Équateur

Après 3 mois en Colombie, pays magnifique mais où camper est assez compliqué et les hôtels tellement abordables (entre 5 et 12 euros la chambre pour deux… difficile de résister, surtout quand on a passé la journée sous la pluie ou dans la chaleur), nous avions hâte d’arriver en Equateur. D’après ce que nous voyions sur les réseaux sociaux, j’imaginais un prolongement de la Colombie, mais avec une nature plus accessible. La route que nous avions prévu de suivre, la TEMBR (Trans Ecuador Mountain Bike Route) serpente dans les montagnes principalement entre 3000 et 4000m d’altitude à travers les étages de la forêt andine humide et du paramo, écosystèmes fascinants dont nous avions eu un aperçu en Colombie et que nous avions hâte de retrouver.

Mais dans l’univers du voyage à vélo aussi, les médias sociaux (Instagram, Youtube, blogs etc) ont tendance à présenter une image déformée de la réalité. En regardant les publications des voyageurs qui nous ont précédé, je m’imaginais passer des journées entières à pédaler au milieu des frailejones, des lichens et des polylepis, entouré par les neiges éternelles des volcans andins. La réalité est toute autre : ces endroits préservés existent bel et bien, mais ne représentent finalement qu’une poignée de kilomètres sur l’ensemble de la Trans Ecuador.

Là haut sur la montagne

Je m’imaginais l’Equateur comme une version plus préservée et accessible de la Colombie, mais la réalité est toute autre. En Colombie, la population est globalement urbaine et regroupée sur la côte Caraïbes et à proximité des grandes villes, dans les zones au climat confortable (axe cafetier, altiplano cundinoboyacense, Cali, Pasto…). En dessous de 1000m d’altitude et au dessus de 3000m, il n’y a pratiquement personne. Ajoutons à cela les guérillas et mafias qui ont affronté le gouvernement pendant toute la deuxième moitié du 20e siècle (et encore aujourd’hui dans certaines régions isolées), empêchant l’accès à ces zones, l’aspect sacré des hautes montagnes pour certaines cultures indigènes et l’importance cruciale pour le pays de la préservation des écosystèmes de haute montagne en terme d’approvisionnement en eau potable, et nous avons un pays à la nature difficilement accessible mais globalement bien préservée.

La géographie de l’Equateur est très différente : en-dehors de la grande cité portuaire de Guayaquil, la plupart des grandes villes sont situées entre 2500 et 3000m d’altitude, et les montagnes sont densément peuplées de petites communautés indigènes entre 3000 et 4000m. Le paysage naturel que j’imaginais est en fait totalement défiguré par la main de l’homme. Ces communautés agricoles cultivent la pomme de terre, le maïs, le haricot là où autrefois devait exister la forêt andine humide, et font paître leurs nombreux animaux dans ce qui était le paramo. Et puisqu’il fait froid et qu’il faut bien se chauffer, les arbres autochtones à la croissance très lentes ont étés remplacés par des pins et des eucalyptus, au meilleur rendement. Même les parcs nationaux sont touchés : les pentes du Cotopaxi sont couvertes de bouses de vaches et de monoculture de pins bien alignés et régulièrement rasés à blanc sur des hectares entiers une fois la taille attendu atteinte. Pas vraiment ce que j’imaginais… Finalement, seuls les 40km après la frontière colombienne, relativement préservés, correspondent à ce que j’attendais du pays.

Pour le reste, ce n’est pas moche, loin de là. C’est même beau, juste différent de ce que j’imaginais. Elisa, qui n’avait pas d’attentes particulières, a vraiment apprécié traverser ces imposantes montagnes, malgré la difficulté de cette route, dont la combinaison de pourcentages souvent à deux chiffres et d’air appauvri en oxygène rendent la progression plus lente que d’habitude. Dire que la région est rude est un euphémisme. Il fait froid, humide et quand le soleil daigne se montrer, il tape très, très fort : ces montagnes sont la région terrestre la plus proche du soleil. Les épais ponchos de laine et les chapeaux sur toutes les têtes ne sont pas là que pour faire joli. Dans cet épais brouillard, ce n’est pas pour rien qu’une des questions qu’on nous a le plus posée est « quelle heure est-il ? ». Le ciel est tellement sombre et lourd qu’à 14h, il pourrait aussi bien être 7h ou 18h. Mais le climat n’est pas le seul élément qui rend cette région si austère. Tout transpire la misère et l’abandon. Les visages et les corps sont marqués, les animaux maigres et maltraités font peine à voir, l’architecture n’est que parpaings empilés et toits de chaumes. Lorsque nous expliquons à un groupe de villageois que nous sommes malades, qu’Elisa n’a pas pu manger depuis 2 jours et que nous avons à peine la force de pousser nos vélos, ils rient. La souffrance est leur quotidien. Le manque d’éducation également est flagrant : beaucoup parlent à peine espagnol, comme ce berger qui m’aborde dans une langue qui m’est inconnu, puis se reprend en castillan : « ah tu ne parles pas quechua ? », comme s’il n’avait pas conscience qu’il puisse exister des humains qui parlent d’autres langues que la sienne. Il faut dire qu’à part une poignée de cyclistes étrangers, personne ne vient ici. Nous sommes véritablement des extra-terrestres pour ces gens, dont le mode de vie a probablement très peu évolué depuis plusieurs siècles. Nous vivons des scènes incroyables : les enfants qui nous observent monter notre camp la bouche grande ouverte, hilares ou effrayés. Cet agriculteur qui nous a offert un toit un soir particulièrement pluvieux, et nous a bombardé de questions souvent naïves et touchantes, ébahi par notre réchaud à alcool, qui tenait absolument à voir « comment nous mangions » avant d’aller se coucher et à qui nous avons fait goûter pour la première fois de sa vie au gingembre, pourtant cultivé en Equateur et vendu dans toutes les tiendas des principaux bourgs avoisinants. Cet instituteur qui a accueilli de nombreux volontaires étrangers, plus curieux de savoir ce que cela fait de prendre l’avion au dessus de l’Atlantique que par les plus de 1000km que nous avons parcouru à vélo depuis Bogota.

Les routes sont vides de véhicules motorisés : nous voyons peut-être deux ou trois voitures ou camions et une dizaine de motos par jour. Pourtant nous ne sommes pratiquement jamais seuls : c’est juste que les gens se déplacent à pied ou à dos d’âne, de mule ou de cheval. Ces communautés sont particulièrement isolées du reste du monde et voient probablement passer plus de voyageurs à vélo que d’Equatoriens « de la ville ». Juin-juillet est la haute saison et nous estimons qu’à cette période de l’année passe environ un groupe de cyclistes par jour. Ce n’est pas la Loire à vélo, mais pour la région c’est déjà beaucoup. Nous réalisons que cela fait très longtemps que nous n’avons pas fait de bikepacking à proprement parler (activité plus proche de la randonnée pédestre que du cyclotourisme sur voie verte, que je définirais par le fait de rouler sur des chemins, dans des régions isolées et en autonomie). Cette absence de moteurs, l’accueil souvent curieux et bienveillant bien qu’un peu maladroit de la population et la facilité de monter la tente à peu près n’importe où (il suffit de trouver un humain et de lui demander s’il ne connaitrait pas un endroit plat où nous pourrions nous installer sans déranger : taux de réussite de 100%) rendent l’expérience plaisante malgré la difficulté physique. Pourtant, après une semaine, je ne peux pas m’empêcher d’être frustré. Il y a décidément trop de monde ici, je ne supporte plus de voir ces animaux en sale état aux airs si tristes et cette nature défigurée. Si camper dans une ferme ou un village est confortable, ce n’est pas ce que je suis venu chercher dans les Andes. J’ai envie de grands espaces et d’avoir l’illusion de traverser des régions à la nature « intacte », ou du moins peu impactée par l’agriculture et la sylviculture.

Salinas

Après avoir traversé cette campagne tellement pauvre, nous nous arrêtons à Salinas, petit village de montagne assez touristique et à part dans la région. L’attrait de Salinas n’est pas sa beauté : l’architecture en brique et parpaings nus est aussi inesthétique qu’ailleurs, et les paysages pas spécialement différents. Ce qui fait la réputation de ce village, c’est son artisanat, produit de manière assez unique dans la région. Dans les années 70, un prêtre italien débarque ici et organise les paysans en coopérative selon les principes du commerce équitable. Un suisse suit et apporte son savoir-faire de la production de fromages. Aujourd’hui, Salinas est réputé pour ses nombreuses pizzerias et sa marque Salinerito produisant fromages, chocolats, tisanes, liqueurs… Tout ce qu’on s’attendrait à trouver dans un village des Alpes.

Pour des raisons de santé (encore), nous avons dû nous arrêter un peu plus longtemps que prévu à Salinas. Ce qui m’a donné le temps d’observer son fonctionnement. Et force est de constater que le commerce équitable, ça fonctionne. Le village semble bien plus prospère que ses voisins : la coopérative fromagère dispose de matériel moderne, les infrastructures touristiques sont développées, bien équipées et tenues par des locaux, on y observe un nombre de véhicules motorisés (privés ou collectifs) bien plus nombreux qu’ailleurs dans ces montagnes. Et surtout il semble y avoir une véritable cohésion parmi les habitants, qui travaillent tous ou presque pour le même projet de développement de la marque de leur village et qui se ressent à travers les matchs de volley qui ont lieu tous les jours sur la place centrale, entre petits vieux en tenue traditionnelle, agriculteurs en bottes de caoutchouc et commerçants habillés de manière plus urbaine.

Quand on arrive en ville

En un mois en Equateur, nous sommes tombés malades 3 fois chacun… Un record. Probablement un parasite, apparemment assez courant dans la région. Cela nous a particulièrement affaibli et ralenti, ce qui n’était pas forcément nécessaire sur ces routes déjà difficiles. Nous avons donc dû prendre un peu plus de bus que prévu, raccourcir drastiquement notre route et passer plus de temps que prévu dans les villes qui sont étonnamment plutôt agréables. Surtout quand on vient de traverser l’Amérique centrale, la Colombie et l’Amazonie brésilienne, ou les villes ne sont malheureusement souvent pas très belles, pas très sûres voire même les deux…

En Equateur le contraste entre la ville et la campagne est saisissant. L’Amérique est un continent particulièrement inégalitaire, où l’extrême pauvreté côtoie le luxe absolu sans que cela ne choque personne. Le fatalisme (bien aidé par la religion) est la règle : la plupart des gens acceptent leur situation et celle des autres sans remettre en cause le fonctionnement de la société. Après tout, ceux qui ont réussi n’ont été aidé que par Dieu et par eux-même…

Quand on vient de traverser ces communautés tellement isolées et abandonnées et que l’on arrive à Cuenca, l’abondance qui règne ici est d’abord bienvenue, puis rapidement écoeurante. Cuenca est une ville très riche, mais aussi très provinciale et à l’ambiance guindée, très conservatrice, où règne l’entre-soi. Notre hôte Pedro nous confirme que la différence n’y est pas vraiment bienvenue, sauf si elle apporte beaucoup d’argent. Ici (et en Equateur en général) il vaut mieux être un retraité gringo blanc (qui forment une communauté de 15000 habitants à Cuenca, avec leur propre journal en anglais), qu’un équatorien noir… Ses habitants privilégiés vivent dans ce qu’ils pensent être le summum de l’élégance et du raffinement. Les prix sont au moins aussi élevés qu’en Europe de l’ouest et la concentration de pâtisseries, boulangeries françaises et cafés de spécialité est très forte. Pourtant, derrière cette apparence de raffinement, il faut bien se rendre à l’évidence : ce n’est pas parce que c’est cher et bien présenté que c’est bon. Le café a beau coûter le double du prix que nous avions l’habitude de payer en Colombie, il est au mieux insipide, la plupart du temps brûlé et imbuvable… Que les produits importés soient aussi chers dans ce petit pays isolé économiquement, passe encore. Mais que les produits locaux soient plus chers et moins bons que dans les pays voisins pourtant plus développés, c’est frustrant. Sans parler de l’accueil, qui s’il est tout à fait bienveillant chez les Equatoriens lambda, laisse un peu à désirer chez les commerçants et professionnels du tourisme. On a parfois l’impression de déranger… D’ailleurs Pedro nous confirme que les colombiens s’intègrent bien en Equateur grâce à leur réputation d’être beaucoup plus sympas, souples et arrangeants. Tout le monde aime le voisin cool, mais on ne suit pas forcément son exemple pour autant.

Après quelques jours à Cuenca, où nous avons retrouvé de nombreux autres voyageurs à vélo que nous avions croisé depuis Bogota, il est temps de couper court à l’aventure équatorienne et de prendre un bus pour le sud. Nous sommes déjà fin juin, si nous voulons traverser le salar d’Uyuni avant la saison des pluies il nous faut faire des choix. Le Pérou, ses hautes vallées perdues aux lacs turquoises entourés de sommets enneigés nous attire plus que le sud de l’Equateur surpeuplé.

Merci d’avoir lu cet article ! Nous espérons qu’il vous a plu. Nous débutons actuellement notre découverte du Pérou, retrouvez-nous bientôt pour le prochain article sur notre traversée de la Cordillera Blanca, plus haute chaine montagneuse du pays. À bientôt!

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