Après un an de voyage loin de l’Europe, je suis arrivé à un point où je n’ai plus besoin de rien. Toutes ces petites choses qui faisaient parti de mon quotidien, que je considérais comme acquises et qui ont disparues brutalement de ma vie après avoir traversé l’Atlantique, toutes ces petites choses m’ont manqué au début. La nourriture en particulier : le bon café, le fromage de qualité, le chocolat, les boulangeries, les bars et restaurants où l’on vient pour passer un bon moment et pas juste pour prendre un americano à emporter dans une tasse jetable… Toutes ces petites choses qui font partie de nos vies d’européens et de français en particulier et ne sont pas accessibles de l’autre côté de l’océan.
Je passais aussi beaucoup de temps à réfléchir à comment améliorer mon équipement vélo, camping et photo. J’avais des tableaux excels comparant le poids, le volume et le prix de composants. Au Mexique, trouver du matériel outdoor est un luxe rare qui se paie très cher. Si Decathlon est bien présent, son catalogue est beaucoup moins étoffé qu’en France, et à des prix premiums. Même chose pour le matériel de vélo : on trouve soit des grandes marques américaines (Scott, Specialized principalement), jusqu’à deux fois plus chères qu’en Europe pour un même modèle, soit des marques bas de gamme voire très bas de gamme, souvent chinoises et inconnues chez nous. La plupart des cyclistes, randonneurs, voyageurs à vélo mexicains et latino-américains que nous avons rencontrés ont du matériel avec lequel nous autres européens et nord-américains n’oseriont pas nous lancer à l’aventure, dans notre course effrénée à la consommation. Nous avons oublié qu’il n’y a pas si longtemps, nos prédécesseurs traversaient les océans sans GPS ni moyens de communication (lire « La Grande Route » de Bernard Moitessier), gravissaient des montagnes avec des pulls en laine et des tentes en coton ciré et pratiquaient le cyclo-muletier avec de lourdes sacoches en cuir. Je ne rejette pas le progrès, je pense juste qu’il faut savoir faire avec ce que l’on a déjà.
Aujourd’hui, après un an loin de chez nous, je me suis complètement détaché de tout ce luxe matériel. Beaucoup de gens nous demandent si la nourriture française ne nous manque pas ou nous recommandent des restaurants internationaux pour changer de la cuisine mexicaine. Non, ça ne me manque pas. Je suis heureux et reconnaissant de pouvoir vivre ce mode de vie simple. Je me satisfait de la cuisine locale, et même de manger des choses parfois très basiques, que j’aurais peut-être regardé de haut avant : une boîte de haricots, une bière insipide mais fraiche quand il fait chaud, des tortillas et du sel, des fruits. Je ne me demande plus de quoi j’ai besoin en plus pour améliorer ma qualité de vie, mais plutôt ce que je pourrais avoir en moins. Je sais apprécier un peu de confort quand il se présente : un bon café, une pâtisserie, dormir dans une chambre… Mais je sais aussi l’apprécier avec détachement : c’était bon, maintenant c’est fini, et tout va bien.
Il est parfois tentant de se charger un peu plus pour emmener un peu de ce confort avec nous. Acheter un paquet de très bon café pour se faire plaisir au bivouac par exemple, étoffer un peu notre matériel de cuisine ou acheter des souvenirs. Et puis finalement, on a fait sans pendant un an, alors pourquoi s’encombrer ? Chaque petit objet non indispensable que l’on transporte alourdit un peu plus le vélo, prends de la place dans les sacoches et restreint notre mobilité. Voyager de façon minimaliste, c’est une forme de sevrage inconscient : guérir de l’addiction à la consommation pour un jour se rendre compte que l’on vit plus libre et heureux. Chaque euro que l’on dépense nous rapproche un peu plus de la fin du voyage et du moment où il faudra à nouveau gagner de l’argent. Alors autant s’en passer, profiter du moment et être reconnaissant pour tout ce que l’on a déjà.
« Travaillerons-nous toujours à nous procurer davantage, et non parfois à nous contenter de moins ?
Henry David Thoreau
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Un homme est riche de tout ce dont il peut se passer. »