Première partie de l’histoire ici.
Après avoir bien profité des douceurs du littoral et des excès de la grande métropole basque, nous décidons de nous mettre au vert et de passer la semaine suivante à explorer les montagnes de l’intérieur. L’objectif est d’arriver à Pampelune le samedi suivant : cette ville connue pour ses férias si bien racontées par Hemingway devrait clore de façon animée cette semaine nature. Après quelques recherches, nous identifions 3 petits massifs qui nous semblent intéressants entre Bilbao et Pampelune : la Sierra Salvada, le massif de Gorbeia et la Sierra de Urbasa.
Sierra Salvada
La sierra Salvada est un plateau formant une frontière naturelle entre le Pays Basque et la Castille. D’après une légende locale, son nom viendrait d’une bataille médiévale entre basques et castillans. Après avoir pris une belle branlée par les basques, les castillans auraient réussi à s’enfuir par ce massif en criant « Salvo Somos » (nous sommes saufs).
La première chose qui nous frappe en arrivant au pied de cette sierra est le changement marquant de climat par rapport au littoral, seulement 30km plus au nord. Il fait chaud et sec, la végétation n’est plus du tout luxuriante. Les seules fleurs que nous voyons sont des crocus des pyrénées, petites fleurs roses emblématiques de la péninsule ibérique qui ont l’air d’apprécier la bouse de vache. Nous atteignons le col d’Aro après une longue et raide montée heureusement ponctuée de nombreuses fontaines. Nous ne croisons personne, à part des bergers en pickup. Ambiance Western, accentuée par le vol des nombreux vautours.
Nous trouvons un refuge dans une clairière déserte. Le silence est troublé uniquement par les cloches des vaches, l’eau d’une source et, plus tard dans la nuit, l’orage et la pluie. Nous sommes le 31 août et l’été est fini. En une nuit, les températures ont baissé de 10 degrés et les arbres sont passés de leur feuillage d’été à leur tenue d’automne.
Gorbeia
Culminant à 1481m au dessus de la mer, Gorbeia est le plus haut mont de Biscaye, la province la plus occidentale du Pays Basque. Il a donné son nom au massif et au parc naturel qui l’entoure. Contrairement à la Sierra Salvada qui fait partie de la chaîne méridionale des montagnes basques, Gorbeia appartient à la chaîne septentrionale. Plus proche de la mer et plus haut, il forme une véritable barrière face aux précipitations venues de l’Atlantique. Par conséquent, la végétation y est plus dense. Les ajoncs et bruyères en fleurs, les forêts de pins et la pluie nous évoquent l’Ecosse.
Partis trop tard d’Amurrio, nous sommes rattrapés par l’orage avant d’avoir pu trouver un abri pour la nuit. Abrités sous un viaduc autoroutier au pied du massif, le temps semble long. Il pleut des cordes, et ça ne semble pas près de s’arrêter. Nous décidons de tenter notre chance avec une chapelle repérée sur la carte à quelques kilomètres, un peu plus haut. En quelques minutes, nos vestes de pluie, plus très étanches, atteignent leur point de saturation et nous sommes trempés alors que nous n’avons même pas encore attaqué la montée, incroyablement raide, qui nous obligera à pousser nos vélos pratiquement tout du long.
Les églises basques ont souvent de très grands porches, très pratiques pour s’abriter de la pluie. Nous montons la tente sous les arcades, sur des dalles de granit patinées par des générations de basques cherchant probablement à s’abriter des éléments pour descendre quelques bières entre amis, comme ceux qui occupaient l’endroit au moment de notre arrivée. Le ciel est bouché, une brume épaisse se forme et la pluie continue de tomber. C’est un 1er Septembre qui se prend pour un soirde Novembre. Les buveurs de bière s’en vont et nous laissent seuls. Le hibou qui niche au dessus de nous ajoute la dernière touche à l’ambiance mystique. Si un fantôme venait nous parler, nous ne serions même pas surpris.
Nous avions envisagé de faire l’ascension du sommet du Gorbeia, mais avec le temps orageux il ne nous semble pas raisonnable de nous balader sur le point le plus exposé de la région. Nous nous contentons donc de pousser nos vélos sur des pistes pentues et humides, au milieu des vaches et chevaux en liberté qui semblent surpris de nous voir là. Alors que j’avais posé mon vélo pour prendre une photo, un jeune poulain accoure vers ma monture, se cabre puis détale : c’est probablement la première fois qu’il voit une bicyclette. Soudain le temps se dégage, il fait à nouveau chaud. La suite de la journée sera une succession de pistes plaisantes à travers les ajoncs et bruyères, les forêts de hêtre puis des routes de campagne. Nous sommes à nouveau surpris par l’orage, encore plus rapidement que la veille. Il est 16h, nous montons la tente dans la forêt au bord de la route. La journée est fini.
Sierra de Urbasa
La transition entre Gorbeia et la sierra de Urbasa nous fait passer dans la province d’Alava. L’influence océanique semble loin de nous et les paysages ressemblent plus à l’intérieur de l’Espagne : champs de blé et tournesols secs, pistes, villages médiévaux posés sur des collines aux bâtiments serrés les uns contre les autres. Après quelques lacets routiers qui nous paraissent bien longs, nous arrivons sur le plateau de la Sierra de Urbasa. Les routes bitumées sont défoncées, les fougères débordent sur la route et les vaches, chevaux et moutons se baladent ici encore en liberté. La nature semble reprendre ses droits. La frontière entre les provinces d’Alava et de Navarre est matérialisée par deux énormes rochers posés sur la route, empêchant totalement le passage pour un véhicule motorisé et nous obligeant à porter nos vélos pour passer. De l’autre côté (en Navarre), les paysages évoluent, le massif est plus peuplé, plus ouvert. On y croise des éleveurs en pickup qui rentrent les brebis, dont le lait sera transformé en un des meilleurs fromages qu’on ait goûté dans la région.
Pampelune, Camino Frances et retour en France
La soirée folle à Pampelune que nous imaginions n’aura pas lieu. Nous arrivons dans la capitale de Navarre fatigués et le retour à la civilisation nous écoeure un peu. A Pampelune comme dans toutes les capitales régionales, les samedis après-midi sont dédiés au culte de la surconsommation. Nous découvrons d’autres excès : les hébergements proposés accessibles à notre budget sont tous des immenses dortoirs dédiés aux « peregrinos », très chers pour ce qu’ils sont. Nous apprenons par la suite que les prix sont encore plus gonflés pendant la période des fêtes de la San Fermin : 60€ pour un lit en dortoir… Déçus, nous nous rabattons sur un camping à l’écart de la ville, où l’eau bien fraîche de la piscine fera office de cryothérapie low-cost.
Après Pampelune, nous avions prévu de suivre le Camino Frances, la voie « classique » du chemin de Saint-Jacques côté espagnol. Le chemin est principalement constitué de pistes et chemins roulants, qui sur le papier semblent être exactement ce que nous recherchons. Malheureusement, le chemin est bondé de marcheurs venus du monde entier, formant un flux ininterrompus de pèlerins qui nous souhaitent joyeusement un « buen camino » lorsque nous nous arrêtons pour les laisser passer. Nous décidons de finalement nous rabattre sur le bitume. Les discussions des marcheurs nous fatiguent, et à force de devoir nous arrêter nous n’avançons pas. L’écœurement atteint son comble à Roncesvalles, point de départ « officiel » du camino frances. Une rotation ininterrompu de cars amène les pèlerins à l’abbaye où ils passeront la nuit avant d’entamer leur marche. Nous sommes assez surpris de la diversité de profils parmi les marcheurs. Quelques randonneurs aguerris, des « true » pèlerins hirsutes et austères, mais aussi et surtout de nombreux « touristes », qui pour beaucoup semblent n’avoir jamais fait de randonnée, en témoigne notamment l’extrême saleté des bords de chemin, bien loin de l’éthique « leave no trace » des puristes de la montagne. Le camino frances nous laisse une impression de Disneyland de la randonnée : une véritable industrie touristique très lucrative, bien loin de la quête spirituelle qu’il est sensé représenter. C’est d’ailleurs ce que nous confirment des marcheurs partis de France que nous avons croisés à Pampelune : si en France « l’esprit du chemin » existe encore, il semble avoir totalement disparu en Espagne.
Arrivés à Saint Jean Pied de Port, la lassitude s’installe. La population, à la fois plus dense et plus étalée qu’en Espagne rend les routes plus fréquentées. Les retrouvailles avec les automobilistes français nous laissent nostalgiques de leurs homologues espagnols. Nous décidons de rouler vite jusqu’à la côte, pour profiter de la mer une dernière fois avant le retour à la maison. Nous avons oublié de remplir nos bidons en partant le matin, pensant trouver de l’eau facilement. Un mauvais choix d’itinéraire par une petite route qui ne fait qu’enchaîner les montées et descentes très raides combinées à la chaleur très lourde nous épuise. La déshydratation, une crevaison et l’impression de ne pas avancer entament notre moral, jusqu’à ce qu’un véritable « trail angel » remplisse nos gourdes d’eau bien fraîche. Arrivés sur la côte, déception : malgré la basse saison touristique, les Brice de Nice allemands et hollandais sont toujours aussi nombreux. Nous vidons quelques bouteilles de cidre sur la plage de Lafitenia et profitons de notre dernier bain de mer. La boucle est bouclée, il est temps de rentrer.