Après être partis voyager à vélo pendant 1 an et demi sur le continent américain et avoir fini par saturer, nous sommes rentrés au pays. Faire un tour (toujours à vélo) de la famille et des copains a été une véritable thérapie qui nous a aidé à prendre du recul sur les expériences que nous avions vécues. Redécouvrir le goût et la qualité incroyable de la nourriture française, le plaisir du vélo et du bivouac facile sur les petites routes bretonnes… Mais aussi réentendre l’insupportable expression « bon courage » tellement plus négative que les « profitez bien » entendus en anglais et espagnol pendant des mois, subir à nouveau l’odeur de la cigarette dans les lieux publics… Ce petit voyage au pays natal a été l’occasion de renouer avec l’excitation de la découverte : retrouver son pays et le voir avec un regard neuf et plus de recul pour mieux le comprendre et nous comprendre.
À Oaxaca, au sud du Mexique, la fièvre nous a forcé à faire une pause. Une énième pause depuis que nous avions quitté Mexico quelques semaines plus tôt. Après la canicule et les intoxications alimentaires, cette fois-ci ce furent les moustiques qui nous arrêtèrent… Le rythme décousu des dernières semaines avait achevé notre motivation. Notre prochain objectif, le Guatemala, était à la fois très proche géographiquement et très loin dans le temps, puisque nous avions rendez-vous avec mes parents pour y fêter Noël, 4 mois et demi plus tard. 4 mois et demi pour parcourir moins de 1000 kilomètres : l’excitation du voyage disparait vite quand on a l’impression de tuer le temps. Elisa n’avait déjà plus l’envie quand nous sommes repartis de Mexico, et je l’ai perdue à mon tour. Dans cette petite chambre d’hôtel de Oaxaca, nous avons pris la décision de faire une pause dans notre voyage et rentrer quelques mois en France. Dans notre classement des projets qui nous donnaient envie, celui-ci était bien plus haut que de continuer à rouler vers le sud ou de faire une longue pause au Mexique. À quoi bon continuer quand l’envie n’est plus là ? Pour être sûrs de reprendre notre voyage, nous avons laissé nos vélos et une partie de notre équipement à Playa Del Carmen, chez une amie.
À peine le vol réservé, notre excitation est revenue. Nous avions retrouvé un projet motivant avec des dates butoir à respecter. Dans notre petite chambre d’hôtel oaxaqueña, en plus de lister ce que nous avions à faire avant notre départ puis une fois en France, nous avons aussi fait une autre liste, plus personnelle : qu’avions-nous envie de manger à notre retour ? Etonnamment, la nourriture française ne nous a pas manqué une seule fois en un an et demi de voyage : nous nous satisfaisions de ce que nous trouvions, chaque pays ayant ses bons produits réconfortants en cas de coup au moral. Alors que nous nous en étions passé sans peine pendant des mois, pendant les quelques jours avant le vol il nous a été impossible de penser à autre chose qu’à de la baguette, du bon fromage français et de la bière artisanale (très chère et rarement bonne au Mexique).
Une fois en France, retourner en Amérique Centrale trois mois plus tard semblait une véritable corvée dont nous n’avions plus aucune envie. Après 8 mois au Mexique et à Cuba, nous rêvions d’espace et de nature, plus tellement de densité humaine et de découvertes culturelles. Nous sommes restés trop longtemps dans le même pays, magnifique et fascinant mais qui peut être usant à la longue. Le Mexique est un film de Kusturica : baroque, coloré, joyeux, bruyant, souvent absurde, parfois violent. On y croise des cowboys à dos d’âne, des sorcières édentées qui préparent aussi bien des filtres d’amour que des potions pour calmer les ardeurs des maris infidèles, des fanfares, des chanteurs de karaokés de rue totalement faux mais passionnés, des borrachos endormis dans le caniveau, des pétards à la moindre occasion (et elles sont nombreuses), des fêtes religieuses pour tout et n’importe quoi, des marchands ambulants qui vendent de délicieux « tamalitos oaxaqueños tamalitos calientitos » ou achètent des matelas, poêles, machines à laver ou n’importe quelle autre vieille ferraille; des mariachis embauchés pour chanter des sérénades au milieu de la nuit, beaucoup de chapeaux, de moustaches, de maris feignants et de grands mères qui tiennent la baraque. C’est un univers fascinant mais un peu fatiguant où tout peut arriver à toute heure. Il faut savoir faire preuve de souplesse et de patience et accepter de se laisser entraîner par un rythme nonchalant. Par contraste, la France est un pays incroyablement silencieux, vide d’humains, froid et prévisible, mais reposant. Alors nous avons fouillé dans nos affaires pour rassembler un peu de matériel de camping et de vélo, emprunté ce qui nous manquait et sommes partis sur les routes à la rencontre de nos amis et de nos familles que nous n’avions pas vu depuis longtemps. Ce pèlerinage a agi comme une véritable thérapie, qui nous a redonné le goût de l’exploration, des rencontres et nous a aidé à assimiler l’aventure que nous venions de vivre pendant cette année et demi. Raconter notre voyage plusieurs fois par jour, soumettre nos histoires à des regards nouveaux, répondre à des questions auxquelles nous n’avions pas pensé nous a permis de revivre notre aventure, de dépasser ce point de saturation que nous avions atteint et de mieux assimiler ce que nous avions vécu et comment cela nous a transformé. Cela nous a même donné un peu envie de repartir…
Nourris aux films et aux réseaux sociaux d’aventuriers de la pédale, nous rêvions d’une grande traversée des Amériques en 2 à 3 ans, du nord au sud et d’une traite. L’Amérique du Nord n’était pour nous qu’un hors d’oeuvre, une mise en jambe avant d’attaquer le vif du sujet : les traversées du désert en Amérique du Sud, les hautes ascensions des volcans d’Amérique Centrale et des montagnes andines. Peut-être inconsciemment, nous rêvions d’exceptionnel, puisque c’est souvent ce qui est mis en avant dans les récits d’aventure. Nous nous sommes finalement rendus comptes que l’aventure est partout et pas seulement dans les paysages grandioses. Si ceux-ci font de belles cartes postales, ce ne sont pas eux qui nous font évoluer et changent notre regard sur nous-même et sur le monde. Nous avons finalement appris plus de nos rencontres, des longues journées de pédalage sur des routes monotones et des situations inconfortables que des jours d’extase et de pur plaisir sur des sections plus grandioses ou naturelles, même si ceux-ci sont indispensables pour entretenir la flamme tout au long de la route. Finalement voyager au long cours quelque soit le moyen de transport, c’est comme le vélo : tout est question d’équilibre.
Il nous aura bien fallu 3 mois pour retrouver le désir de reprendre la route et faire la paix avec nous même, passer au-delà du sentiment d’échec et de la honte de cet aller-retour en avion. C’est comme ça. Et s’il le fallait pour retrouver l’envie, c’est bien ainsi. Revoir les amis, la famille, les petits qui grandissent et les vieux qui vieillissent, ça n’a tout simplement pas de prix. Nous avons probablement passé les semaines les plus heureuses de notre vie pendant cette pause. Maintenant il est temps de retrouver la pluie, le froid, la chaleur, l’inconfort et la fatigue, car « quand tu aimes il faut partir* ».
Alors qu’en ce début d’automne s’enchaînent les tempêtes et la pluie, nous avons pour de bon retrouver l’envie de partir. Les 3 prochains mois seront consacrés à la traversée de l’Amérique centrale, du Yucatán à la Colombie. Environ 3500km et 40000m de dénivelé (à la louche) de prévu, il ne faudra pas trop trainer.
*extrait du poème de Blaise Cendrars, « Tu es plus belle que le ciel et la mer »