Mexico

Premier contact

Arriver à Mexico est l’objectif qui nous a fait avancer depuis Guadalajara, soit pendant les 6 semaines qui ont probablement été les plus riches depuis notre arrivée sur le continent américain. Depuis le début du voyage c’est la première fois que nous avons retrouvé une telle combinaison de richesse culturelle, de rencontres et de plaisir à vélo (cf article Michoacán). Alors forcément, lorsque nous atteignons cet objectif, fatigués mais au sommet de notre forme physique et dans une dynamique d’explorateurs affamés de routes et de découvertes, nous avons un petit pincement au coeur en prenant conscience que nous n’allons plus faire de vélo avant un long moment. D’autant plus que l’entrée dans la ville nous met une claque : nous fantasmions Mexico depuis des mois, nous avions des rêves de couleurs, de street-food et de musique (confortés par les rythmes de la cumbia qui quelques jours avant la ville commençaient déjà à prendre le pas sur ceux de la polka). Mais en entrant par l’ouest de la ville et les riches quartiers de Bosque de las Palmas, nous tombons des nues : les mamans au volant de leurs gros pickups font la queue pour récupérer leurs enfants devant les écoles internationales, la conduite agressive des automobilistes nous rappelle nos années de vélotaf à Lyon. Alors que le Mexique est un pays métissé, l’ouest de Mexico a la peau blanche. Les seuls piétons qu’on y croise sont des promeneurs de chiens professionnels tenant chacun en laisse une dizaine d’animaux de race ou des hommes et femmes d’affaires en costume noir. Même les rares vélos stationnés devant les immeubles de bureau rappellent plus Paris ou Vancouver que le Mexique : Cinellis et Colnagos de route ou de piste, vélos à plusieurs milliers d’euros difficiles à trouver dans un pays dominé par les marques chinoises et américaines et où la plupart des gens n’ont qu’une seule monture, souvent tout terrain.

En nous rapprochant du centre, où se trouve notre logement, nous traversons les quartiers Condesa et Roma Norte, prisés des touristes et expatriés européens. N’ayant entendu que du bien de ces quartiers, nous tombons à nouveau des nues. Ici non plus, rien n’évoque le Mexico dont nous rêvions : tout est boulangeries françaises aux prix astronomiques, restaurants et magasins de vêtements internationaux, ambiance sombre et austère surtout en ce jour de ciel gris. Déception. Et sans que nous ayons le temps de nous en rendre compte, nous traversons l’avenue Cuauhtémoc et la rue Frontera, qui porte bien son nom. Des petites rues calmes aux pistes cyclables bien aménagées, nous passons au chaos des quartiers populaires du centre-ville. Du béton, des grands axes plein de nids de poules saturés de voitures brinquebalantes, du bruit, des stands de tacos et tortas bon marché à chaque intersection : sans transition, nous passons d’un extrême de Mexico à l’autre. Notre hôtel est dans le quartier Obrera, ancien quartier ouvrier réputé pour ses pulquerias et cantinas bon marché. Le contraste avec les beaux quartiers est intense et nous ne nous sentons tout d’abord pas trop à notre aise au milieu de ces immeubles décrépis derrière les fenêtres desquelles se devinent des conditions de vie pas toujours faciles. Pas trop l’endroit où nous avons envie de trainer le soir à première vue… Et finalement un quartier pas désagréable, un peu délabré mais vivant, où cohabite finalement une population assez hétéroclite de classes moyennes et populaires. Un quartier en tout début de gentrification.

L’auberge espagnole

Ce premier aperçu sera de courte durée puisque nous devons prendre l’avion pour Cuba, où nous allons rester un mois. À notre retour, tout nous semble différent : nous avons du mal à nous réadapter à l’opulence de Mexico : la surabondance de nourriture, de publicité, d’immeubles de verres et d’acier, de voitures, les grands écarts sociaux entre les plus riches et les plus pauvres : tout nous écoeure. Heureusement, c’est à ce moment que notre vie sociale se débloque : les moments difficiles passent mieux quand on est bien entourés. Nous sommes d’abord hébergés chez Juan Carlos et sa fille Elena dans le sud de la ville, entre l’université et les quartiers historiques de Coyoacán et San Angel, bourgades périphériques rattrapées par la ville et petits ilôts d’architecture coloniale et de rues pavées dans un océan de béton. Coyoacán est le quartier des artistes et intellectuels aisés et ses petites rues ont des airs de village. On y trouve une concentration de cafés, galeries d’arts, cinémas d’arts et essais et magasins bios comme nulle part ailleurs à Mexico. C’est la première fois depuis le début du voyage que nous avons autant l’impression d’être en France. Nous faisons d’ailleurs la rencontre de Claire, enseignante au lycée français et aventurière sur son temps libre, qui vit ici depuis de nombreuses années. Nous rencontrons ensuite une ribambelle de voyageurs à vélo : Alban, français, Félix et Katherine, québécois, Sylvan, Heidi et Daniel, états-uniens, ainsi qu’un autre Daniel, cycliste urbain mexicain qui nous fait découvrir le nord de la ville. Puis nous retrouvons Diana, mexicaine ayant vécu à Vancouver, rencontrée à Valle de Bravo, chez qui nous rencontrons Lotta l’allemande et Drew, encore un voyageur à vélo états-unien. Retrouver une vie sociale, des personnes avec qui nous partageons parfois la même langue maternelle ou à défaut des mêmes codes culturels et un quartier où nous nous sentons bien signe le début de la fin de notre envie de voyager. Nous commençons à envisager la possibilité de chercher un travail et de nous installer à Coyoacán…

Hello darkness

Être resté près d’un mois et demi à Mexico, en logeant dans des quartiers différents, nous a permis d’avoir un bon aperçu de ce qu’est cette ville, plus grande métropole d’Amérique du Nord avec ses 9 millions d’habitants (et plus de 20 millions en comptant l’agglomération). Plus qu’une simple ville, Mexico est un véritable pays dans le pays avec sa propre culture, à la fois mexicaine, internationale et typiquement defeña (du DF, district fédéral, ancienne entité administrative de la ville de Mexico). Ses habitants, les chilangos, ont leur propre accent, leurs propres styles. Située dans une grande cuvette à plus de 2200m d’altitude, Mexico est une ville froide. Cette froideur est accentuée par le nuage de pollution quasi-permanent au-dessus d’elle, qui lui donne une lumière très spéciale lorsque le soleil daigne traverser les nuages au coucher du soleil. Tenochtitlan, l’ancienne Mexico, était une ville de canaux construite sur un lac. De ce lac asséché seul restent quelques vestiges. Xochimilco (lieu du champ des fleurs en nahuatl) au sud, quartier de maraichage et d’horticulture où l’on se déplace sur des canaux à l’aide de barques appelées trajineras. Et des vestiges archéologiques tels le Templo Mayor ou Tlatelolco disséminés un peu partout. Au Zocalo et ailleurs, le bruit sourd des tambours et des conques résonne toute la journée et des prêtres aztèques le corps recouvert de peinture et aux impressionnantes coiffes de plumes proposent aux touristes des rituels de purification au milieu d’un nuage de fumée de plantes médicinales. Les bâtiments de l’époque coloniale, de style baroque, sont construits en pierre volcanique noire et enduits de peinture souvent rouge et bleu nuit, qui leur donne un air de décor de film de vampire. Je ne sais pas si c’est dû au climat, à l’architecture ou parce qu’ils portent le deuil de leur ancienne culture, mais les chilangos ont souvent des styles vestimentaires sombres. Il n’est pas rare de voir des cyclistes urbains en singlespeed, tout de noir vêtus, véritables guerriers et guerrières de la route en tenue de combat. Combatifs ils le sont, puisqu’ils ont réussi à imposer le ciclotón : tous les dimanches, de 8h à 14h, plusieurs dizaines de kilomètres de grands axes sont fermés au trafic motorisé. Un peu comme si à Paris, les Champs-Elysées, les bords de Seine et la moitié du périphérique étaient réservé aux vélos, trottinettes, piétons, poussettes, skateboards, qui se baladeraient tranquillement sans bruits de moteurs ni odeurs d’échappement lors d’une promenade dominicale ponctuée de stands de réparation de vélos, de cours de yoga et danse et de sensibilisation à un mode de vie sain aux feux rouges. Le tout avec un sourire jusqu’aux oreilles. Cet événement est tellement euphorisant que nous y sommes allés tous les weekends que nous avons passés à Mexico. S’il a forcément généré quelques protestations au début, cet événement semble aujourd’hui bien accepté par la majorité. D’ailleurs, de très nombreuses grandes villes l’ont adopté au Mexique et ailleurs en Amérique latine. À Bogota (13 millions d’habitants, presque le double du grand Paris), il existe depuis les années 70 ! À quand la même chose dans nos villes européennes ?

Du pulque et des jeux

En plus d’être la capitale du Mexique, Mexico est aussi la capitale mondiale de la lucha libre. Ce catch mexicain, aérien et spectaculaire, voit s’affronter plusieurs fois par semaines dans le temple de l’Arena Colisée les gentils tecnicos vêtues de blanc, or et argent aux diaboliques rudos grossiers et tricheurs, souvent en rouge et noir tels le démon… Au-delà de la symbolique, c’est un spectacle impressionnant auquel participent à grands cris les quelques milliers de spectateurs.

La boisson emblématique du centre du pays et particulièrement de Mexico est le pulque. Il s’agit d’un jus d’agave plus ou moins fermenté, blanchâtre, laiteux, légèrement alcoolisé et parfois légèrement pétillant. Aux temps préhispaniques, il s’agissait d’une boisson sacrée réservée à l’aristocratie. Il convenait de la boire avec modération pour ne pas voir les centzon totochtin (littéralement les « 400 lapins », les dieux de l’ivresse)… Aujourd’hui, c’est une boisson populaire, qu’on trouve un peu partout aux bords des routes du centre du pays et en ville dans les pulquerias. Servi nature et bien fermenté, son degré d’alcool est proche de la bière (environ 5%) pour un prix environ deux fois inférieur. On le sert en grandes chopes d’un litre et il procure une légère ivresse euphorisante bien agréable. Pour ceux qui n’aiment pas son goût et sa texture particuliers, ou souhaitent découvrir de nouvelles saveur, il peut également être servi en curado, c’est à dire mixé avec du sucre et des fruits, des cacahuètes, de l’avoine… et parfois en cocktail mélangé avec des alcools plus forts (mezcal ou rhum par exemple). Si l’arrivée de la bière au Mexique à la fin du 19e siècle a marqué le déclin du pulque, il revient à la mode depuis une dizaine d’année et des pulquerias modernes et élégantes ouvrent un peu partout dans le pays, même dans des régions où il n’était traditionnellement pas consommé. Mais à Mexico, ces nouvelles pulquerias n’ont pas remplacé les plus traditionnelles, à l’ambiance populaires et de quartier ou des petits vieux s’enfilent des litres de pulque bon marché à l’hygiène parfois douteuse, dans un brouhaha couvert d’une musique souvent bien trop forte.

Kindgom of Heaven

Pour s’assurer le contrôle sur les peuples indigènes, les espagnols avaient besoin d’un miracle. Ils ont donc créé une vierge noire, la vierge de Guadalupe, apparue à Juan Diego, un indigène récemment converti. Aujourd’hui, le sanctuaire de Guadalupe (qui commémore cette apparition) est un des plus grands lieux de pèlerinage au monde. 20 millions de pèlerins (dont la moitié le 12 décembre) affluent chaque année pour voir l’image de la vierge, assister à une des messes qui ont lieu en continu et acheter un certificat de pèlerinage. C’est le deuxième lieu le plus visité du catholicisme après la basilique Saint Pierre de Rome. Je suis pourtant allé au Vatican et dans certains lieux de pèlerinages musulmans, mais nulle part ailleurs dans le monde je n’ai senti à ce point la puissance d’une institution religieuse.

Le lieu se veut d’ailleurs capitale catholique du Nouveau Monde, en témoigne les drapeaux de tous les états du continent suspendues dans la nouvelle basilique. Ce bâtiment, immense tente de béton brutaliste, presque soviétique posée au milieu des églises baroques du sanctuaire donne au lieu des airs de science-fiction rétro, à mi-chemin entre Star Wars et Enki Bilal. Les lustres suspendus dans le vide, l’immense orgue moderne et surtout le tapis roulant pour faire défiler les fidèles devant la relique de la vierge viennent compléter cette impression.

On the road again

Après six semaines et quelques jours après avoir emménagé chez notre amie Diana en banlieue, nous saturons. Notre regard sur Mexico change : notre nouveau quartier est assez mal desservi par les transports en commun et nous prenons conscience de l’immensité de la ville et des distances, de l’omniprésence de la voiture… Nous nous sentons à l’étroit dans ce quartier, dans ce petit appartement très confortable mais où nous vivons avec quatre autres personnes. Nous avons fait le tour de ce que nous voulions voir, il est temps de repartir.

Galerie

Pause

Après plusieurs mois sur la route, qui plus est dans un même pays, aussi immense et varié soit-il, il arrive que la lassitude s’installe.

S’il y a un an dans le Nord, les journées n’étaient souvent qu’une succession d’heures monotones à pédaler à travers des paysages souvent peu variés, avoir un objectif nous faisait tenir. Arriver à la prochaine épicerie (dans plusieurs centaines de kilomètres) pour pouvoir se ravitailler, chez notre prochain hôte pour prendre une douche et parler avec un autre humain, et tout simplement avancer vers le sud avant que l’hiver ne nous rattrape. Pas vraiment le temps de se poser trop de questions. Et même si nous nous sommes souvent demandé ce que nous faisions là, au fur et à mesure que nous avancions tout prenait un sens. Les souvenirs que nous gardons du Nord sont ancrés en nous pour toujours et nous n’avons qu’une envie : y retourner un jour, revoir cette faune incroyable, ces arbres géants, ces immensités sauvages abrutissantes d’inhumanité.

Au Mexique tout est différent : les distances sont beaucoup plus courtes, les paysages et climats incroyablement variés (il suffit de monter ou descendre de quelques centaines de mètres pour changer totalement d’écosystème), la culture est ancienne et très riche : partout il y a quelque chose à voir, à goûter, à toucher, à écouter… Et surtout, partout il y a d’autres humains. Si bien qu’après plusieurs mois d’un rythme très décousu, nous avons saturé. Nous nous sommes tellement gavés de ce pays que l’indigestion est arrivée. Plus envie. Plus envie de Mexique, plus envie de vélo, pus envie de rencontres, plus envie d’explorer.

Alors après avoir mûrement réfléchi, nous avons décidé de rentrer. La décision s’est prise naturellement; j’étais cloué au lit après m’être fait piqué par des moustiques et nous avons soupesé les différentes options que nous envisagions : continuer coûte que coûte au mental sans prendre de plaisir et bâcler la partie qui nous intéressait le plus, s’arrêter pour travailler ou faire du volontariat, rentrer. C’est finalement cette dernière option qui s’est imposée, et à peine les billets d’avions réservés nous nous sommes sentis libérés d’un immense poids.

Ce n’est pas un retour définitif, mais une pause. Une pause nécessaire pour souffler, préparer la suite, revoir nos familles et amis, faire quelques ajustements matériels… Nous pensions sincèrement pouvoir traverser le continent américain en une fois, sans prendre d’avions, sur deux à trois ans. Mais une traversée sur deux ans, c’est à la fois trop court pour avoir vraiment le temps de profiter de chaque région qui nous intéresse et trop long pour vivre en nomades sans pauses sédentaires. Alors nous avons préféré décider le faire en étapes pour garder la flamme intacte. Voyager c’est avant tout apprendre sur soi, évoluer et s’adapter. Nous ne savions pas vraiment ce que nous cherchions quand nous sommes partis. Tout comme nous, nos projets et nos envies peuvent mûrir et changer au fil du temps et de l’expérience acquise. Savoir s’écouter, mieux connaître nos envies et nos limites (qui elles aussi évoluent), réajuster nos plans plutôt que foncer tête baissée vers un objectif défini avant le départ, c’est aussi une des leçons que nous avons apprise de cette année et demie sur la route.

Minimalisme

Après un an de voyage loin de l’Europe, je suis arrivé à un point où je n’ai plus besoin de rien. Toutes ces petites choses qui faisaient parti de mon quotidien, que je considérais comme acquises et qui ont disparues brutalement de ma vie après avoir traversé l’Atlantique, toutes ces petites choses m’ont manqué au début. La nourriture en particulier : le bon café, le fromage de qualité, le chocolat, les boulangeries, les bars et restaurants où l’on vient pour passer un bon moment et pas juste pour prendre un americano à emporter dans une tasse jetable… Toutes ces petites choses qui font partie de nos vies d’européens et de français en particulier et ne sont pas accessibles de l’autre côté de l’océan.

Je passais aussi beaucoup de temps à réfléchir à comment améliorer mon équipement vélo, camping et photo. J’avais des tableaux excels comparant le poids, le volume et le prix de composants. Au Mexique, trouver du matériel outdoor est un luxe rare qui se paie très cher. Si Decathlon est bien présent, son catalogue est beaucoup moins étoffé qu’en France, et à des prix premiums. Même chose pour le matériel de vélo : on trouve soit des grandes marques américaines (Scott, Specialized principalement), jusqu’à deux fois plus chères qu’en Europe pour un même modèle, soit des marques bas de gamme voire très bas de gamme, souvent chinoises et inconnues chez nous. La plupart des cyclistes, randonneurs, voyageurs à vélo mexicains et latino-américains que nous avons rencontrés ont du matériel avec lequel nous autres européens et nord-américains n’oseriont pas nous lancer à l’aventure, dans notre course effrénée à la consommation. Nous avons oublié qu’il n’y a pas si longtemps, nos prédécesseurs traversaient les océans sans GPS ni moyens de communication (lire « La Grande Route » de Bernard Moitessier), gravissaient des montagnes avec des pulls en laine et des tentes en coton ciré et pratiquaient le cyclo-muletier avec de lourdes sacoches en cuir. Je ne rejette pas le progrès, je pense juste qu’il faut savoir faire avec ce que l’on a déjà.

Aujourd’hui, après un an loin de chez nous, je me suis complètement détaché de tout ce luxe matériel. Beaucoup de gens nous demandent si la nourriture française ne nous manque pas ou nous recommandent des restaurants internationaux pour changer de la cuisine mexicaine. Non, ça ne me manque pas. Je suis heureux et reconnaissant de pouvoir vivre ce mode de vie simple. Je me satisfait de la cuisine locale, et même de manger des choses parfois très basiques, que j’aurais peut-être regardé de haut avant : une boîte de haricots, une bière insipide mais fraiche quand il fait chaud, des tortillas et du sel, des fruits. Je ne me demande plus de quoi j’ai besoin en plus pour améliorer ma qualité de vie, mais plutôt ce que je pourrais avoir en moins. Je sais apprécier un peu de confort quand il se présente : un bon café, une pâtisserie, dormir dans une chambre… Mais je sais aussi l’apprécier avec détachement : c’était bon, maintenant c’est fini, et tout va bien.

Il est parfois tentant de se charger un peu plus pour emmener un peu de ce confort avec nous. Acheter un paquet de très bon café pour se faire plaisir au bivouac par exemple, étoffer un peu notre matériel de cuisine ou acheter des souvenirs. Et puis finalement, on a fait sans pendant un an, alors pourquoi s’encombrer ? Chaque petit objet non indispensable que l’on transporte alourdit un peu plus le vélo, prends de la place dans les sacoches et restreint notre mobilité. Voyager de façon minimaliste, c’est une forme de sevrage inconscient : guérir de l’addiction à la consommation pour un jour se rendre compte que l’on vit plus libre et heureux. Chaque euro que l’on dépense nous rapproche un peu plus de la fin du voyage et du moment où il faudra à nouveau gagner de l’argent. Alors autant s’en passer, profiter du moment et être reconnaissant pour tout ce que l’on a déjà.

« Travaillerons-nous toujours à nous procurer davantage, et non parfois à nous contenter de moins ?
[…]
Un homme est riche de tout ce dont il peut se passer. »

Henry David Thoreau
Un vieux vélo et c’est parti pour une journée d’exploration !

Michoacán

N’avoir aucune attente à propos d’un endroit est le meilleur moyen de ne pas être déçu, voire d’être agréablement surpris. Nous savions deux choses du Michoacán : c’est le premier producteur mondial d’avocats et une destination hivernale populaire pour les papillons monarques. Nous avons découvert des paysages magnifiques et variés, une culture indigène bien ancrée et très ancienne, une gastronomie riche et subtile et surtout une hospitalité incroyable.

Dark waters

Le plus grand lac du Mexique est tellement pollué qu’il est fortement déconseillé de s’y baigner. Quelques pêcheurs et tout un écosystème naturel continuent pourtant d’essayer de survivre sur ses rives. En une cinquantaine de kilomètres seulement, nous avons traversé à la fois les communautés les plus riches et les plus pauvres que nous ayions vu au Mexique jusqu’ici. Étrange et embarrassant, et pourtant si beau.

À l’ouest du lac, le pueblo magico d’Ajijic est aujourd’hui une véritable colonie de retraités et télétravailleurs gringo. Comme souvent dans ce genre d’endroits, on croise aussi bien des riches cowboys arrogants qui ne parlent pas un mot d’espagnol que des artistes et ex-hippies. Richard et Diana, nos hôtes, font partie de cette deuxième catégorie. Enseignants globe-trotteurs à la retraite, ils ont travaillé dans des écoles américaines aux Etats-Unis, France, Maroc, Bulgarie, Equateur, République Dominicaine, Mexique… Après avoir terminé leurs carrières à Guadalajara, ils profitent d’une retraite de septuagénaires actifs et sportifs. Pour Richard, il n’est pas question de raccrocher le flambeau. Son métier d’enseignant était pour lui un moyen de contribuer à améliorer le monde par l’éducation. À plus de 70 ans, il s’est reconverti en podcasteur/instagrameur. Son objectif : parler des projets qui contribuent à impacter positivement la planète pour inspirer ses auditeurs à trouver des organisations proches de leurs affinités avec lesquelles s’engager (lien en bas de page).

À l’est du lac, la route se transforme en piste et nous traversons des villages enclavés et très pauvres. Dans la rue, de jeunes enfants jettent des cailloux aux chiens qui se battent pendant que des femmes se lavent les cheveux dans des bassines devant leur maison. Les activités économiques semblent être la culture de la chayotte, une plante proche de la pomme de terre, et la pêche.

Purepecha

La ville de Zamora est notre première étape dans l’état de Michoacán. Située dans la plaine à 1500m d’altitude, il y fait chaud. Ici on cultive principalement des baies (framboises et mûres) sous des tunnels en plastique. Nous rencontrons Lili, Nacho et Fernando, groupe de cyclistes qui préparent un voyage en Italie et nous hébergent pour la soirée. Le lendemain matin, ils nous accompagnent en direction de la meseta purepecha. La meseta est un plateau volcanique situé à une altitude moyenne de 2500m où vit la nation Purepecha, descendante du peuple Tarasque, rival des aztèques, qui régnait sur l’ouest de l’altiplano mexicain avant l’arrivée des espagnols.

Santuario de Guadalupe de Zamora

Dans les villages purepecha de la meseta, l’ambiance est irréelle. Il fait froid, l’air est enfumé par les feux des cheminées et cuisinières. Des hauts-parleurs diffusent des voix de femmes qui semblent répéter des mantras incompréhensibles, probablement dans la langue purepecha. C’est dimanche, jour de biture pour les hommes. À Cocucho, le chef du village un brin éméché nous donne de l’eau et nous assure que nous sommes à seulement deux jours de vélo de Mexico (il nous aura fallu un mois pour y arriver, en faisant quelques détours). À Angahuan, un cavalier nous explique qu’ici il n’y a pas grand chose à faire le dimanche, mais qu’il y a beaucoup de fêtes traditionnelles qui sont des occasions de boire des coups, écouter de la musique, danser et bien sûr célébrer les traditions.

Le lundi dans les communautés indigènes au Mexique est le jour des travaux communautaires. Lors de notre passage à Angahuan, les hommes se préparent à aller nettoyer une rivière et les femmes sont chargées de leur apporter à manger. Pendant ce temps, nous allons explorer les ruines de San Juan Parangaricutiro, village détruit par l’éruption du volcan Paricutín et dont seule l’église dépasse encore de la lave. Le Paricutín est un des volcans les plus jeunes du Mexique et même du monde. Le 20 février 1943, après plusieurs jours d’activité sismique, un couple d’agriculteurs a découvert une faille dans son champ de maïs d’où s’échappait de la fumée. Effrayés, ils ont couru au village prévenir les habitants. L’éruption du Paricutín a duré 9 ans, a rasé plusieurs villages et a attiré de nombreux volcanologues pour qui c’était une occasion rare d’assister à la formation d’un volcan. Nous sommes ici à l’ouest de l’axe néovolcanique, plus haute cordillère du Mexique qui s’étend à travers tout le centre du pays. Tous les plus hauts sommets du Mexique (Pico de Orizaba – Citlaltépetl, Popocatépetl, Iztaccihuatl, Nevado de Tolua etc) sont situés le long de cette chaîne de montagnes à la forte activité volcanique et sismique. Du fait de l’altitude élevée, le climat est tempéré et c’est le long de cet axe que la population du pays est la plus dense.

Plus bas dans la vallée, nous redescendons vers Patzcuaro. Cette petite ville au bord de son lac était un important centre religieux pour les Tarasques, qui considéraient le lac comme la porte entre le royaume des vivants et des morts. Après la conquête les espagnols ont implanté ici leur pouvoir religieux et administratif pour contrôler le Michoacán. Aujourd’hui, Patzcuaro est une ville assez touristique, en particulier au moment de la fête des morts où le lac joue un rôle important. Chaque village purepecha est spécialisé dans un artisanat : poterie, lutherie, travail du cuivre, fabrication d’alebrijes et de statuettes de diables… Cet artisanat est ensuite exposé et vendu à Patzcuaro dans différentes boutiques et ateliers. De nombreuses galeries d’arts sont venues se greffer à cette dynamique, faisant de cette ville un lieu culturellement très actif.

La culture Purepecha se ressent aussi beaucoup au marché, où l’on croise de nombreuses femmes en tenue traditionnelle. Quelques jours avant le carnaval, on y trouvait des toritos, statuettes de taureaux qui sont utilisées lors de cette fête dans le cadre d’une danse aux origines incertaines.

Patzcuaro a vraiment été un coup de coeur pour nous. Nous n’y avons passé que 4 jours, mais c’est un de ces endroits où nous aurions pu nous arrêter très longtemps.

Soylent Green

L’état de Michoacán est surtout connu pour être le premier producteur au monde d’avocat. L’essentiel de la production est située autour de la ville d’Uruapan, de l’autre côté de la meseta purepecha. Dans les années 2010, la forte croissance de la demande en avocats a entrainé une ruée vers l’or vert et les cartels ont cherché à s’emparer de cette manne financière. À tel point que la région a connu une véritable guerre de l’avocat. Heureusement pour nous, en tant que touristes nous ne sommes pas vraiment affectés et nous ne ressentons pas vraiment d’insécurité, malgré les articles sur internet qui classent Uruapan comme une des villes les plus dangereuses du monde. Les gens sont plutôt rassurants : contrairement à d’autres endroits, personne au Michoacán ne nous a dit « c’est dangereux ». Par contre, cette folie de l’avocat est réellement un problème pour la région. Si elle contribue effectivement au dynamisme économique, la richesse créée ne profite pas à tout le monde. Elle se fait même au détriment de certaines populations rurales, qui sont forcées à vendre leurs terres ou à payer de lourdes taxes aux cartels. L’impact environnemental non plus n’est pas négligeable : la culture de l’avocat nécessite beaucoup d’eau, et la monoculture n’est jamais bonne pour la biodiversité et la résilience face aux maladies. On y repensera avant d’en mettre dans tous nos plats.

Morelia

La capitale du Michoacán, surnommée la ville rose, est une grande ville universitaire dont le riche patrimoine du centre historique est classé à l’Unesco. L’université de Morelia est d’ailleurs la plus ancienne du continent américain. Nous y rencontrons de nombreuses personnes intéressantes : Manuel, livreur à vélo pour une entreprise d’optiques, qui n’a pas eu la chance de faire des études mais est très éduqué et parle parfaitement plusieurs langues, qu’il pratique en abordant les étrangers (comme nous) dans la rue. Brice, historien français vivant à Morelia depuis des années, expert en médecine traditionnelle. Nos hôtes Alejandro, Ximena et leurs enfants, famille adorable à la fois artistes, sportifs, scientifiques et très altruistes. Beaucoup d’inspiration pour la suite de notre voyage et le futur.

L’effet papillon

Chaque année au mois d’octobre revient le papillon monarque. Cet insecte migrateur passe l’été au Canada et aux États-Unis et l’hiver dans le centre du Mexique, en particulier dans les forêts d’altitude du Michoacán où le climat frais, la floraison et la présence d’eau lui permette de survivre. Son retour coïncidant avec la fête des morts, les peuples préhispaniques pensaient qu’il s’agissait des esprits des défunts et les vénéraient. Aller voir les papillons monarques pour les Mexicains, c’est un peu comme les fleurs de cerisier pour les japonais : un véritable rituel. Pour les préserver, des réserves ont été implantées dans des endroits propices, à proximité de villages de montagnes. L’implication économique de la population locale, qui entretient les sentiers et guide les visiteurs permet à la fois de créer des emplois dans ces zones montagnardes et d’inciter la population à en prendre soin pour garder cette source de revenus. Les villages dépendants des papillons, la coupe illégale d’arbres est réduite et les forêts sont entretenues plutôt que rasées.

Au-delà du lien entre le monde des morts et des vivants, le papillon monarque est aujourd’hui associé à la liberté et aux migrations. De nombreux mexicains et latino-américains tentent chaque jour de passer aux États-Unis, pour fuir des contextes économiques difficiles, la violence de la mafia et des gangs ou des situations politiques complexes. La traversée est particulièrement dangereuse : obstacles naturels (jungle du Darien, désert de Sonora…), coyotes (passeurs) pas toujours fiables, police mexicaine réputée très dure avec les migrants venant du sud, mur le long de la frontière américaine… Sur notre route nous avons rencontrés ou entendu parler de beaucoup de candidats à l’exil mexicains, vénézuéliens, colombiens, cubains et même russes et iraniens. Nous en avons rencontrés presque autant qui, après avoir réussi à passer aux Etats-Unis et travaillé plusieurs années illégalement se sont fait expulsés ou sont rentrés par choix. Pendant que les papillons monarques passent et repassent la frontière librement.

Chroniques d’un voyage annoncé

Après le Michoacán nous descendons de quelques centaines de mètres d’altitude et entrons dans l’état de Mexico par une petite route sinueuse à travers des vallées sèches et érodés, où les fleurs violettes des jacarandas bordant la route contrastent avec le brun des paysages. Il fait chaud… Nous arrivons à Valle de Bravo, petite station balnéaire un peu fresa (BCBG) en bord de lac, spot de parapente réputé à 2h de Mexico, qui évoque un peu une version tropicale des Alpes du Nord. Nous avions prévu d’y passer une journée de repos pour récupérer avant d’attaquer l’ascension du Nevado de Toluca, mais à l’hôtel nous rencontrons Diana, Angélique et Fernando, avec qui nous passons les deux jours suivants à refaire le monde et à répondre aux questions de Fernando sur le voyage à vélo pour son podcast Cronicas de un viaje anunciado (lien en bas de page).

Liens

Cronicas de un viaje anunciado, interview (en espagnol) pour le podcast de Fernando, où nous parlons de voyage à vélo

The green elephant in the room, blog et podcast de Richard proposant des solutions et listant des organisations environnementales à rejoindre ou soutenir

Nevado de Toluca

Du haut de ses 4645m, le Nevado de Toluca, ou Xinantécatl (homme nu) en nahuatl, est le quatrième plus haut sommet du Mexique. À vélo il est possible d’atteindre le cratère à 4200m, au terme d’une longue ascension à travers des paysages ruraux. Le dernier village est à 3500m d’altitude, sur un petit plateau. Des chevaux y tirent des charrues, qui creusent des sillons pour planter choux et pommes de terres. On y trouve des puestos de quesadillas en bord de route et du café qui nous réchauffe, pendant que les écoliers attendent le bus pour rentrer de l’école.

À 3700m, nous commençons à sentir le mal des montagnes : légère nausée et vertiges. Deuxième pause quesadillas et atole (boisson chaude à base de cacao, canne à sucre et maïs), le temps que ça passe. Puis nous repartons et campons un peu plus haut, à 4000m, au milieu des derniers pins et buissons, avec vue sur les lumières de la vallée de Toluca et ses 750 000 habitants.

En terme de paysages, la différence entre un cratère à 4200m au Mexique au mois de mars et une quelconque montagne entre 2000m et 3000m en Europe de l’ouest en été est assez subtile.

C’est au niveau des sensations que l’altitude se fait sentir. Le soleil brûlant qui alterne soudain avec le froid glacial lorsque un nuage passe. L’impression que nos poumons vont exploser au moindre effort un peu trop intense. Le contraste saisissant des jeux d’ombre et de lumière. Le bleu intense du ciel au dessus de la couche blanchâtre des strates les plus basses de l’atmosphère.

Et dire que c’est juste la sortie du dimanche pour les trailers et cyclistes de la capitale de l’état de Mexico, 2000m plus bas, qui n’ont pas besoin du full look Salomon ni de vélos en carbone pour s’envoyer en l’air.

2 petites journées pour grimper les 75km et 3000m de dénivelé depuis Valle de Bravo, et deux petites heures pour redescendre 2000m plus bas de l’autre côté du volcan, dans le Valle de Tenango. Pas besoin d’aller dans les Alpes pour glisser dans la poudreuse. Le versant oriental est tellement desséché et labouré que le moindre coup de vent emporte avec lui des tourbillons de poussière. Et ça souffle aujourd’hui. Nous voilà plongés dans un dust bowl contemporain : le paysage est gris, l’air est gris, nous nous mouchons gris. Dire que les gens qui vivent ici respire cette poussière 6 mois par an…

Puis c’est l’orage. À 2500m d’altitude, la température chute en quelques minutes de 25 à 7 degrés, avec un vent glacial et une pluie ardente qui nous frigorifie. La période de Mars à Mai est sensée être la plus chaude et sèche de l’année. Pourtant la pluie tombe pendant plusieurs heures cet après-midi et les jours suivants. La pluie fait tomber la poussière en suspension dans l’air, le volcan apparait à nouveau et domine le plateau de son imposante masse sombre.

D’île en île de Sinaloa à Nayarit

Une journée particulière

Le 5 janvier à Sinaloa fut une journée particulière. Nous nous réveillons tranquillement. La plage où nous campons, à quelques kilomètres de Mazatlán, est magnifique : derrière nous les cocotiers, devant nous des dauphins en pleine chasse, accompagnés de pélicans surfeurs qui volent en formation, frôlant la crête des vagues. Nous rejoignons la route en traversant un resort. À l’entrée, les deux gardes qui nous ouvrent le portail nous demandent où nous allons. Ils ont l’air un peu inquiets. Ils nous expliquent qu’il y a des malandrinos qui arrêtent les voitures à l’aéroport (sur notre route), et qu’il faut faire très attention. Pas très rassurés, nous continuons notre chemin. Quelques mètres plus tard, un motard s’arrête à notre niveau et nous dit qu’il faut faire demi-tour, rentrer à Mazatlán et se mettre à l’abri. Il nous explique la situation, nous montre un nuage de fumée noir dans le ciel. C’est près de l’aéroport. Ils brûlent des voitures, et quand ils sont énervés comme ça, « ils tuent n’importe qui, peu importe que tu sois mexicain, japonais ou américain. Il y a des enfants de 10 ans qui portent des armes ». Pas hyper rassurés, nous faisons demi-tour. J’envoie un message pour prévenir les groupes WhatsApp de cyclistes locaux. Tout de suite, les référents locaux du Red de Apoyo a los Cicloviajeros (Réseau d’aide aux voyageurs à vélo, RAC) me contactent, pour me demander où nous sommes et nous guider jusqu’à un endroit sûr. Le ferry pour retourner à Mazatlán est fermé, comme tous les transports publics. Toutes les radios sont allumées et diffusent les messages du gouvernement, demandant aux habitants de l’état de Sinaloa de rester chez eux. Nous nous posons à un restaurant à Isla de la piedra, pour faire le point. Nous pensons que la plage où nous avons campé la veille est sûre, probablement plus sûre que la ville : pas d’accès par la route, pas d’habitations, aucune raison que des sicarios énervés viennent ici. Nous soumettons le plan au RAC, qui valide. Dans la soirée, pas hyper rassurés, nous voyons des hélicos de l’armée passer au dessus de nos têtes. Nous apprenons par WhatsApp qu’une brigade de l’armée est tombée dans une embuscade entre Villa Union et Escuinapa, à quelques kilomètres d’ici. Un militaire a été abattu. Nous finissons par nous endormir en serrant un peu les fesses. Bilan officiel de cette journée : 29 morts, des dizaines de blessés, 250 véhicules détruits.

Le lendemain, c’est le jour des rois, la guerre fait rage dans les boulangeries pour obtenir une rosca de reyes, équivalent local de la galette des rois, mais dans la rue tout est calme, revenu à la normal. Elisa se sent mal, nous retournons à Mazatlán. COVID. Nous sommes bloqués à l’hôtel pour une dizaine de jours.

Ya se van

Après quelques jours alités, nous pouvons enfin repartir. À peine sortis de Mazatlán, nous sommes déjà en pleine campagne. Les chemins ruraux sont plein de travailleurs, à pied, à vélo ou à moto, qui nous indiquent la route. Gros changement d’ambiance par rapport à la Baja California. C’est plutôt rassurant d’ailleurs, surtout après les événements de la semaine dernière. Je préfère être ici, entouré de gens bienveillants, que sur une route anonyme à forte circulation. Vendredi, fin d’après midi, c’est l’heure du retour des champs. Il y a une hiérarchie sociale des travailleurs agricoles selon leur moyen de transport. Les plus pauvres, principalement des femmes amérindiennes portant des jupes longues au couleurs très vives qui contrastent avec leurs longs cheveux noirs, sont transportés dans de vieux bus scolaires américains recyclés par les grandes entreprises agricoles. Les moins pauvres, généralement des hommes ou des couples métisses, se déplacent à vélo ou à moto.

La route au début n’est pas très belle, mais intéressante. Nous roulons d’abord le long de la plage sur un chemin de terre. À droite, l’océan sauvage et sa violence magnifique : le bruit puissant du ressac, les pélicans en chasse, les caracaras et urubus noirs qui scrutent l’horizon en attendant que s’échoue une carcasse de poisson, tortue ou dauphin. À gauche, une nature domptée, qui n’a plus rien de naturelle : les élevages de crevettes hors sol succèdent aux plantations de cocotiers et piments. Les cultures sont alignées, irriguées, optimisées.

Culture de piments et cocotiers.

Au village suivant les gens sont dans la rue. C’est samedi midi, ils passent un bon moment et nous saluent d’un air joyeux. « Hi ! » « Good Morning ! ». Nous comprendrons les jours suivant que tout le monde pense que nous sommes américains… Ce qui nous vexe un peu. Un homme à moto nous aborde. Il a travaillé en Californie plusieurs années et est content de nous voir pour pratiquer son anglais. Habituellement notre stratégie est de dire que nous ne parlons que français et espagnol, mais dans ce cas nous faisons une exception.

Nous avons un choix à faire : passer par la plage ou faire un long détour qui nous fera passer par l’autoroute et une grande ville. La plage n’est passable qu’à marée très basse et une fois engagés, il n’y a plus d’échappatoire pendant une vingtaine de kilomètres. Trois fois rien : sur la plage précédente, il nous a fallu un peu plus d’une heure pour couvrir la même distance. Allez, on y va ! Une piste de terre à travers les plantations de manguiers et les marécages nous emmène jusqu’à la côte. Un groupe d’hommes sortent de l’ombre d’un arbre en brandissant leurs machettes à notre passage… Pour nous saluer, rien de plus. La marée commence tout juste à descendre lorsque nous arrivons, nous espérons que dans une heure ou deux, nous pourrons passer. Déjeuner, petite sieste et c’est parti. Malheureusement, ça ne se passe pas tout à fait comme prévu. Un paramètre que nous n’avions pas pris en compte : le coefficient de marée. Nous sommes juste le jour de la nouvelle lune, l’écart entre marée haute et basse est très faible, et la plage est pentue. Très rapidement, nous nous retrouvons à pousser nos vélos. Nous espérons que la situation sera meilleure à marée basse. Mais non… Fatigués, nous arrivons à la tombée de la nuit à une route de terre bien propre, qui nous permettrait de contourner la plage. Malheureusement, cette route est privée et gardée. Impossible de passer. Il faut continuer. Au total, 20km de poussage de vélo dans le sable. La plage est certes déserte et magnifique, mais nous ne profitons pas vraiment. Physiquement, ce n’est pas facile. Moralement c’est très dur : le paysage ne change absolument pas, et nous avançons à 3-4km/h.

Arrivés de l’autre côté à Isla Del Bosque, soudain la plage devient très peuplée. C’est dimanche, les gens pêchent, mangent aux restaurant de plage et s’enfilent des litres et des litres de bière au bord de l’eau. Mais une fois la nuit tombée, le calme revient et nous avons la plage pour nous. Seul un petit chat affamé et pas timide nous tient compagnie, et nous partageons notre plat de riz nature avec lui.

Un copain pas timide et entreprenant.

D’île en île

Le lendemain matin, nous arrivons à Teacapan, où nous trouvons un pêcheur qui accepte de nous faire traverser l’estuaire. De l’autre côté, c’est l’état de Nayarit et l’Isla Del Otro Lado, beaucoup plus sauvage et parait-il infesté de moustiques. La plage est plate et ferme, parfaite pour rouler, et une armada d’oiseau marins nous escorte sur les premières centaines de mètres. Au bout d’une dizaine de kilomètres, les palapas du village de la Puntilla nous invitent à quitter le sable pour découvrir les chemins de terre. Le village semble désert, jusqu’à ce que les hauts-parleurs de la camionnette du boulanger se mettent à chanter. « Panadero se va… » Au Mexique les artisans et vendeurs ambulants annoncent leur passage en diffusant des messages musicaux enregistrés. Tout le monde sort alors acheter ses petits panes dulces. Le village est minuscule, ses habitants charmants. Nous ne sommes qu’à 10km du bourg de Teacapan et pourtant, nous nous sentons au bout du monde. Jusqu’à l’autre bout de l’île nous roulerons sur des petits chemins ombragés, qui se transformeront en route et nous amèneront le soir à Palmar de Cuautla, village de pêcheurs à l’autre extrémité de cette longue bande de terre plate entre marais et océan. Nous sommes habitués aux poules et aux chiens qui courent librement dans les rues mais c’est la première fois que nous voyons des cochons. Notre arrivée sur la Plaza centrale n’est pas vraiment incognito. Un tiers du village assiste à une messe en plein air, un autre tiers à un match de basket et les autres jouent aux cartes en buvant des bières. Un homme nous aborde immédiatement, en anglais. Nous sommes les bienvenus, personne ne nous dérangera ici et si nous avons besoin de quoique ce soit les habitants sont « a sus ordenes » (« à vos ordres », formule de politesse mexicaine).

Nous sommes restés 5 jours dans l’état de Nayarit, et ce genre de situation a été quotidienne. Dans chaque petit village, au moins une personne est partie travailler aux USA dans la cueillette de fruits, et est revenu après plusieurs années. Cueillir des fruits aux Etats Unis rapporte plus (18$/h) que n’importe quel travail ici. Mais ici, il y a les amis, la famille, la vie est meilleure, on se sent chez soi tout simplement. Partout donc, des gens parlant bien anglais nous abordent et nous demandent d’où nous venons aux USA, avant de nous raconter tous les endroits qu’ils ont visité là-bas, Las Vegas en tête. Qu’ils parlent anglais ou pas, les habitants de la région sont d’une générosité incroyable. Chaque jour on nous invite, on nous offre des cadeaux…

Nous passons cette nuit au restaurant de plage du village, où une tablée de poivrots aux yeux rouges vident des caisses entières de bières en marmonnant, sous le regard sévères des patronnes qui continuent pourtant à les servir. Comme par magie, notre table se couvre de ceviche, tostadas, salsa et crevettes. Nos bouteilles à peine vidées sont remplacées par des pleines. Et quand la nuit tombe vers 18h, les poivrots enfourchent leur chevaux, qui connaissent probablement la route pour rentrer chez eux. Un espace sous la palapa est balayé, des chaises et une lampe sont amenées, on nous donne la clé des toilettes et on nous laisse seuls pour la nuit avec le bruit des vagues.

Mexcaltitán

La prochaine traversée nous permet d’accéder au minuscule village-île de Mezcaltitán. Selon certains historiens, ce village serait la mythique Aztlan, d’où sont originaires les Aztèques. Une prophétie leur aurait demander de partir fonder une nouvelle ville « là où un aigle posé sur un cactus dévore un serpent », le même aigle que celui représenté aujourd’hui sur le drapeau mexicain. Une des particularités de Mezcaltitán, c’est qu’on n’y accède qu’en bateau et que ses rues se transforment en canaux pendant la saison des pluies. Un peu comme une version miniature de Tenochtitlan, l’ancienne capitale aztèque aujourd’hui devenue Mexico.

Culturellement, ce village est très important pour les mexicains. Encore une fois, à peine arrivés sur la plaza, les habitants nous abordent. Non, nous ne sommes pas américains mais français. « Désolé pour la coupe du monde, on était pour vous ». Très vite, le sujet de la politique est abordé. La plaza où nous sommes porte une plaque en hommage à l’actuel président mexicain, Angel Manuel Lopez Obrador. Dire qu’il est populaire ici est un euphémisme. Un homme nous avoue qu’il se sent très chanceux d’être né dans un pays avec une culture aussi riche que le Mexique, mais que jusqu’à présent tous les politiciens sans exception étaient des « voleurs corrompus ». « Merci à Dieu et au peuple de nous avoir donné Angel Manuel Lopez Obrador comme président. Jamais je n’aurais imaginé connaître dans ma vie un président aussi bon» nous dit-il. En résumé, si AMLO (son diminutif) bénéficie d’une telle opinion positive dans le pays, c’est parce qu’il mène une politique anti-corruption, démocratique (diminution des salaires des élus, mise en place d’un référendum de mi-mandat permettant au peuple de destituer le gouvernement), redistributive (création d’aides sociales pour les plus pauvres, les étudiants et les retraités, augmentation du salaire minimal) etc. C’est également un excellent communiquant, qui se présente tous les matins en conférence de presse pour faire face aux médias d’opposition.

Nous passons le reste de l’après midi à manger des empanadas de crevettes et du ceviche en observant les corneilles de Sinaloa se disputer des queues de poissons, bercés par le rythme lent des cumbias mexicaines, avant d’embarquer sur la dernière panga collective qui nous ramène sur la terre ferme. La lumière est rasante et de ce côté du marais, tout est cultivé. Un peu avant le coucher du soleil, nous nous présentons sur la plaza du dernier village pour demander un endroit où camper. Les gens discutent entre eux, et nous finissons chez Chely, qui a une chambre de libre dans sa maison. Comme ce n’est pas tous les jours qu’elle a des invités français, en plus de nous offrir un lit et une douche, Chely nous invite à partager le repas avec sa famille. Nous n’en demandions pas tant !

En el muelle de San Blas

Le lendemain, après quelques kilomètres à travers des champs qui laissent la place à la mangrove, nous arrivons à San Blas, port ancien d’où partaient les premiers colons de la Basse-Californie puis les bagnards des îles Tres Marias, le Cayenne mexicain. San Blas est réputé pour ses moustiques et ses crocodiles et on nous a déconseillé d’y camper. Nous nous installons donc à la Casa Del Pelicano, maison au patio verdoyant décorée sur le thème des oiseaux de la région. Les viejitos qui gèrent l’hôtel nous prennent sous leur aile. Le patron porte casquette et blouse de marin et du haut de ses 87 ans, il continue à aller au marché à vélo tous les matins pour acheter le poisson et les légumes qu’ils préparent ensuite en famille. Nous nous régalons des tacos de coryphène à la salsa verde maison!

Une des institutions de San Blas, c’est Juan Banana, petit café – épicerie fine réputée pour ses banana breads. Nous y rencontrons Juan, le patron, qui a fondé la maison il y a 50 ans. D’après nos calculs, Juan doit avoir entre 65 ans et 70 ans, mais il en paraît à peine 60. Ex-surfeur professionnel, il a fait des compétitions en France, voyagé partout en stop et est investi localement dans la protection de l’environnement. En sortant du café, nous sommes rattrapés par Skye, américain-mexicain et pur produit californien. Skye a beaucoup voyagé, il a passé quelques mois en France et notamment à Rennes. Il adore la Bretagne, où il a surfé, et veut pratiquer son français. Il nous invite chez lui, et nous passons le reste de l’après-midi à l’écouter parler smoothies, detox et yoga en partageant un peu d’herbe locale. Sa coloc massothérapeute rentre et nous avons tous droit à des massages gratuits. Puis arrive un autre ami surfeur, qui nous fait lui aussi l’éloge d’AMLO. Le soleil descend, c’est l’heure de rentrer.

Jungle Jack

En quittant San Blas, nous rencontrons enfin des crocodiles sauvages. Ces animaux potentiellement dangereux pour l’homme doivent être traités avec respect et distance, un peu comme les ours en Amérique du Nord. Nageant lentement dans l’eau boueuse de la lagune, entourés d’aigrettes blanches, disparaissant entièrement sous l’eau et réapparaissant un peu plus loin, ils sont effectivement assez inquiétants. Un tout petit s’aventure un peu trop près de la route. Il est tellement petit que je ne le remarque qu’au dernier moment, quand il s’enfuit à toute jambe pour éviter que je ne lui roule dessus… Frisson partagé !

La route quitte le marais et ondule à travers la jungle. Après environ 400km entièrement plats, nous apprécions de retrouver un peu de relief. Partout au bord de la route, des stands vendent des fruits aux formes inconnues déclinés sous toutes les formes : frais, séchés, confits, préparés de mille façons. Jaquier, caramboles et les plus classiques noix de coco, bananes et papayes nous régalent. Alors que nous nous apprêtons à camper au bord d’une rivière, l’agriculteur qui exploite la parcelle de l’autre côté vient à notre rencontre. Dans un anglais parfait, il nous propose de venir camper sur son terrain. Alors que nous installons la tente, il nous apporte du bois pour faire un feu, et nous offre des noix de coco et du jaquier, fruit à la texture rappelant la viande et au gout proche de la banane et de la mangue. L’endroit est paradisiaque. Viva Nayarit !

Cabalgata en Baja

Robinsonade

À Tijuana, Edgar nous avait prévenu : le désert est une expérience intérieure, presque spirituelle. Dans Robinson et les limbes du Pacifique, le personnage principal seul sur une île désapprend petit à petit les codes de la société pour atteindre un état d’éveil et de contemplation en parfaite harmonie avec son environnement. Cette traversée de la Basse-Californie nous a fait entrapercevoir toute la puissance mystique du désert : comme le Robinson Crusoé de Fournier, nous avons dans un premier temps souffert de la monotonie et tenté de nous raccrocher à notre civilisation. Pour nous cela passe par les arrêts wifi dans les restaurants routiers, qui nous permettent de communiquer avec nos lointains proches.

Les horaires et calendriers ne sont que des conventions sociales, qui n’ont plus de sens lorsque l’on est seul. Petit à petit nous avons commencé à perdre le compte des jours et des heures et à vivre uniquement au rythme du soleil. À tel point que nous nous sommes rendus compte seulement plusieurs jours après avoir changé d’Etat que nous avions également changé de fuseau horaire.

Lorsque nous traversons le bassin de Vizcaino, la route devient désespérément rectiligne et plate, à travers une végétation monotone. Quand le regard n’est plus stimulé, il se tourne vers l’intérieur. Dans ce genre de situation je m’enferme dans une sorte de bulle de méditation. Je ne pense à rien d’autre qu’à avancer à un rythme plutôt soutenu, qui me permet de me maintenir dans cet état. Chaque stimulation qui m’oblige à changer mon rythme ou à porter mon attention sur l’extérieur me fait sortir de ma bulle et me fatigue nerveusement. Une voiture qui passe un peu trop près, le vent de face qui ne me permet pas d’atteindre ma « vitesse de méditation » ou Elisa, beaucoup moins rapide que moi mais que je ne veux pas perdre de vue, ce qui m’oblige à m’arrêter trop souvent. À la longue je finis par exploser et je deviens insupportable. 40 jours dans le désert, quand on n’est pas Jésus, Mohammed, ou Bouddha, c’est long ! Nous avions déjà vécu cette situation dans le nord du Canada. J’aimerais aller au bout de cette expérience un jour, mais je crois que cela ne peut se faire que seul.

Heureusement, lorsque nous sortons des routes, notre attention est entièrement absorbée par notre environnement. La beauté des paysages, la faune et la flore qui nous entourent nous remplissent de joie. Si le bitume matérialise une barrière entre nous et la nature, ce n’est plus le cas sur une étroite piste de terre sans aucun traffic, où nous zigzaguons à travers les plantes. Les animaux, ne risquant pas de se faire tuer par une voiture lancée plein pot dans un bruit effrayant sont beaucoup moins craintifs, plus nombreux et nous laissent les admirer plus facilement. La difficulté de la progression nous oblige également à ralentir, à faire plus de pauses et nous vide complètement physiquement. La Baja Divide est une route particulièrement belle qui se mérite. Sur cet itinéraire, la magie du désert opère puissance mille. La beauté grandiose des journées solitaires laisse la place aux soirées et aux nuits époustouflantes. L’absence de Lune lors de notre traversée nous offre des ciels noirs remplis d’étoiles, qui succèdent à des couchers de soleil à tomber par terre. Si visuellement c’est une claque, les sensations sonores sont encore plus fortes. Quoi de plus intense que de dormir dans le silence total du désert ou bercé par le ronronnement du ressac du Pacifique, et d’être réveillé au petit matin par le bourdonnement des colibris plutôt que par le rugissement des camions ?

À Ciudad Constitucion, nous retrouvons Oscar, que nous avions croisé plusieurs mois plus tôt au Yukon. Avec son crâne entièrement rasé, son calme imperturbable et le bouquin de Matthieu Ricard sur la méditation qu’il nous offre, on croirait presque un moine bouddhiste en mission. Nous décidons de terminer la route ensemble jusqu’à La Paz, où nous prendrons le ferry pour le continent. Oscar, finisher d’Ironman, est beaucoup plus rapide que nous et fait de plus longues journées. Pour nous c’est un challenge d’essayer de le suivre. Dès le deuxième jour, nous sommes épuisés. Mais nous découvrons que dans la fatigue, nos corps s’habituent et trouvent leur rythme. Si nous ne sommes plus en mesure de passer une bosse en force, nous pouvons continuer à rouler à un rythme plus tranquille sans difficulté. Chaque soir, nous sommes épuisés et nous nous endormons profondément. Chaque matin et après chaque pause, nous sentons que nos corps commencent à récupérer. Expérience intéressante et complémentaire de celle de la solitude du désert, qui éveille mon intérêt pour un bikepacking plus sportif que je ne pensais pas fait pour moi.

Un peu d’histoire

La colonisation de la péninsule est récente. Les premiers colons espagnoles furent des missionnaires catholiques, arrivés à partir du 18e siècle, suivis par des éleveurs puis des investisseurs étrangers intéressés par les ressources naturelles : métaux et poisson notamment. Aujourd’hui, le pillage de la nature est toujours le moteur de l’économie locale. Mines, exportation de homards et poissons vers la Chine, tours en véhicules tout terrain dans des environnements fragiles, harcèlement des baleines qui viennent se reproduire en mer de Cortez pour des touristes qui veulent s’approcher suffisamment près pour les toucher…

Cette colonisation a commencé par le sud, puis s’est étendue petit à petit vers le nord. Si bien que plus nous avançons et plus l’architecture est ancienne et les villages et ranchs nombreux. Santa Rosalía, ville minière fondée par l’entreprise française du Boléo, se distingue par son architecture qui évoque la Louisiane ou les DOM-TOM et son église conçue par Eiffel. Les oasis de Mulegé et San Ignacio par leurs rues tortueuses et leur architecture baroque typiquement espagnole. Et les villes agricoles poussées comme des champignons lors des 50 dernières années déploient leurs larges rues quadrillées adaptées à la voiture de part et d’autre de la Ruta 1.

Cowboys

Sur les highways, les cowboys sont ces touristes au volant de leurs énormes camping-cars qui conduisent leur véhicule comme si c’était une arme. Lancés pleine balle, ils roulent comme s’ils étaient seuls sur la route et reprochent aux cyclistes de les mettre en danger. Ces fous sont terrifiés à l’idée de se faire braquer et exhibent tous leurs jouets à plusieurs centaines de milliers de dollars : énorme 4×4 tractant un encore plus gros camping car, auquel sont parfois attachés un bateau et un véhicule tout terrain. Comme leurs ancêtres à la conquête de l’ouest, ils se regroupent en caravane et envahissent les endroits qui leur plaisent, sans considération pour la nature des lieux. Après tout ils apportent de l’argent, alors ils peuvent bien se permettre de garer leurs énormes maisons de plastique et d’aluminium sur les plus belles plages, au ras des flots. N’avoir que trois pas à faire entre le frigo et les pieds dans l’eau, une certaine idée de la liberté. Heureusement certains relèvent le niveau, nous dépassent très respectueusement en nous faisant de grands signes amicaux, nous offrent de l’eau et même des bières. Nous avons même croisé des américains en Prius avec une tente… Espèce très rare à protéger !

Sur les pistes de terre et de sable, les cowboys sont d’authentique vaqueros, portant moustache, santiags et stetson. Perchés sur leurs chevaux, lasso à la main, ils parcourent l’immense territoire de leur ranch pour surveiller le bétail et protéger chèvres et vaches des coyotes. Si le vieux pickup Ford rouillé et grinçant a remplacé la charrette, leur uniforme comme leur métier ont très peu changé depuis que leurs ancêtres sont arrivés dans ce désert. Lors des grandes occasions, ils se réunissent pour une cabalgata, une chevauchée. Fiers et amicaux, ils s’arrêtent toujours pour discuter et nous inviter à camper sur leurs terres. Muy feo répondent-ils quand nous leur demandons comment est la route plus loin. Ils savent de quoi ils parlent : vissés à leur destrier, ils vivent au même rythme lent que nous sur nos vélos et font face aux mêmes obstacles, bien que leurs montures soient plus adaptées à cet environnement que les nôtres. Ces cowboys ci ont tout mon respect. Ils vivent une vie rude et austère mais leur bienveillance est infinie comme le désert.

Frontière

Après 2 semaines d’acclimatation dans l’état de Jalisco (bien nécessaires pour s’adapter aux conditions météo et surtout culturelles très différentes du Canada), nous démarrons véritablement notre traversée du Mexique à Tijuana, ville-frontière entre les USA et le Mexique où les cultures latines et nord-américaines s’entremêlent de part et d’autre du mur.

Si aujourd’hui la frontière passe entre Tijuana et San Diego, il n’en a pas toujours été ainsi. Les toponymes à consonance hispanique (San Diego, Los Angeles, San Francisco, Colorado… pour ne citer que les plus connus) côté américain ne trompent pas : jusqu’en 1848, le Mexique englobait une grande partie de l’ouest actuel des Etats-Unis, de la Californie au Texas et jusqu’au Wyoming au nord. Si ces états ont conservé une population et une culture d’origine hispanique depuis le milieu du 19e siècle, l’influence anglo-saxonne est bien présente également côté Mexicain. On la retrouve dans la façon de s’habiller (casquettes, vêtements amples, tatouages), de parler (le spanglish, mélange d’anglais et d’espagnol), de consommer (énormes pickup, tacos king size, bières light…). La proximité des USA se ressent partout, et marque la vie de toutes les personnes que nous avons rencontrées.

Make America Mexico again !

Le mur

Le monument le plus célèbre de Tijuana, c’est certainement le mur qui impose brutalement dans le paysage la frontière avec les Etats-Unis. Le mur s’arrête à la plage de Tijuana, où il plonge dans la mer. Cet endroit a une atmosphère presque magique. Le mur n’est pas continu : des vides y sont laissés, suffisamment étroits pour qu’un humain ne puissent passer, mais suffisamment grands pour de petits animaux. De l’autre côté du mur, c’est une zone naturelle préservée, une grande plage déserte seulement peuplée d’oiseaux. Pratique pour repérer les humains qui tenteraient de passer. Je regarde à travers le mur et la sensation est incroyable : voir cet endroit naturel et idyllique de l’autre, côté, à quelques mètres. Cette grande plage, le grondement des vagues et les pélicans qui surfent sur les rouleaux. Le soleil qui commence à descendre au dessus du Pacifique, la lumière parfaite d’une fin d’après-midi d’hiver. Et moi derrière ce mur, au milieu d’une foule de gens qui comme moi regardent de l’autre côté, et qui comme moi n’ont qu’une envie : passer de l’autre côté et être sur cette plage déserte, qui nous attire de façon presque magnétique.

Soudain, quelque chose entre dans mon champ de vision. Il y a un type qui court sur cette plage ! Il court vers San Diego, qu’on aperçoit au loin. Il court sans s’arrêter. Il enlève sa veste, son t-shirt sans s’arrêter de courir. À côté de moi se tient un homme en béquilles avec un ballon au pied, footballeur unijambiste. Il se tourne vers moi, le visage rayonnant comme si son équipe venait de gagner la coupe du monde.

« Il est passé ! Il est passé ! »

Un autre bonhomme arrive, un grand maigre à casquette de rappeur, t-shirt flottant et petite moustache de chicano. Le style typique de la région.

« Hey ! Hey ! Arrêtez de regarder de l’autre côté, vous allez attirer l’attention. Hey ! Laissez le vivre son destin ! »

« Tu dis n’importe quoi, il y a toujours des gens qui regardent de l’autre côté ! »

« Il est passé ! Il est passé !  Vous le voyez encore ? Il est loin ! C’est une patrouille qui arrive là-bas ? Vous croyez qu’il y va y arriver ? »

Le coureur n’est plus qu’un petit point à l’horizon, puis disparaît. Le footballeur unijambiste rejoint ses équipiers en courant sur ses béquilles. Les puestos continuent de servir des clamatos, des tejuinos et du maïs grillé, et les bandas jouent « la boda del Huitlacoche », le tube norteño du moment. Tout est en ordre : une journée comme une autre au pied du mur.

Checkpoints

Le premier soir, nous avons campé à environ 35km de Tijuana et environ autant de la frontière, au bord d’un lac. L’endroit était une sorte de parc au bord de l’eau, avec des barbecues et un bar à Clamatos, boisson très populaire dans le coin à base (entre autres) de jus de tomate, de bière et de bouillon de palourdes. Le gardien du parc nous dit qu’il fermera le portail à 20h et le rouvrira à 6h, mais qu’il n’y a pas de problème pour qu’on campe ici. Le coin est un des plus calmes où l’on ai campé depuis un moment. Beaucoup d’oiseaux, d’étoiles et un lever de soleil magnifique sur les collines couvertes de blocs de granit rond.

à première vue, un endroit idyllique pour camper…

Le matin, nous retournons au village faire quelques courses et petit déjeuner. Nous nous installons au soleil sur la place du village. Soudain, deux militaires en tenue de combat sortis de nulle part, le visage cagoulé, nous abordent. Ils nous posent les questions classiques : d’où on vient, où on va, « vous voyagez à vélos ?! », vérification des passeports, où on a dormi et où on pense dormir ce soir. Plutôt sympas, ils sont plus protecteurs que méfiants. Et puis soudain l’un d’eux nous dit :
« Vous feriez mieux de ne pas trop traîner ici, ce village peut être dangereux. Pour aller à Ensenada, traversez le terrain de foot, tournez à gauche et suivez la route de terre. Vous allez arriver à la route numéro 3. C’est tranquille jusqu’à Ensenada. Faites quand même attention aux camions. »

Sur ces mots, ils nous rendent nos passeports et s’éloignent. En les regardant partir, on se rend compte que toute une escouade de soldats et de policiers en armes ont débarqué sur le parking derrière nous et discutent au milieu de leurs voitures blindées. Ça ne nous donne pas envie de trainer. On range nos affaires, on suit le chemin qu’ils nous indiquent de loin en faisant de grands signes et on trace sans demander notre reste. La route de terre et de sable qui mène à Ensenada est fréquentée par de nombreux poids lourds. À chacun de leurs passages nous nous retrouvons dans un nuage jaunâtre avec une visibilité de quelques mètres, couverts d’une couche de poussière de plus en plus épaisse. Plus loin sur la route, nous croisons plusieurs patrouilles de soldats armés jusqu’aux dents dans des camions blindés. Encore plus loin, un checkpoint où des soldats nous saluent, barricadés derrière des sacs de sable au bord de la route, devant un mur peint en honneur aux « Heroes Del desierto ». Gros changement d’ambiance après Jalisco, où nous nous sentions presque comme revenus en Europe.

Vignoble

Le lendemain, nous sommes dans la vallée de Guadalupe entre Tijuana et Ensenada, en plein coeur du vignoble mexicain. Je savais pour le tequila, le pulque et le mezcal mais je n’avais jamais entendu parlé du vin mexicain ! Il faut dire que malgré sa qualité (paraît-il, on ne l’a pas goûté…), ses trop petits volumes de production ne lui permettent pas de s’exporter. Pour les riches gringos qui passent la frontière pour passer l’hiver au soleil, c’est un arrêt obligatoire. La région est donc riche, sûre et plutôt chère : minimum 50$ la nuit pour se loger. Pas de camping, et il est trop tard pour chercher un endroit où bivouaquer, d’autant plus que notre aventure de la veille nous a un peu refroidi. Alors en parlant aux gens, nous finissons par rencontrer une famille qui nous propose de monter notre tente dans leur cour.

Des paysages bucoliques de vignes et d’oliviers qui ont un prix.

La nuit tombée, alors que nous étions devant la maison à discuter avec nos hôtes, je remarque à voix haute que le patelin est vraiment calme. Sur ces mots, les langues se délient.

« Maintenant c’est calme, mais ça n’a pas toujours été le cas. Beaucoup de gens viennent de tout le Mexique pour travailler ici, dans l’agriculture. Beaucoup de gens de toute l’Amérique centrale aussi, qui veulent tenter leur chance aux US. La frontière n’est pas loin. Beaucoup de gens pauvres donc, dont certains de passage et vulnérables. On essaie de les aider comme on peut… Mais comment souvent dans ces situations, une petite criminalité s’installe et s’organise plus ou moins en petits gangs. Avant il ne fallait pas sortir la nuit, trop dangereux. Tu vois le coin d’ombre là-bas au bout de la rue ? Tu pouvais avoir quelqu’un caché là, prêt à t’attaquer si tu passais trop près. »

Vous vous souvenez peut-être qu’il y a quelques années, on entendait beaucoup parler d’assassinats dans le nord du Mexique. Je me souviens d’un article dans un magazine qui s’interrogeait sur la culture narco dans le pays. Le journaliste se demandait pourquoi les narcos étaient aussi populaires auprès de certains mexicains. Il y avait des chansons à leur gloire, certaines personnes se faisaient tatouer leurs visages…

Notre hôte reprend, parlant vite et d’une voix basse.

« Les contras sont venus et ils les ont tous massacrés. Ils ont tué 200 personnes !»

« Les contras ? C’est qui, l’armée ? La police ? »

« Non, les contras c’est la mafia. Ils ont tué deux cent personnes ! Maintenant les gens se tiennent à carreau ! »

J’avoue, j’ai pris une claque. La Baja California est réputée une des régions les plus sûres du Mexique. Les touristes affluent pour goûter le vin local et passer l’hiver au soleil. Tijuana est la capitale mexicaine de la bière artisanale et une banlieue en cours de gentrification de San Diego, où s’installent de plus en plus d’américains. Et en coulisses, bien à l’abri de la vue des gringos, 200 personnes ont été massacrées.

Justina

Justina, qui nous héberge chez elle dans un village près de la frontière, nous raconte qu’elle est passée de l’autre côté. Seule. Le risque de se faire repérer est proportionnel au nombre de personnes. Si une patrouille tombe sur un groupe, tout le monde part dans une direction différente et peut-être, s’ils sont chanceux, certains pourront passer. Justina raconte que la veille de son passage, une patrouille mexicaine l’a trouvée alors qu’elle campait seule dans le désert, dans la Sierra, sans tente et avec pour seuls bagages son petit sac à dos avec sa trousse de toilette, une vieille couverture et quelques vêtements de rechange. « Si vous ne me voyez pas demain matin, c’est que je suis passée de l’autre côté », leur a-t-elle lancé, fière et un peu arrogante. Le lendemain, Justina n’était plus là.

Elle est passé à San Diego et y a trouvé du travail. Elle qui ne parle pas anglais, elle est devenue caissière dans un supermarché. Et puis finalement, après quelques années, elle a repassé la frontière dans l’autre sens et est revenue s’installer en Basse-Californie, à quelques dizaines de kilomètres du mur. Aux Etats-Unis elle gagnait plus, c’est vrai. Mais elle n’était pas heureuse, elle n’était pas chez elle. Au village elle s’est mariée avec Pepe. Ils se sont mariés à cheval, en tenue de vaqueros. Pepe portait une chemise rouge, un gilet noir, son chapeau et ses santiags bien cirées. Sans oublier sa moustache et son foulard. Justina et Pepe ont fait la tournée des ranchs pour réunir suffisamment de chevaux. Leur mariage a duré deux jours entiers, tout le samedi et le dimanche, en plein air, et tous ceux qui passaient par là étaient les bienvenus. Ils ont tué un cochon grand comme la moitié de leur cuisine et ont pu nourrir tout le monde pendant ces deux jours de fête.

Aujourd’hui, Justina et Pepe ont une tienda au village. Ils se lèvent tous les jours de toutes les semaines, toute l’année, à 5h du matin et se couchent à 22h, après avoir nourri leurs locataires avant que ceux-ci ne partent travailler dans les vignes, puis à leur retour des champs. Entre temps ils ont géré la boutique, nourri les poules, les chiens et les chats. Et à l’occasion, les voyageurs de passage.

Carlos

Carlos nous aborde sur le parking d’un supermarché à Vicente Guerrero. Casquette, fine moustache, et vêtements larges : l’uniforme du chicano (américain d’origine mexicaine). Carlos est né au Mexique, mais a grandi dans le centre-ville de Los Angeles. Sa fille vit toujours là-bas mais lui a été renvoyé au Mexique où il n’a jamais vécu, pour avoir été un peu trop proche de certains gangs. Tout ce qu’il veut, c’est réunir assez d’argent pour retourner à Tijuana et rejoindre sa famille. Carlos parle parfaitement anglais. À cause de notre accent, il nous croit canadien. Non, on est français. Tout ce qu’il sait de la France, c’est que c’est loin et que notre équipe de foot est plutôt balèze : la coupe du monde vient de commencer et les Bleus ont remporté haut la main leur première victoire dans le tournoi la veille.

« Vous êtes venus de France en vélo ? »

On lui explique que non, on ne peut pas venir de France en vélo parce que c’est de l’autre côté de l’océan Atlantique. Il ne comprends pas.

« La France c’est de quel côté de la frontière ? »

On essaie de lui expliquer que nous ne sommes ni américains, ni mexicains et que notre pays n’est pas d’un côté ou de l’autre de la frontière, mais de l’autre côté de l’Atlantique, en Europe, un autre continent. Il a l’air encore plus perdu…

« Je comprends pas, vous êtes blancs mais vous n’êtes pas américains ? »

L’Europe lui évoque une autre frontière. Il nous demande si on habite près de l’Ukraine et de la Russie. Il ne sait pas vraiment où c’est, mais il en a entendu parler.

« Et entre la France et le Mexique, c’est comme entre l’Ukraine et la Russie ou on est amis ? ».
On est amis. Soudain tout s’éclaircit pour Carlos. Lui qui l’instant d’avant était dans la confusion la plus totale, nous racontait vouloir retourner aux Etats-Unis, son vrai pays, se fend d’un grand sourire et s’écrie :

« Super, alors bienvenus au Mexique et merci de visiter notre pays !»

Beautiful British Columbia

Wild Wild North

Quitter un village dans le nord de la Colombie Britannique, c’est un peu comme partir d’un port à la voile pour une traversée de plusieurs jours loin des côtes, dans un pays inconnu. Pas de possibilité de se réapprovisionner, pas d’abris, pas de réseau, aucune certitude concernant ce que l’on trouvera à la prochaine escale. Juste une idée plus ou moins précise du temps nécessaire pour atteindre le prochain objectif et de la quantité de nourriture pour y arriver. Une route, la Cassiar Highway, traverse du nord au sud cet immense territoire presque désert. Comme pratiquement toutes les routes que nous avons emprunté, elle a été initialement conçue pour l’exploration minière et les villages qui la ponctuent sont essentiellement des villes-champignons qui naissent et disparaissent au gré des filons. Jade City, minuscule hameau-entreprise de 25 habitants a d’ailleurs fait l’objet d’une série en 7 saisons sur Discovery Channel Canada.

Tout comme la Dempster Highway, la Cassiar est orienté nord-sud. De plus, elle commence dans l’intérieur, avec un climat très continental, traverse la cordillère cotière et se termine dans la vallée de la Skeena, à moins de 200km du Pacifique, où le climat est un peu plus tempéré et beaucoup plus humide. Tout au long des 720km de cette traversée, on observe donc le paysage évoluer progressivement, la végétation devenant de plus en plus haute et dense. Sur les derniers kilomètres, les premiers cèdres rouges, majestueux arbres emblématiques de la côte nord ouest de l’Amérique font leur apparition, accompagnés de fougères, mousses et lichens. Les bords de route sont riches en salmonberries, fruits très similaires aux framboises. Il est donc fréquent de voir des ours s’en mettre plein la panse à quelques mètres de la route. S’ils étaient plutôt peureux dans le Yukon, ici ils sont totalement absorbés par leur festin et n’ont aucune envie d’abandonner leur repas pour laisser passer deux cyclistes. Nous avons eu quelques montées d’adrénaline… Heureusement, en plein mois d’août, cette route est très empruntée et il n’y a jamais besoin d’attendre longtemps pour qu’une voiture passe et nous aide à passer en sécurité.

La Cassiar Highway se termine à Kitwanga, dans la vallée de la Skeena. L’ambiance change du tout au tout : cette fertile vallée au climat doux est l’endroit le plus au nord du Canada où poussent des arbres fruitiers. Après les étendues sauvages du nord pendant plusieurs semaines, il est étrange de voir des fermes, du bétail et des terres cultivées… Une route, la Yellowhead highway, connecte les nombreuses communautés de la vallée. La population est dense, la circulation également. D’autres détails attirent notre attention : de nombreux panneaux rappellent qu’il est interdit de faire du stop et de camper, les aires de repos sont sous vidéosurveillance et de nombreux avis de disparition collés un peu partout, principalement pour de jeunes femmes amérindiennes, créent une ambiance franchement glauque. Alors c’est ça la civilisation ? On n’était pas si mal dans le bush… Nous apprendrons plus tard que cette Yellowhead highway est surnommée « highway of tears » (route des larmes), et que Prince Georges, la grosse ville du coin, est considérée comme une des villes les plus dangereuses du Canada. La suppression des transports en commun a poussé de nombreux jeunes peu argentés et sans voitures à se déplacer en stop, et beaucoup ne sont jamais revenus. Les rumeurs parlent d’un marginal un peu bushed qui serait à l’origine de ces disparitions. Cette atmosphère nous motive à parcourir en une seule fois les 130km jusqu’à Terrace, malgré un fort vent de face. Nous y rencontrons Cheryl. C’est le début de la saison du saumon et la pêche bat son plein. Nous restons quelques jours chez elle, l’aidant à faire des conserves de poisson et du saumon fumé, avant de reprendre la route pour Prince Rupert et le ferry qui nous emmènera jusqu’à l’île de Vancouver. Les paysagers côtiers sont à couper le souffle. La végétation est magnifique, l’estuaire de la Skeena regorge de vie, les montagnes sont couvertes de glaciers qui tombent dans la mer… Prince Rupert est un port de pêche et de commerce actif au milieu de ce qui est surnommé la « côte sauvage ». Nous tombons immédiatement sous le charme et ne nous éloignerons plus du Pacifique jusque’à notre départ du Canada, 2 mois plus tard.

Dans mon île

Pete, cycliste canadien rencontré à Terrace, nous avait prévenu : « à Vancouver Island, les gens sont sur l’island time  (« heure de l’île » : expression signifiant que le temps s’écoule plus lentement sur les îles que sur le continent et que les notions de stress et de ponctualité y sont différentes). Nous pensions passer environ 3 semaines sur l’île, nous y sommes restés presque 2 mois. À croire que le temps s’y écoule réellement différemment. Il semblerait que plus l’île est petite et plus cet effet soit marqué : depuis Vancouver Island, nous sommes partis à la voile avec Alex pour Cortes Island, où nos journées commençaient vraiment vers 15h.

Dans l’imaginaire canadien, Vancouver Island et les très nombreuses petites îles qui l’entourent sont peuplées de hippies et d’écolos. C’était probablement vrai il y a encore 30 ou 40, et si une certaine atmosphère y persiste, le sud de l’île est de plus en plus densément peuplée et touristique. Beaucoup d’anciennes cabanes ont été transformées en véritables villas où les riches habitants de Vancouver ou Victoria viennent passer leurs vacances. Tout comme sur la Sunshine Coast, qui fait face à l’île de l’autre côté du détroit de Georgia, l’ambiance rappelle plus la côte d’azur que le Finistère. Sur la côte ouest, Tofino, spot de surf le plus réputé du Canada, a vu sa population de surfeurs vivant dans leurs vans ou dans des cabanes petit à petit remplacée par de riches touristes logeant dans des hôtels à 200$ la nuit…

Pour retrouver l’ambiance roots de l’île, il faut monter au nord de Campbell River. Le climat réputé plus austère et l’éloignement plus important de la métropole n’attirent pas. La population est principalement constituée de bucherons et de pêcheurs. C’est pourtant là que nous avons trouvé notre petit paradis. Le nord de l’ile est parcouru d’un dense réseau de routes forestières de terre, ouvertes au public aux possibilités d’exploration infinies. Une boucle de 1000km sur ces petites routes a été publiée récemment par le site bikepacking.com et chaque jour, nous avons rencontré des groupes de bikepackers. Des petits sites de camping gratuits y sont aménagés au bord de chaque lac, chaque rivière et chaque crique, certains envahis par les campings-cars, d’autres plus difficilement accessibles et beaucoup plus tranquilles. Après les longues journées sur les highways du continent, nous avons ralenti notre rythme, pour profiter plus. Campings magiques, belles rencontres humaines et animales sont devenus notre quotidien. Christopher nous a parlé de ses vaches, qu’il doit parfois défendre contre les cougars l’hiver, des ours qui broutent en paix sur ses terres et d’utopie sociale et environnementale. Don a passé deux jours avec nous au bord de l’eau à nous expliquer les relations entre saumon, rivière, faune et forêt. Alex nous a emmené sur son voilier découvrir les îles Cortes, Mittlenach et Copeland, à la rencontre des baleines, phoques et otaries. Au voyage physique sont venus s’ajouter d’autres voyages, dans le temps et dans des espaces plus lointains. Alex et ses anecdotes fascinantes sur sa jeunesse hippie dans des cabanes et sur des voiliers, ses aventures sur un brise-glace dans l’océan arctique. Dominique, ses aventures en Afrique, ses voyages en stop en Europe et son arrivée au Canada depuis sa Bretagne natale. Ross et Judy et leurs voyages à vélo et en moto en Amérique centrale, Inde et Pakistan, l’enfance de Judy en Inde et leurs combats pour l’environnement et l’inclusion sur l’île. L’hospitalité incroyable de Todd, Kelly et Brian et les histoires des nombreux voyageurs à vélo qu’ils ont hébergé sur leur ferme. Stephanie, son enfance aux quatre coins du Canada et ses années passées à Yellowknife dans les territoires du nord ouest, où les hivers sont si froids et secs.

Metropolis

Pour continuer notre voyage, il fallait bien passer par Vancouver. Après 3 mois loin de la civilisation, entrer dans la 3e plus grande aire urbaine du Canada avec ses 2,6 millions d’habitants nous a d’abord fait un choc. La métropole s’étale sur plusieurs dizaines de kilomètres et il faudrait presque une journée entière pour la traverser à vélo. Le bruit, le traffic, l’orientation… Un environnement totalement nouveau à appréhender. Heureusement, ici aussi l’hospitalité canadienne nous a mis à l’aise. 4 hôtes différents nous ont hébergé et aidé lors de nos deux passages à Vancouver (merci!), où nous sommes restés beaucoup plus longtemps que prévu, pour préparer la suite du voyage : passage au consulat français pour obtenir un nouveau passeport, tentative infructueuse de passage de la frontière américaine, révision des vélos, réservation d’un vol pour le Mexique et préparation (un peu dans l’urgence) de la suite du voyage.

Si le premier jour n’a pas été évident, nous avons rapidement pris nos marques à Vancouver. Se déplacer à vélo, à pied ou en transport en commun dans cette ville est incroyablement confortable. Le centre-ville est petit et très contrasté, entre les hautes tour rutilantes du Downtown, l’ambiance parfois un peu glauque à la Blade Runner de Gastown et Chinatown et les plages et forêts de Stanley Park et Kitsilano. Tout autour, l’immense zone portuaire, qui s’étale sur des kilomètres le long des anses et du fleuve Fraser. Un peu plus loin, l’ancien quartier des docks du Downtown Eastside est récemment gentrifié et la bière coule à flot dans ses entrepôts transformés en brasseries artisanales.

Tree of life

« BC is built on forestry » (la Colombie Britannique s’est construite sur la foresterie). On peut lire ce slogan un peu partout, surtout dans les villages de bûcheron. À l’inverse, on retrouve au moins aussi souvent des slogans « protect the old growth » (« protéger les forêts anciennes »). Impossible de parler de la Colombie-Britannique sans évoquer ce sujet qui fâche. Beaucoup d’emplois, surtout sur la côte et dans le nord dépendent de cette industrie. D’un autre côté, cette activité, surtout depuis son industrialisation, peut-être destructrice pour l’environnement. Les anciennes forêts, très hautes et diversifiées en termes d’espèces, servent d’abri à de nombreuses espèces, protègent les sols de l’érosion et offrent de l’ombre aux rivières, leur permettant de conserver une température suffisamment fraîche pour que les saumons puissent s’y reproduire. Autrefois les bûcherons coupaient uniquement les arbres les plus matures et laissaient les autres pousser. Aujourd’hui, l’activité est mécanisée : des machines rasent intégralement les forêts, puis on replante des arbres identiques. Les arbres sont ensuite envoyés par bateau en Asie pour être préparés, puis reviennent au Canada (et ailleurs) pour être utilisés. Tout ceci à un coût écologique : ces dernières années, les inondations et glissements de terrain se sont multipliées, les grands arbres majestueux sont petit à petit remplacés par des forêts cultivés, un peu tristes et monotones et les saumons ne parviennent plus à se reproduire. Et le saumon, c’est la base de tout : il nourrit tout un écosystème de prédateurs (aigles, ours, corbeaux, crabes…), apporte du carbone au sol qui alimente la croissance des plantes… Sans saumons, tout cet écosystème est fragilisé. Par ailleurs, l’automatisation a également supprimé de nombreux emplois et le sujet commence à diviser les canadiens… En bref, c’est complexe.

Gastronomie de plein air

Se nourrir lorsque l’on est sédentaire est plutôt facile. On va au supermarché, on remplit son panier, toujours plus ou moins avec les mêmes aliments et on rentre à la maison. De temps en temps, on s’offre un restaurant, sans trop faire attention au prix. Il est facile d’avoir toujours une bière fraîche au frigo pour l’apéro, et de stocker des produits pour une occasion particulière. En itinérance, que ce soit à pied, à vélo, en kayak ou autre, c’est un peu plus complexe. Certains produits sont fragiles (les oeufs, on oublie). D’autres ne supportent pas la chaleur. La bière pèse lourd, prends de la place, produits des déchets qu’il faut transporter… Et perd une grande partie de ses pouvoirs magiques quand elle est tiède.

Ces contraintes ne sont pas trop gênantes lorsque l’on part deux semaines en congés payés sur la Loire à vélo, la côte Atlantique ou n’importe quelle autre destination dans une région densément peuplée, où il est possible de se nourrir convenablement sans pratiquement jamais transporter de nourriture. Pour une traversée à pied des Alpes ou des Pyrénées, ou à vélo en Islande, au Canada ou même dans certains coins du Massif Central, il existe certaines règles à respecter pour avoir une alimentation permettant d’aller au bout du voyage, d’autant plus sur des aventures au long cours. Cet été dans le nord du Canada, j’ai eu pas mal le temps de cogiter sur le thème de la nourriture entre deux épiceries. Avec seulement 4 ravitos dans le Yukon, un territoire grand comme la France, mieux vaut ne rien oublier quand on va faire ses courses !

Calories / Poids / Encombrement

La nourriture est avant tout un carburant. Pour pouvoir avancer, nous devons consommer un certaine quantité d’aliments, plus ou moins importante selon la dépense physique. Une journée de 100km à vélo avec un fort vent de face nécessitera une quantité de nourriture plus importante qu’une journée de 50km avec le vent dans le dos. L’unité permettant de mesurer la quantité d’énergie nécessaire est la calorie.

Les calories sont divisées en 3 groupes : glucides, lipides et protéines. Grosso modo, chacun de ces groupes à un rôle différent :

-les glucides sont rapidement assimilés par l’organisme. C’est la raison pour laquelle certains athlètes consomment des gels, qui sont uniquement constitués de glucides et sont assimilés immédiatement.

-les lipides (en gros, le gras) sont assimilées plus lentement et fournissent un carburant qui dure plus longtemps, mais avec une intensité moins forte que les glucides. Leur combustion lente leur donne également l’avantage de pouvoir s’alimenter à intervalle plus éloigné sans coup de barre. Enfin, 1g de lipide est plus calorique qu’un gramme de glucides ou de protéine. Plutôt intéressant quand on cherche à alléger son sac. Ce sont deux des raisons pour lesquelles beaucoup de sportifs de longue distance adoptent le régime kéto, qui vise à habituer le corps à tourner aux lipides plutôt qu’aux glucides, notamment pour pouvoir puiser dans ses réserves lorsqu’il cesse d’être alimenté.

-les protéines, qui ont plus vocation à faciliter la récupération et la reconstruction des muscles après l’effort plutôt que d’être un carburant en soi.

Les flocons d’avoine à l’eau froide ont bien meilleur goût dans un cadre comme celui-ci.

Pour avancer lorsque la quantité d’aliments transportable est limitée, il est donc nécessaire d’avoir une idée de la quantité de calories qui va être nécessaire à tenir l’effort. À titre d’exemple, on considère souvent qu’une bonne journée de marche ou de vélo nécessite environ 4000 calories (variable selon la taille, la masse musculaire, le poids à transporter etc). Il existe de nombreux calculateurs en ligne pour estimer la quantité de calories nécessaire selon ces critères ainsi que la durée et l’intensité de l’effort que l’on envisage de fournir par jour.

Par conséquent, il va être nécessaire de privilégier des aliments avec un rapport calories / poids / encombrement efficace. Comme évoqué plus haut, les lipides fournissent à poids égal plus de calories que les glucides et protéines. Mais il faudra également consommer une quantité de protéines suffisante pour permettre au corps de mieux récupérer. Pour autant, pas besoin d’embarquer un stock de protéine en poudre, type whey. On en trouve bien assez dans les aliments « normaux ». La bonne nouvelle, c’est que de nombreux aliments naturels sont très riches en protéines et en lipides. Ils ont donc un rapport calories / poids / encombrement intéressant pour la randonnée. L’autre bonne nouvelle, c’est que la plupart de ces aliments sont trouvables à peu près partout dans le monde. En d’autres termes, on va plutôt embarquer du fromage, du beurre de cacahuètes ou des fruits secs que de la salade verte.

Disponibilité / Prix / Qualité

Si la nourriture est avant tout un carburant, tous les carburants ne se valent pas. On a vu dans le paragraphe précédent la différence entre glucides, lipides et protéines, mais il existe également d’autres critères à prendre en compte pour juger de la qualité d’un aliment.

Il peut être tentant de se nourrir de barres chocolatées types Snickers, Clif Bar ou autres, très caloriques pour un encombrement et un poids assez faible. À court terme, pourquoi pas. Dans certains endroits du monde, c’est d’ailleurs la nourriture la plus facile à trouver. Sur le long terme, cela va avoir plusieurs inconvénients : d’une, ça coûte extrêmement cher. De deux, ce n’est pas très bon pour la santé… Ce qui me permet d’introduire un nouveau concept : le rapport disponibilité / prix / qualité.

Pour pouvoir acheter un aliment, il faut déjà qu’il soit disponible. En Espagne, nous carburions au couscous. Au Canada, en dehors des Walmart et des grandes villes, c’est introuvable. Nous avons donc dû nous adapter et faire avec les aliments que nous trouvions. Dans le delta du Mackenzie, à l’extrême nord de notre périple, les aliments ont parcouru des milliers de kilomètres en camion pour arriver. La population (hors touristes) de cette région est d’environ 5000 habitants, majoritairement Inuits ou Gwichins : la chasse, la pêche et la cueillette représentent encore une part importante de leur alimentation. Par conséquent, les épiceries sont approvisionnées de manière assez irrégulière, ce qui entraîne de nombreuses pénuries sur certains articles et des aliments à des prix élevés, en particulier pour les produits frais. Nous avons donc dû nous adapter pour acheter ce qui était disponible, et que nous pouvions financièrement nous offrir : les flocons d’avoine, purée déshydratée, pâtes et cacahuètes ont représenté la plus grande part de notre alimentation dans cette région…

Plantes sauvages comestibles

Par chance, le nord du Canada regorge de plantes sauvages comestibles. Savoir les reconnaître est un atout majeur, en particulier lorsque les prix sont élevés et les distances entre deux ravitaillement sont grandes. Pas besoin de tout connaître : savoir identifier quelques plantes répandues dans la région, de bonne qualité nutritive et pour lesquelles il n’y a pas de confusion possible permet d’alléger de façon conséquente le poids et le volume à transporter, tout en conservant une alimentation de qualité à un prix dérisoire. C’est également bon pour l’environnement : dans un pays comme le Canada, pratiquement tous les fruits et légumes ont parcouru des milliers de kilomètres avant d’arriver en rayon. Leur impact environnemental est donc très élevé, là où celui des plantes sauvages est nul.

Au Yukon, nous consommions quotidiennement pissenlits et fireweeds. Ces plantes sont simples à reconnaître, poussent absolument partout et sont de bonnes sources de vitamines. À l’occasion d’une sortie guidée dans le parc de Tombstone, nous avons également appris à reconnaître l’épilobe à feuilles larges, qui pousse le long des rivières et fait un bon substitut au thé. Et de temps en temps, nous ajoutions à notre régime des fraises des bois, qui poussent pratiquement partout dans cette région et à cette période de l’année. En terme de diversité, c’est assez faible et monotone. Mais cela permet de continuer à manger des « légumes » frais facilement.

Vous voyez des jolies fleurs roses ? Je vois un stock inépuisable de vitamines.

Cuisinabilité

Le vélo, ça creuse. Et quand on a faim, on est moins exigeant. Ça tombe bien : cuisiner prends du temps, de l’énergie et nécessite de transporter du matériel, lourd et encombrant. En se contentant d’aliments simples et rapides à préparer, on allège le poids du vélo (pas besoin de transporter de matériel de cuisine élaboré) et on passe moins de temps à attendre le repas le ventre vide.

Certains aliments, comme les haricots, pois chiches, lentilles sont de bonne sources de protéine à bas prix et faciles à conserver, mais leur préparation nécessite du matériel (boîte étanche pour le trempage et le stockage une fois cuits) et beaucoup de carburant (temps de cuisson très long). Ils sont donc difficilement compatible lors de voyages où le poids et le volume comptent. L’idéal est de transporter des aliments ne nécessitant pas de cuisson, pour éviter de transporter du matériel de cuisine, ou bien une cuisson très courte pour laquelle un réchaud à alcool et un peu de combustible peuvent suffire. Nos ingrédients de prédilection : couscous et fruits secs. En Espagne, nous avons passé trois mois sans jamais (ou presque) utiliser notre réchaud. Nous mangions le soir du couscous froid, à peine plus long à gonfler qu’avec de l’eau chaude (et probablement plus rapide si l’on prends en compte le temps nécessaire pour chauffer l’eau). Nous y ajoutions des fruits secs (cacahuètes, poids chiches et fèves grillés, amandes, cajous, raisins…) et des légumes frais faciles à transporter. Au petit déjeuner : flocons d’avoine froids, beurre de cacahuète, banane écrasée. Et lorsqu’il est compliqué de transporter des bananes, comme au Canada, nous les remplaçons par des fruits secs.

Réconfort

Si simplifier son alimentation permet de s’alléger, il ne faut pas oublier que la nourriture a aussi un rôle réconfortant, en particulier lorsque les conditions deviennent difficiles (météo compliquée pendant plusieurs jours ou semaines, longues journées monotones sur les highways d’Amérique du Nord…).

Quoi de plus régressif que des marshmallows au feu de bois ?

Une barre chocolatée, des biscuits, un paquet de marshmallows à griller le soir au bivouac… Ce genre de petits détails n’apportent pas grand chose en terme de nutrition (voire sont mauvais), mais jouent un rôle important sur le moral. Sur la Dempster Highway, nous n’avions pas pris en compte cet aspect. Les derniers jours, tout ce que nous souhaitions était d’arriver au plus vite à Dawson City, pour trouver une épicerie et faire le plein de cookies, de chips et… de fruits frais. Cette leçon apprise, nous avons ensuite pris soin les semaines suivantes d’avoir au moins une fois par jour une « récompense ». C’est probablement ce qui nous a permis de tenir moralement, en particulier au Yukon où les conditions (pluie, froid, moustiques, longues routes monotones) étaient particulièrement difficiles. Dans le sud du Canada, nous avons adopté le « trail burrito » : un sandwich complet, calorique et réconfortant, qui est vite devenu addictif.

trail burrito : fruits secs, noix, chou rouge, beurre de cacahuète, tortilla

Les étapes chez des hôtes Warmshowers, en airbnb ou dans des hostels disposant d’une cuisine sont également de bonnes occasions de cuisiner des bons petits plats réconfortants tout en conservant un budget réduit, pour varier de la nourriture de bivouac. Pour les hôtes warmshowers, préparer un repas bien de chez nous est également un bon moyen de les remercier de leur hospitalité. Lors de ces étapes avec cuisine, nous en profitons généralement pour repartir avec des plats préparés qui nous permettent de faire un bivouac un peu plus « haut de gamme » le jour suivant. Nous avons une petite liste de recettes simples à préparer, nécessitant un nombre restreint d’ingrédients faciles à trouver, peu chères et adaptables en cas de régimes spécifiques de nos hôtes.

L’hospitalité des canadiens fait du bien au moral et à l’estomac

Déchets

Quoi de plus désagréable qu’un joli paysage ruiné par des épluchures d’oranges, des canettes vides et des emballages de gel ? Pas question d’abandonner ses déchets n’importe où : on les rapporte à la prochaine poubelle. Lors des ravitaillements, il faudra anticiper cet aspect. Les boîtes de conserves sont certes pratiques, mais elles sont pratiquement aussi encombrantes vides que pleines. Les emballages, pas tellement mieux. L’idéal est d’avoir des sacs étanches, types sacs de congélation, et de transvaser au moment de l’achat les aliments de leur emballage carton encombrant vers ces sacs réutilisables. Pour les fruits et légumes, pas le choix : il faudra les transporter. Réutiliser un emballage plastique comme poubelle et le tour est joué.

Petits et gros chapardeurs

Savoir choisir et préparer les aliments adaptés à un périple, c’est bien. Mais il ne faut pas oublier que dans la nature, la concurrence pour la nourriture est parfois rude. Les animaux sauvages ont faim et nos provisions leur font de l’oeil… Quoi de plus désagréable que de se réveiller un matin sans nourriture alors que le prochain magasin est à plusieurs jours de voyage ?

Derrière ses airs de peluche mignonne, le rongeur est l’ennemi numéro 1.

Un ours a un odorat mille fois plus développé qu’un chien. Dans les régions où cet animal est présent, il est primordial de sécuriser sa nourriture pour éviter d’attirer ce prédateur, potentiellement dangereux en particulier lorsqu’il est affamé. La nourriture doit donc être stockée loin du camp, soit suspendue dans un arbre, soit dans une « boîte anti-ours », impossible à ouvrir pour un animal. Mais si l’ours est probablement notre concurrent le plus effrayant, le risque de faire sa rencontre est finalement limité à certaines régions du monde et à certains moments de l’année (principalement au printemps, lorsqu’il sort d’hibernation et que la nature a encore peu à offrir). Nos concurrents les plus courants sont les rongeurs, renards et sangliers. J’ai entendu des histoires de souris qui avaient rongé des toiles de tente pour accéder à de la nourriture… Il est finalement assez simple de se protéger de ces animaux : suspendre la nourriture à un arbre dans un sac étanche est une garantie d’éviter les mauvaises surprises.