L’apogée…
Il est temps de descendre des montagnes vers la région des vallées centrales de l’Etat de Oaxaca et de la ville éponyme. Oaxaca est une des villes les plus touristiques du centre du Mexique, réputée pour être la capitale gastronomique nationale et pour son art et artisanat indigène très riche. Ces titres honorifiques ne nous impressionnent pas trop : nous avons vécu dans une capitale de la gastronomie nous aussi et nous savons par expérience que tout ceci n’est que du marketing territorial. Juillet est un mois de fête à Oaxaca : c’est la période de la Guelaguetza, une très ancienne fête préhispanique célébrant les offrandes aux dieux et aux autres humains devenue la plus grande fête folklorique du continent américain et un événement très touristique. Comme pour Mexico, notre première impression est très négative. Aucune envie de traîner ici, c’est beaucoup trop touristique. Après deux semaines dans les montagnes, difficile de s’habituer à cette atmosphère. D’un autre côté, nous avons poussé assez loin nos limites en terme d’inconfort et nous avons aussi envie d’un peu de « luxe ». Nous n’avons pas le budget pour les restaurants gastronomiques qui font la réputation de Oaxaca. Pas besoin : rien qu’au marché, les produits sont effectivement de qualité supérieure que ce à quoi nous sommes habitués au Mexique. Nous passons donc une semaine à cuisiner des bons petits plats et à sortir pour visiter les galeries d’art, manger des paletas (glaces artisanales mexicaines), des nieves oaxaqueñas (autres type de glaces, typiques de la région) et des tlayudas (sortes de pizzas locales avec une pâte à la farine de maïs), boire des tejates (boisson fraiche à base entre autres de cacao) et des horchatas (sorte de lait de riz frais et sucré, à Oaxaca il est enrichi de noix et fruits confits)… Finalement c’est vrai qu’on mange bien ici !
Je comprends pourquoi cette région est si populaire : si je voulais découvrir le Mexique et que je n’avais que quelques semaines, c’est probablement là que j’irais. La richesse de l’artisanat, la densité de sites archéologiques, la diversité de climats et de paysages et la cuisine globalement meilleure que partout ailleurs au Mexique en font une région fondamentalement attractive. À cela s’ajoute une mafia parait-il moins présente que dans le reste du pays, des communautés plus sensibilisées à l’environnement (probablement lié à l’emprise moins forte des cartels) et un éco-tourisme développé qui font que l’écart culturel avec l’Europe est un peu moindre.
… Et la chute
Nous avons rendez-vous avec mes parents au Chiapas dans une dizaine de jours, il est temps de repartir… Mais Elisa n’a plus l’envie et sa démotivation est contagieuse. Nous sommes arrivés à un stade où le désir de sédentarité est plus fort que le désir de découverte. Cela fait presque 8 mois que nous sommes au Mexique, et le pays ne nous surprends plus. Nous nous y sentons bien, comme chez nous, et pourtant nous commençons à avoir suffisamment de recul pour ne plus être dans la phase d’émerveillement des premiers mois. Certains petits détails, que nous n’avions pas forcément remarqué jusque là ou qui ne nous dérangeaient pas, commencent à nous irriter. Nous décidons de reprendre la route tout de même pour au moins rejoindre mes parents à San Cristobal. Le matin du départ, j’ai une légère fièvre. La première étape est courte et facile, je ne dis rien à Elisa. Ça va passer… Ou pas. Le soir je m’écroule sur le lit de la petite chambre que nous avons loué à Mitla, terrassé par la fièvre. Il y a quelques jours, nous traversions des villages avec des pancartes sensibilisant au risque de dengue, zika et chikungunya mais le climat étant frais et relativement sec, je n’y ai pas pris garde. Erreur. Je passe les quatre jours suivants cloué au lit, avec des brutales et violentes montées de fièvre accompagnées de nausée pendant lesquelles le simple fait d’être allongé me fait mal au dos, à la nuque, à la tête… C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : nous avons besoin de couper avec le voyage et décidons de rentrer faire une pause en France.
À peine les billets d’avion réservés, nous sentons un immense soulagement, une véritable sensation d’euphorie. Etrangement, c’est à ce moment que le mal du pays se fait le plus pressant. Rien ne nous manquait jusqu’à présent. Quand nous rencontrions d’autres français, les discussions tournaient évidemment souvent autour de la cuisine de chez nous, de la famille et des amis si loins. Et pourtant, pour nous ce n’était qu’une idée assez abstraite, quelque chose que nous aimions et auquel nous pensions souvent, mais dont l’absence ne nous pesait pas. Après tant de temps sur la route, nous ne désirions plus que ce que nous pouvions avoir. Soudain, savoir que nous allions retrouver le pays a rendu de nouveau concrets tous ces désirs et nous avons commencé à souffrir du manque de ce que nous allions bientôt retrouver.
Mais nous savons aussi qu’il ne nous reste plus que deux semaines à passer au Mexique et nous nous réconcilions avec l’envie de voyager et notre environnement. Rien d’autre n’a changé que notre regard et pourtant notre environnement nous parait différent. Ce qui nous irritait ne nous dérange plus, et nous voyons déjà avec nostalgie ce que nous aimons. La dernière paleta avant le retour, la dernière horchata… Il faut profiter de tout à fond. Nous décidons d’utiliser le temps qu’il nous reste pour aller dans les montagnes, à San Mateo Rio Hondo. San Mateo et les villages environnants bénéficient d’un climat frais et très humide à cette période de l’année, favorisant la croissance des champignons, particulièrement en cette semaine de pleine lune de fin juillet. Les villageois courent les bois à la recherche de magnifiques cèpes, bolets et psylocibes qui sont ensuite vendus dans les échoppes et restaurant du village. Nous y dégustons d’incroyables plats aux champignons. Mais si nous sommes venus ici, c’est aussi pour découvrir un autre aspect de la médecine traditionnelle mexicaine. C’est dans les montagnes de l’Etat de Oaxaca qu’ont été redécouvert par les occidentaux les champignons hallucinogènes, qui n’avaient jamais cessé d’être utilisés à des fins médicinales par les populations indigènes locales. Cette pause dans les montagnes aura eu un véritable effet thérapeutique, à un moment où nous nous posions beaucoup de questions.
De retour à Oaxaca Ciudad, nous retrouvons nos amis québécois Katherine et Félix, qui ont eux aussi décidé de mettre en pause leur voyage. Nous retrouvons également Nick et Emily, chez qui nous avions laissé nos vélos pendant notre excursion à San Mateo. Nick voyage à vélo depuis deux ans, se posant tous les trois mois environ pour travailler, profiter de la sédentarité et financer la suite de l’aventure. Il a rencontré Emily sur la route, et ils ont poursuivi leur chemin ensemble. À Oaxaca, il donne des cours d’anglais dans une école de langues locale et sur une plateforme en ligne (plus contraignant, moins convivial mais beaucoup plus lucratif). À ce moment du voyage c’est une rencontre qui nous inspire : pouvoir travailler depuis n’importe où, s’arrêter quelque part où l’on se sent bien quand on en a envie jusqu’à ce que la route nous appelle à nouveau. C’est probablement ce qui nous a manqué depuis Mexico : continuer le voyage, mais de manière sédentaire.
Nick et Emily ne pouvant pas nous accueillir dans leur minuscule logement, nous passons notre dernière nuit dans la dernière auberge ayant deux lits disponibles à un budget raisonnable. Bonne pioche : nous y rencontrons une belle brochette de backpackers avec des parcours et des manières de voyager très différents des nôtres, ce qui n’était pas arrivé depuis… longtemps. Un québécois interprète et guide mycologique, un couple anglo-australien de cuisiniers ici pour se former à la cuisine mexicaine, un travailleur social américain entre deux volontariats, deux très jeunes françaises voyageant en solitaire… J’ai un petit pincement au coeur : ces rencontres me redonnent envie de voyager. Auraient-elles été aussi inspirantes si nous n’avions pas pris la décision de rentrer ? Auraient-elles suffit à relancer la dynamique d’un voyage qui tombait en chute libre ? Je ne sais pas. Elles auront au moins contribuer à ce que nous rentrions au pays sans être définitivement dégoutés du voyage et du Mexique, pour lequel nous garderons pour toujours un attachement fort suite aux 8 mois où nous y avons vécu. Nous y retournerons un jour, c’est certain !