu’il fermera le portail à 20h et le rouvrira à 6h, mais qu’il n’y a pas de problème pour qu’on campe ici. Le coin est un des plus calmes où l’on ai campé depuis un moment. Beaucoup d’oiseaux, d’étoiles et un lever de soleil magnifique sur les collines couvertes de blocs de granit rond.

à première vue, un endroit idyllique pour camper…

Le matin, nous retournons au village faire quelques courses et petit déjeuner. Nous nous installons au soleil sur la place du village. Soudain, deux militaires en tenue de combat sortis de nulle part, le visage cagoulé, nous abordent. Ils nous posent les questions classiques : d’où on vient, où on va, « vous voyagez à vélos ?! », vérification des passeports, où on a dormi et où on pense dormir ce soir. Plutôt sympas, ils sont plus protecteurs que méfiants. Et puis soudain l’un d’eux nous dit :
« Vous feriez mieux de ne pas trop traîner ici, ce village peut être dangereux. Pour aller à Ensenada, traversez le terrain de foot, tournez à gauche et suivez la route de terre. Vous allez arriver à la route numéro 3. C’est tranquille jusqu’à Ensenada. Faites quand même attention aux camions. »

Sur ces mots, ils nous rendent nos passeports et s’éloignent. En les regardant partir, on se rend compte que toute une escouade de soldats et de policiers en armes ont débarqué sur le parking derrière nous et discutent au milieu de leurs voitures blindées. Ça ne nous donne pas envie de trainer. On range nos affaires, on suit le chemin qu’ils nous indiquent de loin en faisant de grands signes et on trace sans demander notre reste. La route de terre et de sable qui mène à Ensenada est fréquentée par de nombreux poids lourds. À chacun de leurs passages nous nous retrouvons dans un nuage jaunâtre avec une visibilité de quelques mètres, couverts d’une couche de poussière de plus en plus épaisse. Plus loin sur la route, nous croisons plusieurs patrouilles de soldats armés jusqu’aux dents dans des camions blindés. Encore plus loin, un checkpoint où des soldats nous saluent, barricadés derrière des sacs de sable au bord de la route, devant un mur peint en honneur aux « Heroes Del desierto ». Gros changement d’ambiance après Jalisco, où nous nous sentions presque comme revenus en Europe.

Vignoble

Le lendemain, nous sommes dans la vallée de Guadalupe entre Tijuana et Ensenada, en plein coeur du vignoble mexicain. Je savais pour le tequila, le pulque et le mezcal mais je n’avais jamais entendu parlé du vin mexicain ! Il faut dire que malgré sa qualité (paraît-il, on ne l’a pas goûté…), ses trop petits volumes de production ne lui permettent pas de s’exporter. Pour les riches gringos qui passent la frontière pour passer l’hiver au soleil, c’est un arrêt obligatoire. La région est donc riche, sûre et plutôt chère : minimum 50$ la nuit pour se loger. Pas de camping, et il est trop tard pour chercher un endroit où bivouaquer, d’autant plus que notre aventure de la veille nous a un peu refroidi. Alors en parlant aux gens, nous finissons par rencontrer une famille qui nous propose de monter notre tente dans leur cour.

Des paysages bucoliques de vignes et d’oliviers qui ont un prix.

La nuit tombée, alors que nous étions devant la maison à discuter avec nos hôtes, je remarque à voix haute que le patelin est vraiment calme. Sur ces mots, les langues se délient.

« Maintenant c’est calme, mais ça n’a pas toujours été le cas. Beaucoup de gens viennent de tout le Mexique pour travailler ici, dans l’agriculture. Beaucoup de gens de toute l’Amérique centrale aussi, qui veulent tenter leur chance aux US. La frontière n’est pas loin. Beaucoup de gens pauvres donc, dont certains de passage et vulnérables. On essaie de les aider comme on peut… Mais comment souvent dans ces situations, une petite criminalité s’installe et s’organise plus ou moins en petits gangs. Avant il ne fallait pas sortir la nuit, trop dangereux. Tu vois le coin d’ombre là-bas au bout de la rue ? Tu pouvais avoir quelqu’un caché là, prêt à t’attaquer si tu passais trop près. »

Vous vous souvenez peut-être qu’il y a quelques années, on entendait beaucoup parler d’assassinats dans le nord du Mexique. Je me souviens d’un article dans un magazine qui s’interrogeait sur la culture narco dans le pays. Le journaliste se demandait pourquoi les narcos étaient aussi populaires auprès de certains mexicains. Il y avait des chansons à leur gloire, certaines personnes se faisaient tatouer leurs visages…

Notre hôte reprend, parlant vite et d’une voix basse.

« Les contras sont venus et ils les ont tous massacrés. Ils ont tué 200 personnes !»

« Les contras ? C’est qui, l’armée ? La police ? »

« Non, les contras c’est la mafia. Ils ont tué deux cent personnes ! Maintenant les gens se tiennent à carreau ! »

J’avoue, j’ai pris une claque. La Baja California est réputée une des régions les plus sûres du Mexique. Les touristes affluent pour goûter le vin local et passer l’hiver au soleil. Tijuana est la capitale mexicaine de la bière artisanale et une banlieue en cours de gentrification de San Diego, où s’installent de plus en plus d’américains. Et en coulisses, bien à l’abri de la vue des gringos, 200 personnes ont été massacrées.

Justina

Justina, qui nous héberge chez elle dans un village près de la frontière, nous raconte qu’elle est passée de l’autre côté. Seule. Le risque de se faire repérer est proportionnel au nombre de personnes. Si une patrouille tombe sur un groupe, tout le monde part dans une direction différente et peut-être, s’ils sont chanceux, certains pourront passer. Justina raconte que la veille de son passage, une patrouille mexicaine l’a trouvée alors qu’elle campait seule dans le désert, dans la Sierra, sans tente et avec pour seuls bagages son petit sac à dos avec sa trousse de toilette, une vieille couverture et quelques vêtements de rechange. « Si vous ne me voyez pas demain matin, c’est que je suis passée de l’autre côté », leur a-t-elle lancé, fière et un peu arrogante. Le lendemain, Justina n’était plus là.

Elle est passé à San Diego et y a trouvé du travail. Elle qui ne parle pas anglais, elle est devenue caissière dans un supermarché. Et puis finalement, après quelques années, elle a repassé la frontière dans l’autre sens et est revenue s’installer en Basse-Californie, à quelques dizaines de kilomètres du mur. Aux Etats-Unis elle gagnait plus, c’est vrai. Mais elle n’était pas heureuse, elle n’était pas chez elle. Au village elle s’est mariée avec Pepe. Ils se sont mariés à cheval, en tenue de vaqueros. Pepe portait une chemise rouge, un gilet noir, son chapeau et ses santiags bien cirées. Sans oublier sa moustache et son foulard. Justina et Pepe ont fait la tournée des ranchs pour réunir suffisamment de chevaux. Leur mariage a duré deux jours entiers, tout le samedi et le dimanche, en plein air, et tous ceux qui passaient par là étaient les bienvenus. Ils ont tué un cochon grand comme la moitié de leur cuisine et ont pu nourrir tout le monde pendant ces deux jours de fête.

Aujourd’hui, Justina et Pepe ont une tienda au village. Ils se lèvent tous les jours de toutes les semaines, toute l’année, à 5h du matin et se couchent à 22h, après avoir nourri leurs locataires avant que ceux-ci ne partent travailler dans les vignes, puis à leur retour des champs. Entre temps ils ont géré la boutique, nourri les poules, les chiens et les chats. Et à l’occasion, les voyageurs de passage.

Carlos

Carlos nous aborde sur le parking d’un supermarché à Vicente Guerrero. Casquette, fine moustache, et vêtements larges : l’uniforme du chicano (américain d’origine mexicaine). Carlos est né au Mexique, mais a grandi dans le centre-ville de Los Angeles. Sa fille vit toujours là-bas mais lui a été renvoyé au Mexique où il n’a jamais vécu, pour avoir été un peu trop proche de certains gangs. Tout ce qu’il veut, c’est réunir assez d’argent pour retourner à Tijuana et rejoindre sa famille. Carlos parle parfaitement anglais. À cause de notre accent, il nous croit canadien. Non, on est français. Tout ce qu’il sait de la France, c’est que c’est loin et que notre équipe de foot est plutôt balèze : la coupe du monde vient de commencer et les Bleus ont remporté haut la main leur première victoire dans le tournoi la veille.

« Vous êtes venus de France en vélo ? »

On lui explique que non, on ne peut pas venir de France en vélo parce que c’est de l’autre côté de l’océan Atlantique. Il ne comprends pas.

« La France c’est de quel côté de la frontière ? »

On essaie de lui expliquer que nous ne sommes ni américains, ni mexicains et que notre pays n’est pas d’un côté ou de l’autre de la frontière, mais de l’autre côté de l’Atlantique, en Europe, un autre continent. Il a l’air encore plus perdu…

« Je comprends pas, vous êtes blancs mais vous n’êtes pas américains ? »

L’Europe lui évoque une autre frontière. Il nous demande si on habite près de l’Ukraine et de la Russie. Il ne sait pas vraiment où c’est, mais il en a entendu parler.

« Et entre la France et le Mexique, c’est comme entre l’Ukraine et la Russie ou on est amis ? ».
On est amis. Soudain tout s’éclaircit pour Carlos. Lui qui l’instant d’avant était dans la confusion la plus totale, nous racontait vouloir retourner aux Etats-Unis, son vrai pays, se fend d’un grand sourire et s’écrie :

« Super, alors bienvenus au Mexique et merci de visiter notre pays !»

Beautiful British Columbia

Wild Wild North

Quitter un village dans le nord de la Colombie Britannique, c’est un peu comme partir d’un port à la voile pour une traversée de plusieurs jours loin des côtes, dans un pays inconnu. Pas de possibilité de se réapprovisionner, pas d’abris, pas de réseau, aucune certitude concernant ce que l’on trouvera à la prochaine escale. Juste une idée plus ou moins précise du temps nécessaire pour atteindre le prochain objectif et de la quantité de nourriture pour y arriver. Une route, la Cassiar Highway, traverse du nord au sud cet immense territoire presque désert. Comme pratiquement toutes les routes que nous avons emprunté, elle a été initialement conçue pour l’exploration minière et les villages qui la ponctuent sont essentiellement des villes-champignons qui naissent et disparaissent au gré des filons. Jade City, minuscule hameau-entreprise de 25 habitants a d’ailleurs fait l’objet d’une série en 7 saisons sur Discovery Channel Canada.

Tout comme la Dempster Highway, la Cassiar est orienté nord-sud. De plus, elle commence dans l’intérieur, avec un climat très continental, traverse la cordillère cotière et se termine dans la vallée de la Skeena, à moins de 200km du Pacifique, où le climat est un peu plus tempéré et beaucoup plus humide. Tout au long des 720km de cette traversée, on observe donc le paysage évoluer progressivement, la végétation devenant de plus en plus haute et dense. Sur les derniers kilomètres, les premiers cèdres rouges, majestueux arbres emblématiques de la côte nord ouest de l’Amérique font leur apparition, accompagnés de fougères, mousses et lichens. Les bords de route sont riches en salmonberries, fruits très similaires aux framboises. Il est donc fréquent de voir des ours s’en mettre plein la panse à quelques mètres de la route. S’ils étaient plutôt peureux dans le Yukon, ici ils sont totalement absorbés par leur festin et n’ont aucune envie d’abandonner leur repas pour laisser passer deux cyclistes. Nous avons eu quelques montées d’adrénaline… Heureusement, en plein mois d’août, cette route est très empruntée et il n’y a jamais besoin d’attendre longtemps pour qu’une voiture passe et nous aide à passer en sécurité.

La Cassiar Highway se termine à Kitwanga, dans la vallée de la Skeena. L’ambiance change du tout au tout : cette fertile vallée au climat doux est l’endroit le plus au nord du Canada où poussent des arbres fruitiers. Après les étendues sauvages du nord pendant plusieurs semaines, il est étrange de voir des fermes, du bétail et des terres cultivées… Une route, la Yellowhead highway, connecte les nombreuses communautés de la vallée. La population est dense, la circulation également. D’autres détails attirent notre attention : de nombreux panneaux rappellent qu’il est interdit de faire du stop et de camper, les aires de repos sont sous vidéosurveillance et de nombreux avis de disparition collés un peu partout, principalement pour de jeunes femmes amérindiennes, créent une ambiance franchement glauque. Alors c’est ça la civilisation ? On n’était pas si mal dans le bush… Nous apprendrons plus tard que cette Yellowhead highway est surnommée « highway of tears » (route des larmes), et que Prince Georges, la grosse ville du coin, est considérée comme une des villes les plus dangereuses du Canada. La suppression des transports en commun a poussé de nombreux jeunes peu argentés et sans voitures à se déplacer en stop, et beaucoup ne sont jamais revenus. Les rumeurs parlent d’un marginal un peu bushed qui serait à l’origine de ces disparitions. Cette atmosphère nous motive à parcourir en une seule fois les 130km jusqu’à Terrace, malgré un fort vent de face. Nous y rencontrons Cheryl. C’est le début de la saison du saumon et la pêche bat son plein. Nous restons quelques jours chez elle, l’aidant à faire des conserves de poisson et du saumon fumé, avant de reprendre la route pour Prince Rupert et le ferry qui nous emmènera jusqu’à l’île de Vancouver. Les paysagers côtiers sont à couper le souffle. La végétation est magnifique, l’estuaire de la Skeena regorge de vie, les montagnes sont couvertes de glaciers qui tombent dans la mer… Prince Rupert est un port de pêche et de commerce actif au milieu de ce qui est surnommé la « côte sauvage ». Nous tombons immédiatement sous le charme et ne nous éloignerons plus du Pacifique jusque’à notre départ du Canada, 2 mois plus tard.

Dans mon île

Pete, cycliste canadien rencontré à Terrace, nous avait prévenu : « à Vancouver Island, les gens sont sur l’island time  (« heure de l’île » : expression signifiant que le temps s’écoule plus lentement sur les îles que sur le continent et que les notions de stress et de ponctualité y sont différentes). Nous pensions passer environ 3 semaines sur l’île, nous y sommes restés presque 2 mois. À croire que le temps s’y écoule réellement différemment. Il semblerait que plus l’île est petite et plus cet effet soit marqué : depuis Vancouver Island, nous sommes partis à la voile avec Alex pour Cortes Island, où nos journées commençaient vraiment vers 15h.

Dans l’imaginaire canadien, Vancouver Island et les très nombreuses petites îles qui l’entourent sont peuplées de hippies et d’écolos. C’était probablement vrai il y a encore 30 ou 40, et si une certaine atmosphère y persiste, le sud de l’île est de plus en plus densément peuplée et touristique. Beaucoup d’anciennes cabanes ont été transformées en véritables villas où les riches habitants de Vancouver ou Victoria viennent passer leurs vacances. Tout comme sur la Sunshine Coast, qui fait face à l’île de l’autre côté du détroit de Georgia, l’ambiance rappelle plus la côte d’azur que le Finistère. Sur la côte ouest, Tofino, spot de surf le plus réputé du Canada, a vu sa population de surfeurs vivant dans leurs vans ou dans des cabanes petit à petit remplacée par de riches touristes logeant dans des hôtels à 200$ la nuit…

Pour retrouver l’ambiance roots de l’île, il faut monter au nord de Campbell River. Le climat réputé plus austère et l’éloignement plus important de la métropole n’attirent pas. La population est principalement constituée de bucherons et de pêcheurs. C’est pourtant là que nous avons trouvé notre petit paradis. Le nord de l’ile est parcouru d’un dense réseau de routes forestières de terre, ouvertes au public aux possibilités d’exploration infinies. Une boucle de 1000km sur ces petites routes a été publiée récemment par le site bikepacking.com et chaque jour, nous avons rencontré des groupes de bikepackers. Des petits sites de camping gratuits y sont aménagés au bord de chaque lac, chaque rivière et chaque crique, certains envahis par les campings-cars, d’autres plus difficilement accessibles et beaucoup plus tranquilles. Après les longues journées sur les highways du continent, nous avons ralenti notre rythme, pour profiter plus. Campings magiques, belles rencontres humaines et animales sont devenus notre quotidien. Christopher nous a parlé de ses vaches, qu’il doit parfois défendre contre les cougars l’hiver, des ours qui broutent en paix sur ses terres et d’utopie sociale et environnementale. Don a passé deux jours avec nous au bord de l’eau à nous expliquer les relations entre saumon, rivière, faune et forêt. Alex nous a emmené sur son voilier découvrir les îles Cortes, Mittlenach et Copeland, à la rencontre des baleines, phoques et otaries. Au voyage physique sont venus s’ajouter d’autres voyages, dans le temps et dans des espaces plus lointains. Alex et ses anecdotes fascinantes sur sa jeunesse hippie dans des cabanes et sur des voiliers, ses aventures sur un brise-glace dans l’océan arctique. Dominique, ses aventures en Afrique, ses voyages en stop en Europe et son arrivée au Canada depuis sa Bretagne natale. Ross et Judy et leurs voyages à vélo et en moto en Amérique centrale, Inde et Pakistan, l’enfance de Judy en Inde et leurs combats pour l’environnement et l’inclusion sur l’île. L’hospitalité incroyable de Todd, Kelly et Brian et les histoires des nombreux voyageurs à vélo qu’ils ont hébergé sur leur ferme. Stephanie, son enfance aux quatre coins du Canada et ses années passées à Yellowknife dans les territoires du nord ouest, où les hivers sont si froids et secs.

Metropolis

Pour continuer notre voyage, il fallait bien passer par Vancouver. Après 3 mois loin de la civilisation, entrer dans la 3e plus grande aire urbaine du Canada avec ses 2,6 millions d’habitants nous a d’abord fait un choc. La métropole s’étale sur plusieurs dizaines de kilomètres et il faudrait presque une journée entière pour la traverser à vélo. Le bruit, le traffic, l’orientation… Un environnement totalement nouveau à appréhender. Heureusement, ici aussi l’hospitalité canadienne nous a mis à l’aise. 4 hôtes différents nous ont hébergé et aidé lors de nos deux passages à Vancouver (merci!), où nous sommes restés beaucoup plus longtemps que prévu, pour préparer la suite du voyage : passage au consulat français pour obtenir un nouveau passeport, tentative infructueuse de passage de la frontière américaine, révision des vélos, réservation d’un vol pour le Mexique et préparation (un peu dans l’urgence) de la suite du voyage.

Si le premier jour n’a pas été évident, nous avons rapidement pris nos marques à Vancouver. Se déplacer à vélo, à pied ou en transport en commun dans cette ville est incroyablement confortable. Le centre-ville est petit et très contrasté, entre les hautes tour rutilantes du Downtown, l’ambiance parfois un peu glauque à la Blade Runner de Gastown et Chinatown et les plages et forêts de Stanley Park et Kitsilano. Tout autour, l’immense zone portuaire, qui s’étale sur des kilomètres le long des anses et du fleuve Fraser. Un peu plus loin, l’ancien quartier des docks du Downtown Eastside est récemment gentrifié et la bière coule à flot dans ses entrepôts transformés en brasseries artisanales.

Tree of life

« BC is built on forestry » (la Colombie Britannique s’est construite sur la foresterie). On peut lire ce slogan un peu partout, surtout dans les villages de bûcheron. À l’inverse, on retrouve au moins aussi souvent des slogans « protect the old growth » (« protéger les forêts anciennes »). Impossible de parler de la Colombie-Britannique sans évoquer ce sujet qui fâche. Beaucoup d’emplois, surtout sur la côte et dans le nord dépendent de cette industrie. D’un autre côté, cette activité, surtout depuis son industrialisation, peut-être destructrice pour l’environnement. Les anciennes forêts, très hautes et diversifiées en termes d’espèces, servent d’abri à de nombreuses espèces, protègent les sols de l’érosion et offrent de l’ombre aux rivières, leur permettant de conserver une température suffisamment fraîche pour que les saumons puissent s’y reproduire. Autrefois les bûcherons coupaient uniquement les arbres les plus matures et laissaient les autres pousser. Aujourd’hui, l’activité est mécanisée : des machines rasent intégralement les forêts, puis on replante des arbres identiques. Les arbres sont ensuite envoyés par bateau en Asie pour être préparés, puis reviennent au Canada (et ailleurs) pour être utilisés. Tout ceci à un coût écologique : ces dernières années, les inondations et glissements de terrain se sont multipliées, les grands arbres majestueux sont petit à petit remplacés par des forêts cultivés, un peu tristes et monotones et les saumons ne parviennent plus à se reproduire. Et le saumon, c’est la base de tout : il nourrit tout un écosystème de prédateurs (aigles, ours, corbeaux, crabes…), apporte du carbone au sol qui alimente la croissance des plantes… Sans saumons, tout cet écosystème est fragilisé. Par ailleurs, l’automatisation a également supprimé de nombreux emplois et le sujet commence à diviser les canadiens… En bref, c’est complexe.

Gastronomie de plein air

Se nourrir lorsque l’on est sédentaire est plutôt facile. On va au supermarché, on remplit son panier, toujours plus ou moins avec les mêmes aliments et on rentre à la maison. De temps en temps, on s’offre un restaurant, sans trop faire attention au prix. Il est facile d’avoir toujours une bière fraîche au frigo pour l’apéro, et de stocker des produits pour une occasion particulière. En itinérance, que ce soit à pied, à vélo, en kayak ou autre, c’est un peu plus complexe. Certains produits sont fragiles (les oeufs, on oublie). D’autres ne supportent pas la chaleur. La bière pèse lourd, prends de la place, produits des déchets qu’il faut transporter… Et perd une grande partie de ses pouvoirs magiques quand elle est tiède.

Ces contraintes ne sont pas trop gênantes lorsque l’on part deux semaines en congés payés sur la Loire à vélo, la côte Atlantique ou n’importe quelle autre destination dans une région densément peuplée, où il est possible de se nourrir convenablement sans pratiquement jamais transporter de nourriture. Pour une traversée à pied des Alpes ou des Pyrénées, ou à vélo en Islande, au Canada ou même dans certains coins du Massif Central, il existe certaines règles à respecter pour avoir une alimentation permettant d’aller au bout du voyage, d’autant plus sur des aventures au long cours. Cet été dans le nord du Canada, j’ai eu pas mal le temps de cogiter sur le thème de la nourriture entre deux épiceries. Avec seulement 4 ravitos dans le Yukon, un territoire grand comme la France, mieux vaut ne rien oublier quand on va faire ses courses !

Calories / Poids / Encombrement

La nourriture est avant tout un carburant. Pour pouvoir avancer, nous devons consommer un certaine quantité d’aliments, plus ou moins importante selon la dépense physique. Une journée de 100km à vélo avec un fort vent de face nécessitera une quantité de nourriture plus importante qu’une journée de 50km avec le vent dans le dos. L’unité permettant de mesurer la quantité d’énergie nécessaire est la calorie.

Les calories sont divisées en 3 groupes : glucides, lipides et protéines. Grosso modo, chacun de ces groupes à un rôle différent :

-les glucides sont rapidement assimilés par l’organisme. C’est la raison pour laquelle certains athlètes consomment des gels, qui sont uniquement constitués de glucides et sont assimilés immédiatement.

-les lipides (en gros, le gras) sont assimilées plus lentement et fournissent un carburant qui dure plus longtemps, mais avec une intensité moins forte que les glucides. Leur combustion lente leur donne également l’avantage de pouvoir s’alimenter à intervalle plus éloigné sans coup de barre. Enfin, 1g de lipide est plus calorique qu’un gramme de glucides ou de protéine. Plutôt intéressant quand on cherche à alléger son sac. Ce sont deux des raisons pour lesquelles beaucoup de sportifs de longue distance adoptent le régime kéto, qui vise à habituer le corps à tourner aux lipides plutôt qu’aux glucides, notamment pour pouvoir puiser dans ses réserves lorsqu’il cesse d’être alimenté.

-les protéines, qui ont plus vocation à faciliter la récupération et la reconstruction des muscles après l’effort plutôt que d’être un carburant en soi.

Les flocons d’avoine à l’eau froide ont bien meilleur goût dans un cadre comme celui-ci.

Pour avancer lorsque la quantité d’aliments transportable est limitée, il est donc nécessaire d’avoir une idée de la quantité de calories qui va être nécessaire à tenir l’effort. À titre d’exemple, on considère souvent qu’une bonne journée de marche ou de vélo nécessite environ 4000 calories (variable selon la taille, la masse musculaire, le poids à transporter etc). Il existe de nombreux calculateurs en ligne pour estimer la quantité de calories nécessaire selon ces critères ainsi que la durée et l’intensité de l’effort que l’on envisage de fournir par jour.

Par conséquent, il va être nécessaire de privilégier des aliments avec un rapport calories / poids / encombrement efficace. Comme évoqué plus haut, les lipides fournissent à poids égal plus de calories que les glucides et protéines. Mais il faudra également consommer une quantité de protéines suffisante pour permettre au corps de mieux récupérer. Pour autant, pas besoin d’embarquer un stock de protéine en poudre, type whey. On en trouve bien assez dans les aliments « normaux ». La bonne nouvelle, c’est que de nombreux aliments naturels sont très riches en protéines et en lipides. Ils ont donc un rapport calories / poids / encombrement intéressant pour la randonnée. L’autre bonne nouvelle, c’est que la plupart de ces aliments sont trouvables à peu près partout dans le monde. En d’autres termes, on va plutôt embarquer du fromage, du beurre de cacahuètes ou des fruits secs que de la salade verte.

Disponibilité / Prix / Qualité

Si la nourriture est avant tout un carburant, tous les carburants ne se valent pas. On a vu dans le paragraphe précédent la différence entre glucides, lipides et protéines, mais il existe également d’autres critères à prendre en compte pour juger de la qualité d’un aliment.

Il peut être tentant de se nourrir de barres chocolatées types Snickers, Clif Bar ou autres, très caloriques pour un encombrement et un poids assez faible. À court terme, pourquoi pas. Dans certains endroits du monde, c’est d’ailleurs la nourriture la plus facile à trouver. Sur le long terme, cela va avoir plusieurs inconvénients : d’une, ça coûte extrêmement cher. De deux, ce n’est pas très bon pour la santé… Ce qui me permet d’introduire un nouveau concept : le rapport disponibilité / prix / qualité.

Pour pouvoir acheter un aliment, il faut déjà qu’il soit disponible. En Espagne, nous carburions au couscous. Au Canada, en dehors des Walmart et des grandes villes, c’est introuvable. Nous avons donc dû nous adapter et faire avec les aliments que nous trouvions. Dans le delta du Mackenzie, à l’extrême nord de notre périple, les aliments ont parcouru des milliers de kilomètres en camion pour arriver. La population (hors touristes) de cette région est d’environ 5000 habitants, majoritairement Inuits ou Gwichins : la chasse, la pêche et la cueillette représentent encore une part importante de leur alimentation. Par conséquent, les épiceries sont approvisionnées de manière assez irrégulière, ce qui entraîne de nombreuses pénuries sur certains articles et des aliments à des prix élevés, en particulier pour les produits frais. Nous avons donc dû nous adapter pour acheter ce qui était disponible, et que nous pouvions financièrement nous offrir : les flocons d’avoine, purée déshydratée, pâtes et cacahuètes ont représenté la plus grande part de notre alimentation dans cette région…

Plantes sauvages comestibles

Par chance, le nord du Canada regorge de plantes sauvages comestibles. Savoir les reconnaître est un atout majeur, en particulier lorsque les prix sont élevés et les distances entre deux ravitaillement sont grandes. Pas besoin de tout connaître : savoir identifier quelques plantes répandues dans la région, de bonne qualité nutritive et pour lesquelles il n’y a pas de confusion possible permet d’alléger de façon conséquente le poids et le volume à transporter, tout en conservant une alimentation de qualité à un prix dérisoire. C’est également bon pour l’environnement : dans un pays comme le Canada, pratiquement tous les fruits et légumes ont parcouru des milliers de kilomètres avant d’arriver en rayon. Leur impact environnemental est donc très élevé, là où celui des plantes sauvages est nul.

Au Yukon, nous consommions quotidiennement pissenlits et fireweeds. Ces plantes sont simples à reconnaître, poussent absolument partout et sont de bonnes sources de vitamines. À l’occasion d’une sortie guidée dans le parc de Tombstone, nous avons également appris à reconnaître l’épilobe à feuilles larges, qui pousse le long des rivières et fait un bon substitut au thé. Et de temps en temps, nous ajoutions à notre régime des fraises des bois, qui poussent pratiquement partout dans cette région et à cette période de l’année. En terme de diversité, c’est assez faible et monotone. Mais cela permet de continuer à manger des « légumes » frais facilement.

Vous voyez des jolies fleurs roses ? Je vois un stock inépuisable de vitamines.

Cuisinabilité

Le vélo, ça creuse. Et quand on a faim, on est moins exigeant. Ça tombe bien : cuisiner prends du temps, de l’énergie et nécessite de transporter du matériel, lourd et encombrant. En se contentant d’aliments simples et rapides à préparer, on allège le poids du vélo (pas besoin de transporter de matériel de cuisine élaboré) et on passe moins de temps à attendre le repas le ventre vide.

Certains aliments, comme les haricots, pois chiches, lentilles sont de bonne sources de protéine à bas prix et faciles à conserver, mais leur préparation nécessite du matériel (boîte étanche pour le trempage et le stockage une fois cuits) et beaucoup de carburant (temps de cuisson très long). Ils sont donc difficilement compatible lors de voyages où le poids et le volume comptent. L’idéal est de transporter des aliments ne nécessitant pas de cuisson, pour éviter de transporter du matériel de cuisine, ou bien une cuisson très courte pour laquelle un réchaud à alcool et un peu de combustible peuvent suffire. Nos ingrédients de prédilection : couscous et fruits secs. En Espagne, nous avons passé trois mois sans jamais (ou presque) utiliser notre réchaud. Nous mangions le soir du couscous froid, à peine plus long à gonfler qu’avec de l’eau chaude (et probablement plus rapide si l’on prends en compte le temps nécessaire pour chauffer l’eau). Nous y ajoutions des fruits secs (cacahuètes, poids chiches et fèves grillés, amandes, cajous, raisins…) et des légumes frais faciles à transporter. Au petit déjeuner : flocons d’avoine froids, beurre de cacahuète, banane écrasée. Et lorsqu’il est compliqué de transporter des bananes, comme au Canada, nous les remplaçons par des fruits secs.

Réconfort

Si simplifier son alimentation permet de s’alléger, il ne faut pas oublier que la nourriture a aussi un rôle réconfortant, en particulier lorsque les conditions deviennent difficiles (météo compliquée pendant plusieurs jours ou semaines, longues journées monotones sur les highways d’Amérique du Nord…).

Quoi de plus régressif que des marshmallows au feu de bois ?

Une barre chocolatée, des biscuits, un paquet de marshmallows à griller le soir au bivouac… Ce genre de petits détails n’apportent pas grand chose en terme de nutrition (voire sont mauvais), mais jouent un rôle important sur le moral. Sur la Dempster Highway, nous n’avions pas pris en compte cet aspect. Les derniers jours, tout ce que nous souhaitions était d’arriver au plus vite à Dawson City, pour trouver une épicerie et faire le plein de cookies, de chips et… de fruits frais. Cette leçon apprise, nous avons ensuite pris soin les semaines suivantes d’avoir au moins une fois par jour une « récompense ». C’est probablement ce qui nous a permis de tenir moralement, en particulier au Yukon où les conditions (pluie, froid, moustiques, longues routes monotones) étaient particulièrement difficiles. Dans le sud du Canada, nous avons adopté le « trail burrito » : un sandwich complet, calorique et réconfortant, qui est vite devenu addictif.

trail burrito : fruits secs, noix, chou rouge, beurre de cacahuète, tortilla

Les étapes chez des hôtes Warmshowers, en airbnb ou dans des hostels disposant d’une cuisine sont également de bonnes occasions de cuisiner des bons petits plats réconfortants tout en conservant un budget réduit, pour varier de la nourriture de bivouac. Pour les hôtes warmshowers, préparer un repas bien de chez nous est également un bon moyen de les remercier de leur hospitalité. Lors de ces étapes avec cuisine, nous en profitons généralement pour repartir avec des plats préparés qui nous permettent de faire un bivouac un peu plus « haut de gamme » le jour suivant. Nous avons une petite liste de recettes simples à préparer, nécessitant un nombre restreint d’ingrédients faciles à trouver, peu chères et adaptables en cas de régimes spécifiques de nos hôtes.

L’hospitalité des canadiens fait du bien au moral et à l’estomac

Déchets

Quoi de plus désagréable qu’un joli paysage ruiné par des épluchures d’oranges, des canettes vides et des emballages de gel ? Pas question d’abandonner ses déchets n’importe où : on les rapporte à la prochaine poubelle. Lors des ravitaillements, il faudra anticiper cet aspect. Les boîtes de conserves sont certes pratiques, mais elles sont pratiquement aussi encombrantes vides que pleines. Les emballages, pas tellement mieux. L’idéal est d’avoir des sacs étanches, types sacs de congélation, et de transvaser au moment de l’achat les aliments de leur emballage carton encombrant vers ces sacs réutilisables. Pour les fruits et légumes, pas le choix : il faudra les transporter. Réutiliser un emballage plastique comme poubelle et le tour est joué.

Petits et gros chapardeurs

Savoir choisir et préparer les aliments adaptés à un périple, c’est bien. Mais il ne faut pas oublier que dans la nature, la concurrence pour la nourriture est parfois rude. Les animaux sauvages ont faim et nos provisions leur font de l’oeil… Quoi de plus désagréable que de se réveiller un matin sans nourriture alors que le prochain magasin est à plusieurs jours de voyage ?

Derrière ses airs de peluche mignonne, le rongeur est l’ennemi numéro 1.

Un ours a un odorat mille fois plus développé qu’un chien. Dans les régions où cet animal est présent, il est primordial de sécuriser sa nourriture pour éviter d’attirer ce prédateur, potentiellement dangereux en particulier lorsqu’il est affamé. La nourriture doit donc être stockée loin du camp, soit suspendue dans un arbre, soit dans une « boîte anti-ours », impossible à ouvrir pour un animal. Mais si l’ours est probablement notre concurrent le plus effrayant, le risque de faire sa rencontre est finalement limité à certaines régions du monde et à certains moments de l’année (principalement au printemps, lorsqu’il sort d’hibernation et que la nature a encore peu à offrir). Nos concurrents les plus courants sont les rongeurs, renards et sangliers. J’ai entendu des histoires de souris qui avaient rongé des toiles de tente pour accéder à de la nourriture… Il est finalement assez simple de se protéger de ces animaux : suspendre la nourriture à un arbre dans un sac étanche est une garantie d’éviter les mauvaises surprises.

Yukon

Pour beaucoup de Canadiens, le Yukon évoque un territoire sauvage, de grands espaces propices à l’aventure dont les rares habitants doivent forcément être rendus un peu fous par les nuits interminables de l’hiver, les jours sans fin de l’été, la solitude et les moustiques. Pour nous autres européens, le Yukon évoque la ruée vers l’or et les romans de Jack London peuplés de loups, de pionniers scorbutiques et brutaux qui côtoient la mort au quotidien. Un pays où il fait froid, très froid. Tout cela est vrai… En partie.

Forêts, toundra, rivières et lacs

Quand on imagine le Yukon, on pense à des forêts à perte de vue, ponctuées de lacs et de rivières, le tout recouvert par une épaisse couche de neige une bonne partie de l’année. En réalité, les paysages du Yukon sont relativement diversifiés : si les forêts de pin recouvrent effectivement une bonne partie du territoire, on y trouve également des montagnes d’altitude variées. C’est à l’ouest du Yukon que se trouve Kluane, le plus haut sommet du Canada et le deuxième plus haut d’Amérique du Nord après le Denali, situé juste de l’autre côté de la frontière, en Alaska. Si l’hiver est effectivement long (d’Octobre à Avril), il est habituellement assez sec, avec une couche de neige peu épaisse. Le Yukon fait partie d’une région nommée Beringia, qui inclut également une partie de l’Alaska et du nord-est de la Russie. Lors de la dernière ère glaciaire, Beringia avait un climat trop sec pour être couverte de glace et une végétation particulière s’y est développée. On trouve donc dans le Yukon des plantes qui n’existent nulle part ailleurs.

Ce territoire grand comme la France et peuplé de 40 000 habitants seulement est parcouru de nombreuses rivières. Autrefois, ce sont ces rivières qui servaient de routes : on s’y déplaçait en canoë puis en bateau à vapeur l’été, et en traineau à chien l’hiver. Lorsque l’industrie minière s’est développée, des routes ont été créées pour exporter plus facilement l’or, le cuivre et les autres minerais. Le réseau routier est donc peu développé. Pour aller d’un point A à un point B, il existe deux alternatives : l’unique route, ou la rivière. Pas de petites routes de campagne : il n’y a pas de campagne. Seulement des villes minières poussant et disparaissant comme des champignons au milieu du bush, dont la population croit ou décroit selon l’abondance des filons. À vélo, c’est parfois un peu frustrant. Heureusement, les highways sont généralement peu fréquentées et les conducteurs plutôt respectueux.

Chechakoos et sourdoughs

Le Yukon est peuplé depuis des millénaires par des amérindiens et quelques inuits, vivant de chasse, de pêche et de cueillette, dans une relation plutôt harmonieuse avec leur environnement. Chaque prélèvement devait être compensé par des offrandes à la nature, et chaque partie des animaux tués étaient utilisées, de la viande jusqu’aux arrêtes des poissons et aux aiguilles des porc-épics. Un mode de vie zéro déchets avant l’heure, et une éthique leave no trace (« ne pas laisser de traces ») bien ancrée.

Au 19e siècle, les premiers blancs débarquent. Ce sont d’une part des missionnaires catholiques, majoritairement francophones, qui cherchent à convertir et « éduquer » les amérindiens, et d’autres part les trappeurs de la compagnie de la Baie d’Hudson, qui viennent acheter des peaux d’animaux aux premières nations. Puis à la toute fin du 19e, des pépites d’or sont découvertes dans le Klondike, affluent du Yukon, à proximité de Dawson City. C’est la première ruée vers l’or. 40 000 personnes, majoritairement venus de Californie, débarquent à Skagway, franchissent le col de Chilkoot et s’installent dans des tentes et cabanes autour de Dawson City. La plupart rentrent bredouille, les moins chanceux meurent de froid ou du scorbut et quelques uns feront fortune. C’est le véritable début de la colonisation du Yukon.

Depuis cette époque on distingue les habitants blancs du Yukon en deux groupes : les chechakoos, nouveaux arrivants, et les sourdoughs (en français : « levain » ou « pâte fermentée »), qui sont toujours là après avoir passé au moins un hiver. Les chechakoos aujourd’hui, ce sont nous et les autres touristes, majoritairement allemands, québécois et américains, ainsi que les nombreux saisonniers qui travaillent dans le tourisme. Les sourdoughs, ce sont ces habitants qui encore aujourd’hui viennent majoritairement pour travailler dans les mines, ou pour le gouvernement à Whitehorse. Des femmes et des hommes indépendants, débordant de vitalité, comme Martha, infirmière originaire de Terre Neuve, qui a passé sa vie à soigner les Inuits du Nunavut à Tuktoyaktuk et continue à s’occuper des Yukoners malades malgré ses 70 ans. Comme Dieter, qui après avoir passé 15 ans à explorer le monde à vélo, gère maintenant l’hostel de Dawson City. Ou comme Susan et sa famille choisie, groupe de femmes indépendantes de Whitehorse qui prouvent que le VTT, le ski et le fatbike hivernal ne sont pas des activités réservées aux hommes.

Le décalage entre la capitale, plutôt riche, assez hipster et écolo, et les petites villes perdues dans le bush ou les gens vivent de débrouille et de chasse est assez saisissant. La population est un véritable melting pot d’anglophones, d’amérindiens, de francophones et de migrants originaires d’Allemagne, d’Asie ou d’ailleurs. Mais qu’ils soient des hipsters endurcis de Whitehorse qui se déplacent à vélo toute l’année, des rustres un peu bushed, des post-hippies ou des amérindiens loins de tout à Old Crow, tous les habitants du Yukon que nous avons rencontrés ont un commun une passion pour la nature, des personnalités marquées et un véritable esprit d’entraide et de solidarité, qui les rends incroyablement attachants. Comme Bob et Martha, qui nous ont invités chez eux à Faro, nous ont fait goûté à la viande de l’orignal tué par le fils de Bob, chasseur professionnel. Puis nous on emmené à un barbecue communautaire, où tout le village ou presque était présent pour commémorer avec bienveillance et humour un événement traumatisant ayant eu lieu dans la communauté l’année précédente.

Fermentation

Malgré un « été pourri » et un véritable enfer de moustiques, le Yukon nous a marqué positivement. Nous reviendrons certainement un jour explorer à nouveau ce territoire, retrouver ces personnes que nous avons rencontré et qui nous ont inspiré. Découvrir ce pays à d’autres saisons : les couleurs de l’automne quand les buissons se couvrent de baie, que les ours sortent des bois et qu’il est temps de faire les provisions pour l’hiver. L’hiver justement, ses aurores boréales et son froid mordant. Bref, découvrir plus en profondeur ce territoire, pourquoi pas de façon sédentaire, en canoë ou dans le cadre d’une expédition dans le bush. En tout cas autrement qu’à vélo. : il y a bien plus intéressant à faire au Yukon que de pédaler sur les highways.

Canol Road

Canadian Oil

La Canol Road est une route d’exploration construite par l’armée américaine en partenariat avec le Canada pendant la seconde guerre mondiale. Les américains, craignant une attaque japonaise sur la côte de l’Alaska, mirent en place un projet d’approvisionnement en pétrole passant par le Canada. L’objectif était de relier les puits de pétrole de Norman Wells, dans les territoires du Nord Ouest, à la raffinerie de Whitehorse par un pipeline. Canol est l’abréviation de Canadian Oil, le pétrole canadien. Une route fut donc construite pour relier les deux sites, mais la fin de la guerre entraina l’abandon du projet, trop coûteux pour être justifié en temps de paix. La route fut abandonnée, puis reprise dans les années 50-70 pour explorer de nouveaux sites de forage. Aucun n’ayant été trouvé, la route fut laissée en l’état. Le territoire du Yukon continue à la maintenir l’été, pour des besoins principalement touristiques : Quiet Lake, à quelques kilomètres de l’extrémité sud, est un départ populaire pour des itinérances en canoë, et la vallée de la Lapie, au nord, est un territoire de chasse. Côté Territoire du Nord Ouest, le gouvernement ne maintient plus la route, qui ressemble plus à un trail, avec des franchissements de rivière non aménagés nécessitant potentiellement un packraft. C’est Cody, un aventurier américain rencontré à Inuvik qui nous a parlé de cette route. Cody avait pour projet de rallier Norman Wells à Whitehorse. Il a malheureusement du faire demi-tour avant d’entrer dans le Yukon à cause d’un feu de forêt. Peu de gens réussissent à terminer l’intégralité de la piste. Notre projet est beaucoup moins ambitieux : nous nous contenterons de rallier Ross River à Whitehorse par la South Canol. 224km seulement, mais avec un dénivelé assez conséquent, des pentes le plus souvent au dessus de 10% et une piste rarement en très bon état. Les gros pneus ne sont pas un luxe ici. Pour couronner le tout, pas de ravitaillement possible : obligation de transporter toute notre nourriture pour la Canol, mais aussi pour les 3 jours d’approche depuis Carmacks sur la Campbell Highway. Soit une semaine de nourriture au départ.

Into the wild ?

Bien que nous soyons sur la route réputée la plus reculée du Yukon, à aucun moment je ne me sens plus isolé que dans certains endroits Europe. C’est presque décevant. Déjà, il y a une route. On y croise autant de monde que dans les sierras ibériques ou dans le Vercors, c’est à dire quasiment personne. Un humain par jour, tout au plus. Autour de cette route, il y a des bornes kilométriques, des panneaux de signalisation et même des zones de camping, non gardées mais avec des poubelles, des toilettes et même du papier. Le niveau d’aménagement est donc supérieur à celui d’une piste équivalente en Europe. On rencontre peu d’humains et pourtant leur présence est presque envahissante. Chaque panneau de signalisation ou presque porte les stigmates des coups de feu reçus. Chaque kilomètre est souillé de déchets, canettes vides en tête. Chaque heure qui passe est interrompue par le ronronnement d’un avion. Même les traces d’animaux nous rappellent à la civilisation : on a beau être au pays des ours, il y a plus d’empreintes de sabots ferrés que de déjections de nos amis mangeurs de baies.

En fait, ce qui nous rappelle notre éloignement, c’est surtout nos sacoches lestées d’une semaine de nourriture et la certitude qu’en cas de pépin physique ou mécanique, nous ne pourrons compter que sur nous même pendant plusieurs heures avant que quelqu’un vienne nous tirer de là. Pas le droit de merder, c’est ce qui rend concret cet isolement, même si le gendarme francophone croisé à Ross River s’est voulu rassurant en nous rappelant qu’en cas de problème, nous ne serions pas les premiers qu’il viendrait dépanner sur cette route. Malgré ces paroles, il n’est pas question que nous n’allions pas au bout. Pour cela, c’est simple : il faut avoir un matériel adapté, en bon état de fonctionnement. Avoir un minimum de connaissances sur l’environnement à explorer. Savoir gérer une rencontre avec un animal sauvage. Choisir une nourriture adaptée, en bonne quantité, pouvoir la transporter et la protéger des animaux. Filtrer l’eau avant de la boire. Privilégier la sécurité à la prise de risque, que ce soit en roulant, au camp ou à tout autre moment de la journée.

« Sur la Canol Road, c’est juste toi et le bush », nous avait dit cet amérindien croisé sur la Campbell Highway. La piste étroite s’enfonce à travers les bois, traverse le Lapie Canyon, monte au dessus de la limite des arbres pour arriver dans des vallées intactes et magnifiques. Si les paysages des highways peuvent être splendides, ici nous avons vraiment l’impression de faire partie du décor, et de ressentir avec tous nos sens toute la puissance de la nature. Le rugissement du vent, le fracas des torrents nous en mettent plein les oreilles. Le goût pur de l’eau fraîche nous chatouille les papilles. Les jeux d’ombres et de lumières sur les montagnes enneigées nous en mettent plein les yeux. Un air pur remplit nos narines. Et les piqures de moustiques nous rappellent que nous avons cinq sens…

Retour vers le futur

Pédaler sur la Canol est un voyage dans le temps. Le soleil de minuit et la quasi absence d’humains dissolvent les heures. Si le calendrier m’indique que quatre jours se sont écoulés entre Ross River et Johnsons Crossing, début et fin de la South Canol, je serais autrement incapable de dire si ce voyage a duré un jour, une semaine ou une éternité. Mais le voyage dans le temps va plus loin encore. La mise en scène de l’histoire récente du Yukon à travers ces véhicules abandonnés nous emmène dans le passé, mais aussi dans le futur. Un jour, la nature reprendra sa place et tout ce qu’il restera de l’humanité seront quelques épaves perdues dans les bois. En attendant ce jour peut-être pas si lointain, j’espère revenir dans le Yukon et parcourir l’intégralité de la Canol, jusqu’à Norman Wells, et à défaut de remonter le temps, traverser ces espaces parmi les plus reculés du Canada.

Dempster Highway, la route de l’Arctique

La Dempster Highway est l’unique route canadienne qui traverse le cercle arctique. Depuis son prolongement en 2017, elle relie le village Inuit de Tuktoyaktuk, sur l’océan Arctique, avec le reste du réseau routier national. La Dempster est une large piste de terre et de gravier de près de 1000km, mythique pour de nombreux canadiens pour qui elle représente l’endroit le plus lointain de leur pays, accessible au prix de nombreux efforts.

Premier contact

Le Nord est incroyable. Nous en avons eu un premier aperçu en descendant de l’avion à Whitehorse, capitale du Yukon. Soleil de minuit, odeur de pin jusque sur le tarmac et immensité des paysages alentours font appel à tous nos sens. Après une troisième nuit à dormir dans un aéroport, nous décollons enfin pour Inuvik, 3000 habitants et principale ville de l’estuaire du Mackenzie dans les Territoires du Nord Ouest. Depuis le hublot de l’avion, les paysages que nous survolons sont époustouflants : montagnes découpées, taïga constellée de milliers de lacs et traversée par d’immense fleuves serpentant à travers l’immensité de la forêt, à peine impactée par endroits par la présence humaine. L’ours polaire empaillé dans l’aéroport d’Inuvik donne le ton : nous somme au nord du Nord, dans le grand Arctique.

Nous déchargeons nos vélos de la plateforme du pickup d’Alex et Dominique, qui nous ont pris en stop, directement devant l’océan Arctique, terminus de la Dempster Highway ou point de départ d’une aventure encore plus longue. Tuktoyaktuk est un endroit unique. Village Inuit coincé entre les lacs gêlés du delta du Mackenzie et la mer, sa population vit encore de manière assez traditionnelle, même si elle a maintenant accès à tout le confort moderne grâce à ses deux supermarchés (aux prix exorbitants). Un pêcheur nous explique que la saison de la chasse à la baleine va bientôt commencer. Cette chasse est indispensable pour les Inuits, une baleine permet de nourrir de nombreuses bouches pendant longtemps et toutes les parties de l’animal, de la graisse aux os, sont utilisées.

L’enfer du Nord

L’enfer du Nord, le vrai, n’est pas sur les pavés du Paris-Roubaix mais sur l’Inuvik – Tuktoyaktuk Highway. Je pensais que ces 150km sans réel dénivelé serait une facile remise en jambe. En réalité, ces deux premiers jours constituent la pire expérience que j’ai vécu jusque là. La route elle-même est plus difficile qu’elle n’y parait : les 100 premiers kilomètres à travers la toundra sont composés d’un gravier instable et sablonneux, qui rend la progression lente et usante. Il y a beaucoup de circulation et chaque véhicule passe dans un nuage de poussière qui nous oblige à nous couvrir le nez, la bouche et les yeux. Mais tout cela serait simplement difficile s’il n’y avait pas les moustiques. Nous sommes en permanence suivis par une nuée d’insectes qui nous piquent même à travers nos vêtements, dans un bourdonnement permanent et infernal. Il fait chaud et lourd et nous sommes couverts des pieds à la tête, gants compris. Manger ou aller aux toilettes est une torture. Chaque minute passée hors de la tente est un enfer. Une fois arrivés dans la taïga, la forêt arctique, la route s’améliore et les moustiques nous laissent enfin un peu de répit.

Cette mauvaise expérience est certes due aux conditions difficiles, mais également à notre impréparation. Nous ne transportons que 2 litres d’eau chacun, nous devons donc nous arrêter régulièrement pour filtrer l’eau de la toundra, jaunâtre et au goût herbacée, que nous surnommons « herbal tea » (infusion). Notre filtre est lent, très lent. Nous mettons ce temps à profit pour manger et faire une pause, mais c’est tout de même trop long et chaque minute à l’arrêt est un repas offert aux moustiques. Nous n’avons pas non plus de répulsif. Bien que peu efficace face à une nuée d’insectes affamés, il permet au moins de pouvoir se passer de gants en roulant, ce qui apporte un confort appréciable par ce temps chaud. Les moustiques ne craignent que deux choses : le vent et la fumée. Nous aurions pu transporter un peu de bois mort (il n’y a pas d’arbres dans la toundra) pour pouvoir faire du feu le soir au bivouac.

Ambiance tropicale

Nous croyions avoir chaud sur la route de Tuktoyaktuk, mais ce n’était rien. Alors que nous faisons une pause à Inuvik pour préparer la logistique pour la suite du voyage, une vague de chaleur s’installe sur l’arctique canadien. Les températures passent en un jour de 15 à 30 degrés, puis continue d’augmenter pour tourner pendant plusieurs jours autour de 35. « It’s too hot for an eskimo ! » (Trop chaud pour un eskimo).

Si la région avait déjà subi une vague de chaleur l’été précédent, celle-ci est encore plus forte. Il n’a jamais fait aussi chaud dans le nord. Le soleil ne se couche jamais, et la température met énormément de temps à redescendre. Il n’y a pas d’ombre, et la température dans la tente reste inconfortable de 9h du matin à minuit. Hors de la tente, les moustiques et les mouches s’en donnent à coeur joie. Rouler de nuit n’est pas une option : si la température est effectivement plus confortable de minuit à 8h du matin, les moustiques sont encore plus vifs.

Si pour nous ces conditions sont inconfortables, pour la région et même la planète, elle sont inquiétantes. À court terme, elles ont entrainés un nombre record de feux de forêts dans le Yukon. L’air est enfumé par les incendies. À plus long terme, la fonte des glaces et du permafrost et la montée des eaux nous menacent tous, mais impactent encore plus ces régions. Tuktoyaktuk subit chaque année une érosion importante, et la question n’est plus de savoir si le village va disparaître, mais quand.

Road angels

Ce qui nous a permis de tenir face à ces conditions difficiles, ce sont les road angels (anges de la route). Les road angels sont à la Dempster Highway ce que les trail angels (anges du chemin) sont aux longues randonnées américaines telles que le Pacific Crest Trail ou l’Appalachian Trail. Un personnage typiquement nord-américain, prêt à parcourir les 900km de la Dempster Highway aller-retour au volant de son camping-car climatisé pour passer seulement une nuit au bord de l’océan Arctique, mais qui trouve incroyable, hallucinant, surhumain même, que l’on puisse le faire à vélo en deux semaines. Les anges de la route s’arrêtent souvent pour nous dire à quel point nous sommes de véritables héros américains à leur yeux, s’assurer que nous ne manquons de rien, nous offrir de l’eau fraîche voire de la nourriture : des fruits (véritable caviar ici), des glaces et même des bières fraîches ! Les anges de la route allègent également nos vélos : un service de livraison de cartons de nourriture est organisé au départ des offices de tourisme d’Inuvik et de Dawson. Les cartons sont confiés à des touristes motorisés, qui les déposent à des endroits sûrs (hôtels, campings…) sur la route. Enfin, les anges de la route nous informent : de l’ouverture et de la fermeture des routes dans le sud, à cause des travaux ou incendies. De la présence d’animaux sur la routes (ours ou pire : orignaux). De la progression des autres voyageurs à vélos. Nous savons ainsi qu’un autre français est quelques jours derrière nous, ainsi qu’un groupe d’une vingtaine de cyclistes avec voiture d’assistance !

En plus de nous offrir le plein d’eau fraîche, ce conducteur transporte en stop un autre cycliste.

Enfin les montagnes

D’Inuvik à Fort McPherson, les paysages sont parfois monotones, voire carrément ennuyeux, à l’image des 50km avant et après Tsiigehtchic : une longue ligne droite plate, trois virages et toujours le même paysage de pins rachitiques des deux côtés de la route. En ajoutant à cela les mouches et moustiques qui ne nous lâchent pas et la chaleur insoutenable, on commence à douter des motivations qui nous ont pousser à venir rouler ici. On nous avait promis de la fraîcheur et des animaux sauvages, pour l’instant nous n’avons eu ni l’un ni l’autre, à part quelques oiseaux intéressants dans le delta du Mackenzie, au delà de la limite des arbres (sternes arctiques, petites oies des neiges, plongeons du Pacifique, cygnes siffleurs, aigles, canards eider…).

Une fois la rivière Peel franchie, la route se redresse immédiatement et nous devons affronter les premières véritables bosses du voyage. À Midway Lake, nous voyons enfin les montagnes. La première journée d’ascension est longue et éprouvante, mais nous la vivons comme une véritable récompense : enfin de beaux paysages ! Clemens et Michael, avec qui nous roulons ce jour là, nous avertissent : c’est typiquement le genre d’endroit où on pourrait croiser un grizzli. Effectivement, on se croirait dans un paysage de documentaire animalier. Heureusement, nous sommes trois tentes et quatre cyclistes ce soir là et aucun ours n’a osé tenté sa chance avec nous. Les moustiques, si. Comme d’habitude !

Le passage du col Wight qui marque la frontière entre le Yukon et les Territoires du Nord Ouest marque également le retour à des températures plus confortables et l’apparition d’une brise thermique en fin de journée, qui nous permet de monter le bivouac et de manger en étant moins gênés par les insectes. Mais si les paysages sont magnifiques, ils sont malheureusement complètement voilés par la fumée des lointains incendies. Impossible de prendre des photos : on ne voit qu’une purée de pois grise. C’est frustrant. Heureusement, quelques jours plus tard les premières pluies nettoient l’atmosphère, font retomber la poussière de la route et rendent le voyage enfin réellement agréable. Les 120km sans eau après Eagle Plains, que nous redoutions, passent comme une lettre à la poste dans ces conditions. Et comme les bonnes choses n’arrivent jamais seules, c’est également à partir de ce moment que nous commençons à voir des animaux. Notre premier ours, tout d’abord. Un ours noir en train de brouter tranquillement au milieu d’un champ de fireweeds. Tache noire sur fond rose dans la lumière dorée du soir, la scène est à la fois intense et émouvante. L’animal, à une centaine de mètres de nous, lève la tête et nous regarde, avant de reprendre ses activités. Je suis à la fois ému et excité. Quel bel animal ! Quelle chance de le voir dans son milieu naturel ! Le lendemain, en redescendant dans la vallée d’Ogilvie, c’est un orignal que nous voyons s’abreuver dans la rivière. Malheureusement trop peu de temps, puisqu’une voiture passant à toute vitesse le fait fuir. Puis un castor nous sort de notre sieste au bord de la Blackstone river, au moment où un aigle à tête blanche passe au dessus de nous !

Alors que nous atteignons le parc de Tombstone, les paysages deviennent franchement grandioses. Nous nous arrêtons une journée pour profiter de la nature et des chemins de randonnée. En effet, notre grosse frustration par rapport à la Dempster Highway, c’est que bien que ce soit une route de terre, elle reste une highway : la nature est loin de nous et les paysages défilent comme au cinéma, à bonne distance. Pour nous qui aimons rouler sous les arbres, pousser nos vélos sur des petits chemins, c’est parfois un peu ennuyeux malgré les paysages splendides.

Dawson City

Terminus de la Dempster Highway, Dawson est la plus ancienne ville du Yukon, fondée à la fin du 19e siècle lors de la ruée vers l’or du Klondike. Difficile d’imaginer que cette petite bourgade touristique d’un peu plus de 1000 habitants était peuplée de plus 40000 personnes au pic de la fièvre de l’or, dans les années 1897-1898. La plupart de ses habitants venaient de Californie, et si quelques uns ont fait fortune, la plupart sont morts ou rentrés bredouilles. Aujourd’hui, Dawson City conserve une atmosphère de ville du far west avec ses trottoirs en bois, ses routes de terre, ses façades style western et sa population de personnages forts, parfaitement en phase avec leur environnement. Nous sommes surpris d’y entendre beaucoup parler français : le Yukon est peuplé d’environ 25% de francophones et tous les services et documents officiels sont en anglais et en français. Nous nous reposons quelques jours au campground de Dieter, vieux baroudeur allemand qui a parcouru le monde à vélo pendant 15 ans avant de poser ses valises à Dawson, où il travaille l’été pour voyager l’hiver. Ce retour à la civilisation est pour nous l’occasion de manger autre chose que de la purée et des flocons d’avoine, et de modifier nos plans pour la suite du voyage. Nous avons entendu parler de petites routes de terre comme nous aimons dans le sud du Yukon. Au pays du Wild, à quoi bon s’ennuyer sur des highways bien lisses quand on peut s’enfoncer un peu plus dans la nature sauvage ?

La Alpujarra, Granada et l’Alhambra

Grenade et sa région, en particulier l’Alpujarra, ont été un véritable coup de cœur pour nous. Nous étions à deux doigts de laisser nos vélos et de nous arrêter ici, pour longtemps. Cela méritait donc bien un article à part, en attendant d’y retourner un jour.

Alpujarra

Une jota rocailleuse, un double « r » qui roule comme s’il dévalait les pentes de la Sierra et le préfixe Al : les origines arabes de la région de l’Alpujarra s’entendent dans chaque syllabe de son nom. Elles se voient aussi dans ses paysages : est-ce toujours l’Europe ou déjà l’Afrique ? Des siècles d’enrichissement culturels mutuels ont donné à l’endroit une identité unique. C’est le printemps, l’eau coule à flot dans les torrents, les paysages d’un vert éclatant sont couverts de fleurs. On a qu’une seule envie : poser nos sacoches et s’installer ici.

Alhambra

Avant d’être le nom de la bière locale, l’Alhambra est d’abord un palais magnifique et une forteresse fondé par les arabes au moyen-âge. Il domine Grenade et ses jardins extraordinaires ont des vues incroyables sur la ville d’un côté et sur les neiges de la Sierra Nevada de l’autre. Fut un temps, l’Alhambra dut être un véritable paradis pour ses habitants. Aujourd’hui, il est malheureusement envahi par les touristes, il faut réserver plusieurs jours à l’avance son billet et faire souvent la queue, mais il n’en conserve pas moins sa beauté.

Grenade

Malgré la splendeur de l’Alhambra, venir à Grenade seulement pour son palais et ses couchers de soleil (eux aussi très réputés), c’est passer à côté de tout ce qui fait l’âme de cette ville. Grenade n’est pas seulement belle, elle est rebelle et multiculturelle. Un fruit bien mûr en permanente explosion culturelle, artistique, festive. J’ai retrouvé l’atmosphère punk du Rennes de mes 15-20 ans, cette ville que j’aimais, pauvre mais joyeuse, enterrée par les projets urbains et le TGV qui l’ont transformée en périphérie bobo de Paris. À Grenade, cette atmosphère persiste malgré le tourisme massif, et elle se dote en plus d’une touche méditerranéenne, fruit de siècles de brassages culturels liés à sa position géographique, entre l’Europe et l’Afrique.

« Que nos hay en la vida nada como la pena de ser ciego en Granada » peut-on lire sur un mur de la maison du peintre Max Moreau, dans le quartier d’Albaicin. Quelle plus grande peine encore que d’y être sourd. à chaque coin de rue, la musique résonne. Rumba gitane et flamenco bien sûr mais aussi reggae africain et buff stoner/blues du désert à tendance hippie placette Cristo de las azucenas. Techno bien européenne dans les friches du Sacromonte. Rave party ambiance burning man dans le désert de Gorafe tout proche. Sans oublier le roucoulement grave des huppes fasciées qui peuplent les jardins, revenues de leur hiver tropical. Encore un endroit où nous aurions bien posé nos valises pour un moment.

Portugal

La frontière entre l’Espagne et le Portugal est matérialisée par une large rivière. Il n’y a pas de pont pour la traverser, seul un bac permet de passer de l’autre côté. Le bateau part une fois par heure, ce qui donne tout son charme à cette frontière : pendant que nous l’attendons, nous contemplons l’autre rive en essayant d’imaginer comment sera le Portugal. Vue d’ici, ça n’a pas l’air très différent de l’Espagne. Pourtant, à peine débarqué le changement d’atmosphère nous saute aux yeux. Le changement de langue déjà : nous ne parlons pas portugais et la communication avec les locaux s’annonce plus compliquée. Heureusement, beaucoup de personnes de ce côté de la frontière s’expriment dans un anglais ou un français impeccable. Il faut dire que comme à Majorque, l’Algarve souffre d’un phénomène de colonisation par des retraités aisés des pays riches d’Europe, France en tête, attirés par le coût de la vie (1€ la bière…), le climat et les avantages fiscaux.

Nous avions entendu beaucoup de mal des automobilistes portugais. Il est vrai qu’après l’Espagne, où les conducteurs sont exemplaires, nous avons quelques sueurs froides. Heureusement, il suffit de s’enfoncer de quelques kilomètres dans les terres pour trouver des petites routes tranquilles et des pistes magnifiques et en très bon état. Etrangement, nous croisons plus de voyageurs à vélo sur la route littorale très fréquentée, où nous n’avons pourtant roulé qu’une dizaine de kilomètres, que sur les petites routes de l’intérieur pourtant plus belles et plus calmes. Nous nous concoctons un itinéraire en nous basant plus où moins sur le GR Via Algarviana et sur un chemin de Saint Jacques qui part de la frontière espagnole. Au programme : collines couvertes de forêts d’eucalyptus, fonds de vallées humides et grouillant de vie (grenouilles, tortues, serpents, oiseaux, chouettes…) et jolis villages. Nous avons 1 semaine devant nous et peu de distance à couvrir jusqu’à Portimao où nous rejoignent mes parents. Il fait chaud, on trouve des bars à toutes les intersections et le portugais est la plus belle langue du monde, alors nous passons nos après-midi à siroter des Sagres et des Super Bock en écoutant parler les gens le temps que la température baisse.

Nous retrouvons mes parents à Portimao. Nous passons la semaine suivante avec eux sur leur voilier. Ensemble, nous explorons la côte jusqu’à Sagres, considéré pendant longtemps comme le bout du monde par les européens du sud. Fin mai, il est temps de rentrer. Un autre voyage, plus long, nous attends.

À travers l’Espagne vide

L’Altravesur est un itinéraire VTT conçu par bikepacking.com qui traverse le sud de l’Espagne de Valence à Cadiz. Il suit des petites routes, des pistes plus ou moins roulantes et quelques passages plus engagés. Il connecte des itinéraires déjà existants : GR247, ruta de Don Quijote, Transnevada… pour en faire une longue traversée d’environ 1300km et 33000m de dénivelé positif. Nous avons pris quelques libertés avec le parcours « officiel » pour éviter certains passages impraticables pour cause de météo (les Campos d’Hernan Pelea après 3 jours ininterrompus de neige) ou par choix. A l’inverse, nous y avons ajouté des passages « hors trace » qui nous inspiraient, comme les déserts de Gorafe et d’Almeria. Si les quelques passages techniques peuvent être facilement évités, la difficulté physique est elle bien présente. Les régions traversées sont parmi les plus reculées d’Espagne, les paysages sont incroyablement variés et grandioses, et lorsqu’en plus le mauvais temps s’en mêle, l’aventure devient véritablement épique. Lors de cette traversée nous avons eu de la neige, de la pluie, des nuits glaciales, beaucoup de vent, de la boue et des écarts de température impressionnants. Parfait pour tester notre matériel et notre capacité d’adaptation avant notre grand voyage à travers l’Amérique. Maintenant, nous sommes rodés !

La pluie

Le matin du 25 mars, nous sortons de Valence par son magnifique réseau de pistes cyclables. La pluie, omniprésente depuis le début du mois, nous offre une courte accalmie. Nous estimons que nous avons le temps de rouler suffisamment loin de Valence pour trouver un endroit où bivouaquer avant son retour. Alors que nous traversons les vergers d’oranger et de mandariniers de l’arrière-pays, le ciel nous tombe à nouveau sur la tête. Il faut pourtant que nous avancions : impossible de camper ici, tout est grillagé. Nous montons vers Dos Aguas, à travers la brume, au milieu de montagnes austères. Nous espérons trouver un abri au col avant le village, mais le vent souffle beaucoup trop fort et le sol, complètement détrempé ne nous permet pas de monter la tente alors que la pluie continue de tomber. « Lluvia de barra » : il pleut des baguettes. Ou des cordes, en français. Alors que la lumière du jour baisse fortement, nous repérons une maison au milieu de nulle part, devant laquelle est garée une voiture. Il y a un porche devant la maison, dans lequel les bourrasque de vent s’engouffrent, apportant avec elles quelques gouttes de pluie. Au moins il y a un toit pour s’abriter, c’est toujours mieux que rien. Nous frappons à la porte, un vieux monsieur sort. Nous lui demandons si nous pouvons monter notre tente ici. Sa femme arrive, nous dit qu’il faut être fous pour voyager à vélo par ce temps. Eux, ils n’ont pas vu le soleil depuis un mois. De toute leur vie, ce n’était jamais arrivé. Ils ne peuvent pas nous faire entrer à cause de leurs chiens, mais nous pouvons dormir sous le porche. Peut-être pour se faire pardonner, ils reviennent alors que nous montons la tente avec des grands bocaux de soupe chaude, de café au lait et des madeleines. Encore plus que le café, c’est l’attention qui nous réchauffe et nous aide à passer la nuit sous les trombes d’eau, la brume et dans le bruit du vent. Le lendemain matin, nous nous contentons de rouler les 10km jusqu’au village suivant, Dos Aguas. Le vent s’est calmé, mais il pleut toujours sans interruption. Le seul hôtel du village sera notre refuge, malgré le prix beaucoup trop élevé, le toit qui fuit, les bois gonflés des portes qui ne leur permettent plus de se fermer (de toute façon nous sommes les seuls clients) et la douche froide, puisque le chauffe-eau est solaire. Tous les gens que nous croisons nous parlent de cette pluie « increhible ! ». Il n’a pas plu autant depuis 1850, parait-il. On a vraiment de la chance !

L’Espagne Vide

Au bar de Dos Aguas, nous rencontrons Ramon. Ramon c’est Raymond en espagnol, comme Raymond Poulidor, dit-il. Ramon aime la bière, et il aime aussi parler français. Il nous explique que nous entrons dans « l’Espagne vide ». Beaucoup de villages comme Dos Aguas sont grands et ont de nombreux logements, mais la plupart de ces logements sont vides. Leurs habitants sont partis sur la côte ou dans les capitales régionales chercher un emploi. En dessous d’un certains nombre d’habitant, les services publiques ferment, ce qui accélère le processus. Ne restent que des retraités, des agriculteurs et quelques irréductibles qui n’ont pas voulu partir et tentent de survivre comme ils peuvent. Tout au long de notre traversée, nous constaterons cet état de semi-abandon de ces territoires. Nous passerons devant un nombre incalculable de panneaux « à vendre », certains tellement vieux qu’on devine tout juste ce qui y est écrit. Nous traverserons des villages entiers vidés depuis longtemps de leurs derniers habitants et tombant en ruine, en particulier dans le désert de Tabernas dont le village de Fuente Santa illustre cet état. Perdu au milieu de rien, Fuente Santa n’était desservi que par la voie ferrée et une très mauvaise piste de sable. La gare est toujours là, mais aucun train ne s’y arrête plus. Quelle sensation étrange quand, alors que l’on est assis à l’ombre sur le quai, tout se met soudain à vibrer et le fracas l’Almeria-Séville rompt le silence du désert avant de disparaître comme il était arrivé. On se demande si on n’a pas rêvé ces gens nous regardant à leur fenêtre, dans leurs wagons climatisés, pendant que nous bouffons de la poussière sur le quai où la seule autre forme de vie visible sont les scarabées et les fourmis qui terminent les miettes de notre repas.

Déserts

La péninsule ibérique concentre sur un territoire à peine grand comme la France la diversité de paysages d’un pays comme les Etats-Unis. Le relief important, la situation géographique entre l’océan Atlantique et la Méditerranée engendrent une diversité de micro-climats extrêmement variés et changeant. Cette richesse paysagère est incroyable lorsqu’on voyage à vélo : les paysages changent tous les 30 à 50km environ. Impossible de se lasser, le risque est plus de saturer. Parmi toute cette diversité, ce qui est probablement le plus fascinant et unique pour nous européens, ce sont les déserts. Gorafe, Monegros, Bardenas Reales, Almeria, Tabernas… Tous ces lieux plus ou moins connus ont un climat aride, résultant à la fois de leur position géographique (Gorafe, bassin coincé entre différentes Sierras qui arrêtent les nuages) et de l’impact de l’homme. L’absence de végétation et les pluies rares mais violentes entraînent une érosion importante et des paysages de badlands, canyons et cheminées de fées grandioses et colorés. C’est une succession de dégradés d’ocres, de jaunes, de gris, de noir et même de vert. Le vert de certaines roches, mais aussi, à cette saison, des végétaux. En effet, après les semaines de pluie qui se sont abattues sur la péninsule ce printemps, nous traversons les déserts de Gorafe et Tabernas au meilleur moment possible, quand la végétation est en pleine croissance et floraison.

Etrangement, l’Altravesur ne traverse aucun désert. La trace se concentre sur les montagnes et contourne Gorafe par la Sierra de Baza. C’est pourtant un des plus beaux endroits que nous ayons traversé à vélo, et ce détour nous paraissait indispensable. Nous ne le regrettons pas : les pistes et routes sont en bon état et les paysages incroyables. Pour Tabernas, le détour est plus discutable : une bonne partie du désert est sur des terrains privés où l’on cultive les panneaux « passage interdit ». Les pistes et chemins sont laissés à l’abandon et nous avons dû parfois porter les vélos sur des sentiers où même à pied, nous n’aurions pas toujours été sereins. Peut-être est-ce dû à une érosion importante, conséquence aux pluies récentes. Après coup, nous ne regrettons pas d’y être passé : les villages abandonnés et décors de cinéma en plus ou moins bon état apportent une touche unique à ces paysages déjà austères.

Voyager à vélo dans ces déserts se mérite et se prépare. L’ombre est quasiment inexistante, et même si les quelques rivières sont pleines à cette période, l’eau est tout de même assez rare. Il fait déjà chaud et surtout très sec début avril, et nous buvons beaucoup. D’autant plus que ça grimpe : si vu du ciel le bassin de Gorafe paraît plat, il est en réalité creusé d’innombrables canyons qui obligent à monter et descendre tout le temps. Il est indispensable de prévoir beaucoup d’eau, surtout pour bivouaquer dans le désert, qui est une expérience incroyable : camper seuls en haut d’une colline avec vue sur les paysages lunaires illuminés par les étoiles et l’absence de pollution lumineuse, un souvenir inoubliable.

Seuls au monde (ou presque)

A de nombreuses reprises nous avons eu ce sentiment d’être seuls au monde. Ce fut particulièrement le cas dans les désert bien sûr, mais aussi en bien d’autres endroits : lors de notre traversée de la Mancha, dans les sierras du nord de l’Andalousie ou dans la Sierra Nevada, pour ne citer que les plus marquants. Cette rareté des rencontres les rends d’autant plus précieuses, d’autant plus quand les conditions sont rudes. A chaque fois que nous revenons à la « civilisation », en particulier dans des villages touristiques, nous nous sentons étrangers, perçus comme de potentiels clients parmi d’autres. Nous croisons plus de monde, mais les rencontres sont de moins bonne qualité, plus superficielles. Le bivouac y est également plus difficile, il faut faire de plus longues distances pour trouver un endroit correct, bien se cacher et partir tôt. Alors que nous pensions faire une pause reposante au bord de la mer à Almeria, nous en repartons encore plus fatigués. Finalement, c’est dans les endroits reculés que nous nous sentons le plus à notre place. Il est facile de camper n’importe où et en cas de doute, il suffit de demander. Et puis surtout, les animaux sauvages se montrent plus facilement. Dans la Sierra Nevada, nous avons arrêté de compter les bouquetins. Nous avons aussi vu et entendu des renards, de nombreux oiseaux, des sangliers, des chevreuils… Ces rencontres avec la faune sauvage sont toujours chargées d’émotion. Mais les rencontres humaines dans ces régions moins touristiques ne sont pas en reste. A Albacete, alors qu’une pluie froide et un puissant vent glacial de face nous ralentissent, nous passons deux nuits chez Gonzalo, hôte incroyable qui nous donne la force de repartir. Un peu plus loin, alors que nous luttons pendant deux jours contre ce même vent de face et cette même pluie sur la ruta de Don Quijote, nous croisons trois fois le pickup du garde chargé de cette voie. A chaque fois il s’arrête pour nous parler, avant de conclure avec un air lugubre : « demain, il va neiger ».

La neige et le froid

Finalement, il n’a pas neigé le lendemain. A la place, une vague de froid et un vent mordant se sont installés. La nuit, les températures descendent bas, très bas. Heureusement, nous sommes dans la Sierra de Cazorla. Cette Sierra, une des plus froides et humides d’Espagne, attire de nombreux randonneurs qui viennent y chercher l’eau et la fraicheur quand les températures deviennent trop chaudes en plaine. Grâce à cette attractivité de ses sentiers de randonnées, de nombreux refuges y sont construits, parfois même au bord des routes. Il est donc très facile d’y trouver un abri. Ainsi, nous avons pu passer toutes les nuits en dur pendant que dehors, tout gelait. Un matin, à 9h au soleil et à l’abri du vent, alors que l’air commençait déjà à bien se réchauffer, mon compteur indiquait encore -5°C.

Il n’a pas neigé le lendemain mais deux jours plus tard. La météo annonçait un à deux jours de tempête, alors nous avons enfourché nos vélo direction Pontones, où une auberge de jeunesse pas cher pourrait nous abriter pendant ce temps. Pour l’atteindre, nous avons dû gravir une dernière montée de 8km et 800m de dénivelé, sous une pluie de neige fondue ininterrompue, dans le froid, sans aucun abri, sans s’arrêter pour manger pour ne pas se refroidir, avec de nombreux passages raides nous obligeant à pousser les vélos… Cette montée fut probablement le moment le plus inconfortable du voyage. Et à notre arrivée à Pontones, l’auberge était fermée. Dépités, nous entrons dans le seul bar ouvert pour nous réchauffer autour d’un café bombón. Rien de tel que ce mélange de café et de lait concentré dans ces moments-là. Le serveur nous apporte nos tasses accompagnés d’une assiette de tapas. Croyant à une erreur, nous lui faisons remarquer que nous avions juste commandé des cafés, mais il insiste. C’est la tradition dans certains endroits de l’est de l’Andalousie : la boisson, surtout le vin ou la bière, est souvent accompagnée d’un tapa offert, de qualité variable (généralement juste quelques chips ou cacahuètes). Il nous apporte ensuite deux autres assiettes, chaudes et réconfortantes. Cadeau de la maison. En plus d’être un hôte généreux, Miguel est le frère de Raul, qui gère l’auberge. Un coup de téléphone plus tard et nous sommes installés devant la cheminée de l’auberge ouverte spécialement pour nous, où nous passons les trois jours suivants à attendre au coin du feu que la neige passe.

Quelques semaines plus tard, nous traversons cette fois la Sierra Nevada. Alors que le printemps est bien installé en dessous de 1500m d’altitude, lorsque l’on monte, l’hiver est toujours là. Le silence n’est rompu que par le croassement austère des geais des chênes et le fracas assourdissant des torrents, bien chargés en eau. Au dessus de 2000m, le bruit du vent couvre tout le reste. Les paysages sont spectaculaires, rudes mais magnifiques. Une fois en hauteur, au dessus des derniers villages, nous ne rencontrons plus aucun humain, mais de nombreux bouquetins et rapaces.

Enfin le printemps

Sans transition, après le froid et la neige, les températures montent à 30 degrés. Pas encore acclimatés, nous souffrons un peu au début. Puis la végétation reprend ses droits, les paysages verdissent et se couvrent de fleurs, arrosés par des averses qui maintiennent l’air à une température agréable. Après un mois et demi pas toujours facile, nous prenons notre pied ! A Ronda, nous rencontrons Tristan, voyageur anglais avec qui nous faisons un bout de route dans les sierras du sud-ouest de l’Andalousie. Nous nous attendions à des paysages secs, nous avons l’impression d’être quelque part entre le Pays Basque et la Colombie… D’après Wikipedia, cette région toute proche de Gibraltar est la plus arrosée d’Espagne. Ce pays n’en finit pas de nous surprendre ! Malheureusement, qui dit humidité dit également boue. C’est la goutte de trop pour mon vélo, qui mange de la poussière, du sable, de la neige et de la boue depuis bientôt trois mois. Le corps de roue libre est encrassé et les cliquets ne s’enclenchent plus. Je termine les 10km nous séparant de la Linea de la Concepcion en trottinette… Les vélocistes du coin ne savent pas m’aider, il faudra prendre le bus jusqu’à Tarifa pour trouver un mécanicien qui acceptera de me dépanner. Dommage, je me sentais mieux à La Linea, ville pauvre et un peu délabrée mais authentique, qu’à Tarifa, capitale de la surf culture du sud de l’Espagne, ses hordes de touristes « cools » qui alternent yoga sur la plage, cours de kitesurf et restaurant végétarien dans une ambiance pseudo-hippie mais authentiquement consumériste. Après avoir retrouvé mon oncle et ma tante en vacances dans le coin, nous reprenons la route en direction du Portugal où mes parents doivent nous rejoindre. La côte sud-ouest de l’Espagne à cette période est magnifique. Le vent ponctue le bleu turquoise de la mer de petites crêtes blanches. Côté terre, les collines couvertes de prés où paissent vaches et chevaux descendent en pente douce vers la mer. On se croirait presque dans le Finistère, en Irlande ou dans les Asturies, avec quelques degrés et la vue sur l’Afrique en plus.

Alors que nous remontons vers Cadiz, les paysages s’aplanissent et les températures remontent. L’air est lourd jusqu’à la traversée du Guadalquivir. Nous entrons alors dans le parc national de Doñana. 30km de plage déserte nous attendent jusqu’au prochain village. Seuls quelques pêcheurs en fatbike passent, ainsi qu’un gros bus tout terrain de temps en temps. Nous sommes seuls au monde et nous ralentissons pour faire durer le plaisir. Le soir, quand tous les pêcheurs sont partis, seuls restent des oiseaux de mer et le bruit des vagues. L’ambiance est magique. Après 3 mois intenses et parfois difficiles, c’est maintenant l’heure de se laisser aller.