Mexico

Perchés à 2200m d’altitude pendant 6 semaines dans la plus grande métropole d’Amérique du Nord, et probablement l’une des villes les plus fascinantes que nous ayions vu.

Premier contact

Arriver à Mexico est l’objectif qui nous a fait avancer depuis Guadalajara, soit pendant les 6 semaines qui ont probablement été les plus riches depuis notre arrivée sur le continent américain. Depuis le début du voyage c’est la première fois que nous avons retrouvé une telle combinaison de richesse culturelle, de rencontres et de plaisir à vélo (cf article Michoacán). Alors forcément, lorsque nous atteignons cet objectif, fatigués mais au sommet de notre forme physique et dans une dynamique d’explorateurs affamés de routes et de découvertes, nous avons un petit pincement au coeur en prenant conscience que nous n’allons plus faire de vélo avant un long moment. D’autant plus que l’entrée dans la ville nous met une claque : nous fantasmions Mexico depuis des mois, nous avions des rêves de couleurs, de street-food et de musique (confortés par les rythmes de la cumbia qui quelques jours avant la ville commençaient déjà à prendre le pas sur ceux de la polka). Mais en entrant par l’ouest de la ville et les riches quartiers de Bosque de las Palmas, nous tombons des nues : les mamans au volant de leurs gros pickups font la queue pour récupérer leurs enfants devant les écoles internationales, la conduite agressive des automobilistes nous rappelle nos années de vélotaf à Lyon. Alors que le Mexique est un pays métissé, l’ouest de Mexico a la peau blanche. Les seuls piétons qu’on y croise sont des promeneurs de chiens professionnels tenant chacun en laisse une dizaine d’animaux de race ou des hommes et femmes d’affaires en costume noir. Même les rares vélos stationnés devant les immeubles de bureau rappellent plus Paris ou Vancouver que le Mexique : Cinellis et Colnagos de route ou de piste, vélos à plusieurs milliers d’euros difficiles à trouver dans un pays dominé par les marques chinoises et américaines et où la plupart des gens n’ont qu’une seule monture, souvent tout terrain.

En nous rapprochant du centre, où se trouve notre logement, nous traversons les quartiers Condesa et Roma Norte, prisés des touristes et expatriés européens. N’ayant entendu que du bien de ces quartiers, nous tombons à nouveau des nues. Ici non plus, rien n’évoque le Mexico dont nous rêvions : tout est boulangeries françaises aux prix astronomiques, restaurants et magasins de vêtements internationaux, ambiance sombre et austère surtout en ce jour de ciel gris. Déception. Et sans que nous ayons le temps de nous en rendre compte, nous traversons l’avenue Cuauhtémoc et la rue Frontera, qui porte bien son nom. Des petites rues calmes aux pistes cyclables bien aménagées, nous passons au chaos des quartiers populaires du centre-ville. Du béton, des grands axes plein de nids de poules saturés de voitures brinquebalantes, du bruit, des stands de tacos et tortas bon marché à chaque intersection : sans transition, nous passons d’un extrême de Mexico à l’autre. Notre hôtel est dans le quartier Obrera, ancien quartier ouvrier réputé pour ses pulquerias et cantinas bon marché. Le contraste avec les beaux quartiers est intense et nous ne nous sentons tout d’abord pas trop à notre aise au milieu de ces immeubles décrépis derrière les fenêtres desquelles se devinent des conditions de vie pas toujours faciles. Pas trop l’endroit où nous avons envie de trainer le soir à première vue… Et finalement un quartier pas désagréable, un peu délabré mais vivant, où cohabite finalement une population assez hétéroclite de classes moyennes et populaires. Un quartier en tout début de gentrification.

L’auberge espagnole

Ce premier aperçu sera de courte durée puisque nous devons prendre l’avion pour Cuba, où nous allons rester un mois. À notre retour, tout nous semble différent : nous avons du mal à nous réadapter à l’opulence de Mexico : la surabondance de nourriture, de publicité, d’immeubles de verres et d’acier, de voitures, les grands écarts sociaux entre les plus riches et les plus pauvres : tout nous écoeure. Heureusement, c’est à ce moment que notre vie sociale se débloque : les moments difficiles passent mieux quand on est bien entourés. Nous sommes d’abord hébergés chez Juan Carlos et sa fille Elena dans le sud de la ville, entre l’université et les quartiers historiques de Coyoacán et San Angel, bourgades périphériques rattrapées par la ville et petits ilôts d’architecture coloniale et de rues pavées dans un océan de béton. Coyoacán est le quartier des artistes et intellectuels aisés et ses petites rues ont des airs de village. On y trouve une concentration de cafés, galeries d’arts, cinémas d’arts et essais et magasins bios comme nulle part ailleurs à Mexico. C’est la première fois depuis le début du voyage que nous avons autant l’impression d’être en France. Nous faisons d’ailleurs la rencontre de Claire, enseignante au lycée français et aventurière sur son temps libre, qui vit ici depuis de nombreuses années. Nous rencontrons ensuite une ribambelle de voyageurs à vélo : Alban, français, Félix et Katherine, québécois, Sylvan, Heidi et Daniel, états-uniens, ainsi qu’un autre Daniel, cycliste urbain mexicain qui nous fait découvrir le nord de la ville. Puis nous retrouvons Diana, mexicaine ayant vécu à Vancouver, rencontrée à Valle de Bravo, chez qui nous rencontrons Lotta l’allemande et Drew, encore un voyageur à vélo états-unien. Retrouver une vie sociale, des personnes avec qui nous partageons parfois la même langue maternelle ou à défaut des mêmes codes culturels et un quartier où nous nous sentons bien signe le début de la fin de notre envie de voyager. Nous commençons à envisager la possibilité de chercher un travail et de nous installer à Coyoacán…

Hello darkness

Être resté près d’un mois et demi à Mexico, en logeant dans des quartiers différents, nous a permis d’avoir un bon aperçu de ce qu’est cette ville, plus grande métropole d’Amérique du Nord avec ses 9 millions d’habitants (et plus de 20 millions en comptant l’agglomération). Plus qu’une simple ville, Mexico est un véritable pays dans le pays avec sa propre culture, à la fois mexicaine, internationale et typiquement defeña (du DF, district fédéral, ancienne entité administrative de la ville de Mexico). Ses habitants, les chilangos, ont leur propre accent, leurs propres styles. Située dans une grande cuvette à plus de 2200m d’altitude, Mexico est une ville froide. Cette froideur est accentuée par le nuage de pollution quasi-permanent au-dessus d’elle, qui lui donne une lumière très spéciale lorsque le soleil daigne traverser les nuages au coucher du soleil. Tenochtitlan, l’ancienne Mexico, était une ville de canaux construite sur un lac. De ce lac asséché seul restent quelques vestiges. Xochimilco (lieu du champ des fleurs en nahuatl) au sud, quartier de maraichage et d’horticulture où l’on se déplace sur des canaux à l’aide de barques appelées trajineras. Et des vestiges archéologiques tels le Templo Mayor ou Tlatelolco disséminés un peu partout. Au Zocalo et ailleurs, le bruit sourd des tambours et des conques résonne toute la journée et des prêtres aztèques le corps recouvert de peinture et aux impressionnantes coiffes de plumes proposent aux touristes des rituels de purification au milieu d’un nuage de fumée de plantes médicinales. Les bâtiments de l’époque coloniale, de style baroque, sont construits en pierre volcanique noire et enduits de peinture souvent rouge et bleu nuit, qui leur donne un air de décor de film de vampire. Je ne sais pas si c’est dû au climat, à l’architecture ou parce qu’ils portent le deuil de leur ancienne culture, mais les chilangos ont souvent des styles vestimentaires sombres. Il n’est pas rare de voir des cyclistes urbains en singlespeed, tout de noir vêtus, véritables guerriers et guerrières de la route en tenue de combat. Combatifs ils le sont, puisqu’ils ont réussi à imposer le ciclotón : tous les dimanches, de 8h à 14h, plusieurs dizaines de kilomètres de grands axes sont fermés au trafic motorisé. Un peu comme si à Paris, les Champs-Elysées, les bords de Seine et la moitié du périphérique étaient réservé aux vélos, trottinettes, piétons, poussettes, skateboards, qui se baladeraient tranquillement sans bruits de moteurs ni odeurs d’échappement lors d’une promenade dominicale ponctuée de stands de réparation de vélos, de cours de yoga et danse et de sensibilisation à un mode de vie sain aux feux rouges. Le tout avec un sourire jusqu’aux oreilles. Cet événement est tellement euphorisant que nous y sommes allés tous les weekends que nous avons passés à Mexico. S’il a forcément généré quelques protestations au début, cet événement semble aujourd’hui bien accepté par la majorité. D’ailleurs, de très nombreuses grandes villes l’ont adopté au Mexique et ailleurs en Amérique latine. À Bogota (13 millions d’habitants, presque le double du grand Paris), il existe depuis les années 70 ! À quand la même chose dans nos villes européennes ?

Du pulque et des jeux

En plus d’être la capitale du Mexique, Mexico est aussi la capitale mondiale de la lucha libre. Ce catch mexicain, aérien et spectaculaire, voit s’affronter plusieurs fois par semaines dans le temple de l’Arena Colisée les gentils tecnicos vêtues de blanc, or et argent aux diaboliques rudos grossiers et tricheurs, souvent en rouge et noir tels le démon… Au-delà de la symbolique, c’est un spectacle impressionnant auquel participent à grands cris les quelques milliers de spectateurs.

La boisson emblématique du centre du pays et particulièrement de Mexico est le pulque. Il s’agit d’un jus d’agave plus ou moins fermenté, blanchâtre, laiteux, légèrement alcoolisé et parfois légèrement pétillant. Aux temps préhispaniques, il s’agissait d’une boisson sacrée réservée à l’aristocratie. Il convenait de la boire avec modération pour ne pas voir les centzon totochtin (littéralement les « 400 lapins », les dieux de l’ivresse)… Aujourd’hui, c’est une boisson populaire, qu’on trouve un peu partout aux bords des routes du centre du pays et en ville dans les pulquerias. Servi nature et bien fermenté, son degré d’alcool est proche de la bière (environ 5%) pour un prix environ deux fois inférieur. On le sert en grandes chopes d’un litre et il procure une légère ivresse euphorisante bien agréable. Pour ceux qui n’aiment pas son goût et sa texture particuliers, ou souhaitent découvrir de nouvelles saveur, il peut également être servi en curado, c’est à dire mixé avec du sucre et des fruits, des cacahuètes, de l’avoine… et parfois en cocktail mélangé avec des alcools plus forts (mezcal ou rhum par exemple). Si l’arrivée de la bière au Mexique à la fin du 19e siècle a marqué le déclin du pulque, il revient à la mode depuis une dizaine d’année et des pulquerias modernes et élégantes ouvrent un peu partout dans le pays, même dans des régions où il n’était traditionnellement pas consommé. Mais à Mexico, ces nouvelles pulquerias n’ont pas remplacé les plus traditionnelles, à l’ambiance populaires et de quartier ou des petits vieux s’enfilent des litres de pulque bon marché à l’hygiène parfois douteuse, dans un brouhaha couvert d’une musique souvent bien trop forte.

Kindgom of Heaven

Pour s’assurer le contrôle sur les peuples indigènes, les espagnols avaient besoin d’un miracle. Ils ont donc créé une vierge noire, la vierge de Guadalupe, apparue à Juan Diego, un indigène récemment converti. Aujourd’hui, le sanctuaire de Guadalupe (qui commémore cette apparition) est un des plus grands lieux de pèlerinage au monde. 20 millions de pèlerins (dont la moitié le 12 décembre) affluent chaque année pour voir l’image de la vierge, assister à une des messes qui ont lieu en continu et acheter un certificat de pèlerinage. C’est le deuxième lieu le plus visité du catholicisme après la basilique Saint Pierre de Rome. Je suis pourtant allé au Vatican et dans certains lieux de pèlerinages musulmans, mais nulle part ailleurs dans le monde je n’ai senti à ce point la puissance d’une institution religieuse.

Le lieu se veut d’ailleurs capitale catholique du Nouveau Monde, en témoigne les drapeaux de tous les états du continent suspendues dans la nouvelle basilique. Ce bâtiment, immense tente de béton brutaliste, presque soviétique posée au milieu des églises baroques du sanctuaire donne au lieu des airs de science-fiction rétro, à mi-chemin entre Star Wars et Enki Bilal. Les lustres suspendus dans le vide, l’immense orgue moderne et surtout le tapis roulant pour faire défiler les fidèles devant la relique de la vierge viennent compléter cette impression.

On the road again

Après six semaines et quelques jours après avoir emménagé chez notre amie Diana en banlieue, nous saturons. Notre regard sur Mexico change : notre nouveau quartier est assez mal desservi par les transports en commun et nous prenons conscience de l’immensité de la ville et des distances, de l’omniprésence de la voiture… Nous nous sentons à l’étroit dans ce quartier, dans ce petit appartement très confortable mais où nous vivons avec quatre autres personnes. Nous avons fait le tour de ce que nous voulions voir, il est temps de repartir.

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